Sécheresse, grêle, orages, les nerfs des viticulteurs sont mis à rude épreuve depuis plusieurs années. Le dérèglement climatique peut être synonyme de catastrophe économique. La filière doit réagir. Une solution en Occitanie : de nouveaux cépages, plus résistants.
Les vignerons le disent : la vigne doit souffrir pour faire un bon vin. Mais modérément et les dérèglements climatiques n'en ont que faire. Depuis quelques années, la région subit la sécheresse. Le manque d'eau nuit gravement à l'expression du cépage quel qu'il soit.
La vigne doit souffrir pour faire un bon vin. Mais modérément et les dérèglements climatiques n'en ont que faire
"Si la plante subit un stress, elle ne s'exprimera pas et si elle ne s'exprime pas, tout l'effort qualitatif de l'implantation du cépage sera annihilé parce qu'il y aura un paramètre qui n'aura pas été réglé. Et le paramètre, c'est le stress hydrique" explique Jacques Gravegeal, président de l'IGP pays d'Oc.
Point de salut sans irrigation
Pour certains vignerons donc, point de salut sans irrigation. Pour d'autres professionnels, c'est peut-être de la science que viendra la solution. "En fait, nous pourrions voir l'apparition d'une nouvelle espèce de raisin. Elle pourrait être développée avec un gène de tolérance à la sécheresse. les chercheurs ont isolé ce gène et je peux dire qu'il va y avoir des changements incroyables dans la viticulture," assure Sarah Abbott, master of wine, lors du dernier Vinisud, le 19 février 2018, à Montpellier.
Pour lutter contre la sécheresse, la solution testée dans le pays narbonnais, est d'utiliser les eaux des stations d'épuration. Depuis 2010, des vignes sont irriguées avec des eaux de différentes qualités. L'utilisation des eaux usées pour l'agriculture est très courante dans de nombreux pays, comme en Australie, Israël, Californie, Espagne et avec des contrôles sanitaires moins stricts qu'en France.
2018 : Grêles et fortes pluies
En 2018, exit la sécheresse. Un peu de répit pour les viticulteurs ? Pas vraiment. Le gel, la grêle et de fortes pluies ont détruit les vignes.
Le vignoble de Limoux (Aude) a été durement touché par la grêle. Mardi 3 juillet 2018, il est tombé comme des oeufs de poule. Dans certains secteurs, les vignes sont touchées à 100%. Une catastrophe économique. "L'année dernière, on a perdu 80 % de la récolte à cause d'une gelée. Et cette année, de nouveau, on perd 100 % par rapport à la grêle. Voilà, ça va être compliqué pour les exploitations et on aura du mal à repartir," s'angoisse Pierre Tichadou, viticulteur.
L'année dernière, on a perdu 80 % de la récolte à cause d'une gelée. Et cette année, de nouveau, on perd 100 % par rapport à la grêle
Le vignoble du limouxin n'est pas le seul touché dans l'Aude. "La grêle est également tombée sur une partie de l'ouest audois aussi, Leucate (appellation Corbières et Fitou) et les Hautes Corbières", précise Frédéric Rouannet, le président du syndicat des vignerons de l'Aude. " "Et on n'est pas au bout," insiste-t-il.
Attaques exceptionnelles de mildiou
Sécheresse, gel, grêle puis forte humidité ces dernières semaines ont détruit les vignes ou provoqué des attaques exceptionnelles de mildiou. A Saint-Christol, près de Lunel, Frédéric Bort constate amer les méfaits du mildiou sur ces vignes bio. Une attaque très grave et d'une grande ampleur sur tout le vignoble.
C'est rare d'avoir une épidémie de mildiou aussi généralisée
"C'est rare d'avoir une épidémie de mildiou aussi généralisée" explique-t-il. Entre les fortes pluies et l'humidité persistante depuis fin avril, toutes les conditions climatiques ont été favorables à la prolifération du pseudo-champignon et donc de la maladie. Conséquence, pour certaines parcelles, les dégâts sont irrémédiables. Il n'y aura pas de raisins.
15 millions d'hectolitres pour l'Occitanie en 2018
Après une année 2017, avec une récolte particulièrement basse, 10,44 millions d'hectolitres, 2018 s'annonce dans la moyenne du bassin viticole du Languedoc-Roussillon entre 12 et 13 millions d'hectolitres. Sur toute l'Occitanie, les vendanges sont estimées à près de 15 millions d'hectolitres.
