"Toutes les pistes qui pourraient nous rapprocher de Tiphaine n'ont pas été exploitées par la police du Japon, c’est un cauchemar"

Quatre ans après la mystérieuse disparition à Nikko (Japon) de leur sœur, les Poitevins Damien et Sibylle Véron publient "Tiphaine, où es-tu ?". Le livre pointe les nombreux manquements de l'enquête nippone.

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Tiphaine Véron a disparu le 28 juillet 2018 à Nikko (Japon) alors qu'elle séjournait dans cette cité de montagne très touristique, réputée pour ses nombreux sanctuaires. Partie de Poitiers, sa ville natale, quelques jours auparavant, la jeune femme de 36 ans a quitté un matin son hôtel pour aller se promener. Elle n'y est jamais revenue. 

Après plusieurs séjours sur place, et d'intenses recherches, son frère Damien et sa sœur Sibylle sont convaincus que Tiphaine a fait une mauvaise rencontre. "Tiphaine, où es-tu ?" raconte leur combat pour faire avancer une enquête que les autorités japonaises n'ont jamais voulu ouvrir.

France 3 : Le livre commence le 29 juillet 2018. Cette nuit-là, vous vous réveillez en sursaut avec le sentiment que quelqu’un de votre entourage est en danger. Immédiatement, vous pensez à votre sœur Tiphaine qui est partie au Japon…

Damien Véron : Ce jour-là, quand je reçois le message de l’ambassade nous disant que Tiphaine avait disparu, c’est un électrochoc immense pour notre mère et nous. Ce message, je m’en souviendrai toute ma vie. Cela faisait quelques jours que Tiphaine ne nous avait pas donné de nouvelles alors que jusque-là qu’elle nous avait tenus informés de son voyage en permanence.

France 3 : Aussitôt la police japonaise défend la piste accidentelle. Cette hypothèse-là, vous n’y avez jamais cru ?

Damien Véron : Au début, on a surtout cru qu’on allait la retrouver en quelques jours. On n’imaginait pas que quatre ans après, on serait toujours en train de la rechercher. Quand on arrive sur place, la police locale nous remet un foulard retrouvé sur place et nous explique qu’il appartenait à Tiphaine… Qu’elle a eu un accident, qu’elle est tombée dans la rivière, et que c’est normal si on ne la retrouve pas car il y a eu un typhon. On a découvert bien plus tard, en menant notre propre enquête, qu’il n’y avait pas eu de typhon, ni de crue et que donc cette hypothèse accidentelle était peu probable. La piste criminelle est bien plus envisageable surtout quand on considère les nombreux faits divers qui surviennent sur place.

En France, on peut imaginer qu’il y aurait eu des expertises des lieux, une fouille complète, des auditions des clients de l’hôtel, voire un placement en garde à vue de l’hôtelier qui est la dernière personne à avoir vu Tiphaine. (..) Mais il n’a jamais été interrogé officiellement.

Damien Véron

France 3 : Malgré tout cela, la police japonaise n’ouvre pas d’enquête criminelle. L’hôtelier chez qui séjournait Tiphaine est à peine entendu. Vu de France, cela parait inconcevable…

Damien Véron : Ah oui ! D’autant plus qu’on nous a dit dès le début qu’il était important dans une disparition de mener l’enquête en partant de l’endroit même de la disparition, autrement dit de l’hôtel. En France, on peut imaginer qu’il y aurait eu des expertises des lieux, une fouille complète, des auditions des clients de l’hôtel, voire un placement en garde à vue de l’hôtelier qui est la dernière personne à avoir vu Tiphaine. Cet homme a toujours eu un discours contradictoire. Selon lui, Tiphaine aurait quitté l’hôtel à 10h mais grâce aux relevés de son téléphone, on a vu qu’elle y était jusqu’à 11h40. Mais il n’a jamais été interrogé officiellement et donc bien sûr, on s’est toujours questionné sur le rôle qu’il a pu jouer.

France 3 : A quel moment avez-vous réalisé que l’enquête patinait ?

Damien Véron : On a réalisé que les Japonais ne faisaient pas de recherches et que la solution ne viendrait pas d’eux, lorsqu’on a commencé à médiatiser la disparition. L’ambassadeur est venu sur place, il y a eu des tas de réunions, et comme on commençait à connaître un peu mieux le système judiciaire japonais, on a vu qu’il ne se passait rien. Comme je le dis dans le livre, on a longtemps été persuadés de leur bonne volonté avant de nous prendre la réalité en pleine face. Ça a été violent sur le coup. Mais on a quand même maintenu le contact pour la police française, en se disant qu’ils seraient reçus comme nous on avait été reçu. Sauf que ça ne s’est jamais produit. Et cet effet double lame a été lui aussi d’une violence extrême. On a décidé à ce moment-là de privatiser l’enquête.

France 3 : Est-ce que les données du téléphone de Tiphaine ont pu être exploitées comme vous l’avez longtemps demandé ?

