Le conseil régional d’Occitanie a vendu le château de Céleyran au plus gros viticulteur du Languedoc. Avant la vente, des centaines de milliers d’euros d’argent public ont été dépensés, dans des conditions étonnantes.
Henri de Toulouse-Lautrec y a passé une partie de sa jeunesse
Acquis en 2009, pour la somme de 8 millions d’euros, il a été revendu... 2,43 millions d’euros. Une sérieuse décote et une belle perte (de 5,5 millions d’euros) pour le conseil régional. Mais une bonne affaire pour le viticulteur qui compte réhabiliter le château où le peintre Henri de Toulouse-Lautrec a passé une partie de sa jeunesse.Le prix de la vente peut se justifier. Elle est d’ailleurs conforme à l’évaluation de France Domaine. Depuis des années, Céleyran est pillé et squatté. L’édifice, classé aux monuments historiques, est en mauvais état.
En revanche, trois mois avant la vente à Gérard Bertrand, le conseil régional d’Occitanie a investi plus de 600 000 euros, sans passer par le code des marchés publics.
600 000 euros sans mise en concurrence
En août 2018, un incendie se déclare à Céleyran. Une enquête est ouverte. La piste criminelle n’est pas exclue. 100 m2 de toitures et le 2nd étage de l’aile gauche du château partent en fumée.Moins de quinze jours après le sinistre, le conseil régional dépense 233 716, 50 euros HT pour effectuer des travaux. Des travaux justifiés par l’incendie. Une entreprise de l’Hérault est recrutée. Une autre intervient pour du débroussaillage. Une prestation qualifiée de mise en sécurité. L’opération coûtera 412 944, 24 euros TTC au conseil régional.
La région invoque l'urgence
Aucune mise en concurrence pour ces deux grosses factures. Pas de publicité. Les contrats ont été négociés et signés autour d’une table. Le conseil régional invoque « l’urgence ». Une collectivité peut contourner les règles de base du code des marchés publics en invoquant une « urgence impérieuse ». Mais il existe des conditions très strictes et la jurisprudence a une lecture restrictive. Ainsi, le passage d’une dépression tropicale dans une zone à risque ne suffit pas à justifier une absence de mise en concurrence pour des travaux de « sécurisation ».Contacté par France 3 Occitanie, le conseil régional justifie l’absence de mise en concurrence par le fait que le site est "régulièrement occupé par des squatteurs" et pour faciliter l’accès aux pompiers.
Le conseil régional n’a pas souhaité communiquer le détail des factures. Mais seuls des travaux nécessaires pour faire face à un risque avéré (soutènement d’un mur, débroussaillage à proximité des bâtiments..) pourraient justifier de dépenser plus d’un demi-million d’euros sans passer par le code des marchés publics.
Une surfacturation ?
En plus de l’absence de mise en concurrence, le sommes dépensées pour le débroussaillage posent questions. Le conseil régional a dépensé 83 511,36 euros TTC. Le m2 a été facturé 2,88 euros.C’est très au-dessus du prix du marché. Un professionnel du secteur estime que « c’est 4 fois plus cher qu’un débroussaillage avec des ronces et à la main qui est facturé 70 centimes d’euros. Si le prestataire dispose d’engin lourds et si le terrain le permet, le prix tombe alors entre 30 et 25 centimes d’euros le m2 ».
Comment justifier un tel écart entre le prix du marché et le prix payé par le conseil régional ? Pourquoi avoir retenu une entreprise pratiquant des tarifs « exorbitants » ?
La même entreprise a facturé 316 713, 60 euros pour des abattages d’arbres. Le conseil régional n’a pas souhaité communiquer le détail des factures. Mais là encore les chiffres posent question.
L’abattage d’un arbre peut coûter jusqu’à 3000 euros. Mais, pour un arbre de moins de 10 mètres, le prix moyen est de 400 euros.
De plus, il existe un moyen pour faire baisser les factures. Il est possible de permettre à l’élagueur d’emporter les arbres abattus afin qu’il revende le bois comme bois de chauffage.
Dans ces conditions, comment justifier plus de 300 000 euros pour l’abattage d’arbres ?
Une chose est certaine. Le parc du château est de quelques hectares. Même en abattant tous les arbres, la dépense engagée par le conseil régional est extrêmement élevée.
Deux personnes ont toutefois des raisons d’être satisfaites : l’entreprise qui a empochée plus de 400 000 euros pour un travail qui a duré 4 semaines et le nouveau propriétaire, "le prince des Corbières" Gérard Bertrand, qui a acquis un château sans ronce ni broussaille.