La production natioanle viticole se situerait en 2018 entre 46 et 48 millions d'hectolitres, soit un niveau supérieur de 27% à celui de 2017 qui fut la plus petite récolte depuis 1945, selon une première estimation du ministère de l'Agriculture.
Une solution : la bouillie bordelaise
Pour lutter contre cette épidémie de mildiou, le vigneron de Saint-Christol pulvérise de la bouillie bordelaise. Un produit à base de soufre et de sulfate de cuivre autorisé en agriculture biologique. Mais après la sécheresse de l'an passé, la crainte d'une nouvelle baisse de la production reste très vive.
En Languedoc-Roussillon, environ 90 % du secteur viticole bio est touché.
Une dizaine d’hectares de variétés résistantes au mildiou et à l’oïdium
A l'INRA (Institut National de recherche agronomique) du Pech Rouge à Gruissan (Aude), une dizaine d’hectares de variétés résistantes au mildiou et à l’oïdium, plantés en 2012, sont cultivés sur les contreforts du massif de la Clape. C’est la 2ème récolte de blancs et de rouges sur ces vignes exemptes de tout traitement phytosanitaires.
Elles sont intrinsèquement résistantes, de par leurs gènes, qui déclenchent un mécanisme de défense et ainsi évitent la propagation des agents pathogènes. "Finalement, cette année montre que cette tolérance marche très bien dans des conditions extrêmes. Il faut passer par une année comme celle-là pour avoir la preuve que ça marche," explique Hernan Ojeda, Directeur de l'unité INRA du Pech Rouge.
Les grappes sont intactes et le rendement n’est pas altéré
Ça se voit à l’œil nu : les attaques sont circonscrites aux seules feuilles, les grappes sont intactes et le rendement n’est pas altéré. C’est tout l’intérêt de ces cépages, nés de croisements de différentes variétés existantes, notamment différents cabernet-sauvignon, mais pas seulement. Cela peut permettre d'éviter la propagation des agents pathogènes.
De ce fait, il est possible de réduire de 80 % l'utilisation de fongicides voire ne pas en utiliser du tout. Il s’agit en effet de développer différentes variétés afin d’offrir une large gamme de choix aux viticulteurs et donner des vins différents.
Objectif: des vins de qualité
Ces 60 dernières années, l’INRA avait échoué dans ses précédentes tentatives, notamment à donner des vins de qualité. En gros, les cépages étaient résistants mais donnaient de la piquette. Cette fois, ça semble fonctionner.
La première cuvée 2017, l’an dernier, a été concluante au point d’embouteiller 500 bouteilles de blanc et 500 de rouge, et de les commercialiser au domaine du Pech rouge à l’INRA. Objectif : recueillir l’avis des consommateurs.
Tout réapprendre
Pour l’heure, les chercheurs de l’INRA s’attachent aussi à définir quelle méthode de vinification s’adapte le mieux à chacun de ces nouveaux cépages. En clair : il faut tout réapprendre.
Avec une volonté affichée : que ces vins soient « plus bio que bio » : sans produit chimique de la vigne à la cave. Déjà les parcelles en cours de vendange n’ont reçu aucun traitement phytosanitaire cette année, malgré les attaques de mildiou et d’oïdium.Plus bio que bio
Une fois arrivé à la cave, le raisin est vinifié sans sulfite ni adjuvant de fabrication. "Nous avons beaucoup utilisé la chaîne du froid pour essayer de refroidir très rapidement les raisins et empêcher les phénomènes d'oxydation mais essayer également de faire en sorte que le raisin récolté le matin même soit mis en fermentation dès la soirée," précise Jean-Michel Salmon Directeur de recherches Cave et Technologie INRA du Pech Rouge.
Quantité infime de sulfite
Une quantité infime de sulfite, très en-dessous de la norme autorisée pour le bio, est seulement ajoutée au moment de l’embouteillage, pour préserver la couleur. Résultat : si ces vins se rapprochent de ceux connus, ils sont plus fruités, du fait de l’absence de sulfites (qui masquent souvent les arômes de fruit).
A plus grande échelle
Ensuite, la phase suivante sera le début de la mise en culture à une plus grande échelle. Dès cette année, l’INRA a passé des conventions avec plusieurs viticulteurs pour la dernière phase d’expérimentation : les plantations commencent.
Mais tout n’est pas terminé : avant que ces vins arrivent sur le marché, il faudra encore valider le fait que ces vignes soient aussi adaptées aux changements climatiques, qu’elles soient assez productives pour être économiquement intéressantes (rendement), que le degré d’alcool et la qualité correspondent aux attentes du marché.