Damien Véron : La police française a tout de suite fait des réquisitions auprès de l’opérateur français et nous avons obtenu des informations. Mais comme Tiphaine était à l’étranger, la géolocalisation n’apparaissait pas. Nous on pensait que c’était le b.a.-ba d’une enquête de faire ce genre de réquisition, mais pas au Japon. Ils nous disaient toujours qu’ils allaient le faire, mais ils ne le faisaient jamais. Et ce qu’on a compris, c’est qu’ils ne le faisaient pas parce qu’ils n’avaient jamais ouvert d’enquête criminelle. Du coup aujourd’hui, toutes les données ont probablement été effacées. Notre dernier espoir c’est que l’opérateur ait fait une sauvegarde comme le lui avait demandé à l’époque l’ambassadeur de France Laurent Pic.

En début d’année, un corps démembré a été retrouvé dans une valise pas loin de l’hôtel, à Nikko. On sait qu’un faux guide rôde dans les parages.

Damien Véron

France 3 : Idem pour les traces repérées au luminol dans la chambre d’hôtel de Tiphaine et qui n’ont jamais été exploitées ?

Damien Véron : Quand Tiphaine a disparu, notre mère a tout de suite écrit à Emmanuel Macron. Les Japonais l’ont appris et comme ils étaient un peu vexés, ils ont fait ce test au luminol (NDLR : un produit chimique qui permet de détecter des traces de sang). Il a révélé des éclaboussures sur les murs de la chambre de Tiphaine. Mais comme aucune enquête criminelle n’avait été ouverte, ces traces n’ont pas été expertisées. Il s’agit probablement de traces de sang qui n’ont jamais été identifiées. C’est terrible, terrible. Et ça continue. En début d’année, un corps démembré a été retrouvé dans une valise pas loin de l’hôtel, à Nikko. On sait qu’un faux guide rôde dans les parages. Et malgré tous ces éléments, toutes les pistes qui pourraient nous rapprocher de Tiphaine n'ont pas été exploitées par la police du Japon. Jamais. C’est un cauchemar.

France 3. En quatre ans, vous avez remué ciel et terre, sollicité des personnalités du show biz, interpellé Emmanuel Macron pour faire bouger les choses. Vous n’êtes pas découragés ?

Damien Véron : Le soutien de personnalités comme Fanny Ardant ou Élie Semoun nous a beaucoup aidé à montrer que notre combat est légitime. Pendant longtemps, on a eu le sentiment de ne pas être écoutés, même si on avait fait un vrai travail d’enquête. Et franchement, on était au fond du gouffre jusqu’à ce que l’avocat Me Antoine Vey reprenne notre dossier. Il est déterminé à obtenir qu’un magistrat se déplace au Japon, le parquet de Poitiers soutient cette demande. L’Élysée, le Quai d’Orsay tout le monde se tient prêt.  La juge d’instruction de Poitiers a pour l’instant refusé de se déplacer. C’est un coup dur mais c’est loin d’être terminé.

France 3 : Dans le livre, vous évoquez aussi le rôle des mediums qui ont fait irruption, voire intrusion dans votre vie depuis la disparition  de Tiphaine…

Damien Véron : On en a sollicité certains au début, on avait tellement peu d’éléments, on était prêt à tout. D’autres, c’est vrai, ont été assez intrusifs. Des vidéos horribles ont circulé sans nous consulter. Une voyante a par exemple prétendu avoir lu dans des cartes de tarot que Tiphaine avait été emmenée dans les bois et étranglée. Cela nous a beaucoup déstabilisé, même si de plus en plus, tout indique que notre sœur a été victime d’un acte malveillant.

Même si c’est peu probable, je continue d’espérer qu’elle est en vie, en détention «soft » chez quelqu’un qui veut juste de la compagnie.

Damien Véron

France 3 : cette issue tragique vous l’avez accepté aujourd’hui ?

Damien Véron : Personnellement je n’arrive pas à m’y résoudre. Même si c’est peu probable, je continue d’espérer qu’elle est en vie, en détention «soft» chez quelqu’un qui veut juste de la compagnie. Mais je vois aussi ce qui se passe à Nikko : il y a tellement de faits divers là-bas…

France 3 : Qu’attendez-vous de ce livre aujourd’hui ?

Damien Véron : Si le livre peut aider d’autres familles qui subissent la même chose, ce serait bien. Il a été très difficile à écrire parce que ça nous a replongé dans tout ce que nous avons traversé, ça nous a pris une énergie folle, ça a beaucoup empiété sur notre vie de famille. Moi, j’ai mis ma vie entre parenthèses depuis quatre ans. Mais il faut continuer. On a déjà dépensé 70.000 euros. Les recettes du livre doivent financer la suite. C’est notre espoir.

Damien et Sybille Véron invités d'Anne-Elisabeth Lemoine dans C à vous le 31 mai 2022

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