À l’heure de la colère agricole ou des « écureuils » logés dans les arbres bordant le chantier de l’A69, la « résistance paysanne » du Larzac n’a pas pris une ride. Et en BD plus qu’ailleurs, les héros ne vieillissent jamais. Le tout scénarisé par l’historien aveyronnais spécialiste de la question, Pierre-Marie Terral, et sous le crayon de ruthénois Sébastien Verdier déjà publié chez Dargaud.
Ceux dont le grand-père avait combattu les Prussiens, les « nouveaux venus », les nouveaux venus revenus, FDSEA ou pas, bergers, fromagers, prêtres, ils sont 6000 à défiler dans les rues de Millau le 6 novembre 1971. Ils ne veulent pas de l’extension du camp militaire qui va encore empiéter sur leur terre. Vu de Paris, le Larzac est peut-être un désert, mais vu du sud Aveyron c’est une terre agricole.
Mai 68 n’a pas vraiment été une réussite. Les infiltrations d’usine par les maoïstes n’ont rien donné. Alors ces militants déçus se verraient bien « partir militer à la campagne et labourer le terrain pour y semer leurs idées ». Certains deviendront bergers. Beaucoup d’autres non. Déjà présent également sur le causse, le philosophe Lanza Del Vasto et sa communauté de l’Arche. Lui, prône la non-violence qui donnera le ton de la contestation.
Non-violence
A l’issue du jeûne lancé par Del Vasto, 103 paysans sur les 107 concernés signeront un pacte où ils font le serment de ne pas vendre leurs terres à l’Armée. Ces « résistants », paysans ou pas, deviennent des pros de la communication, relayant leur opération « fermes ouvertes » jusque dans les colonnes de Charlie hebdo. Les « peluts » (chevelus en occitan) débarquent alors de toute la France.
Sur place, chez ceux du pays, les pros et anti-extension du camp militaire s’affrontent, y compris parfois dans les mêmes familles. Mais les opposants veulent élargir le mouvement et son écho. Le 14 juillet 1972, ils montent à Rodez, ville préfecture, à 90 kilomètres de là. Ils seront plus de 20 000 à s’y retrouver. Les paysans aveyronnais amèneront également leurs brebis paître jusque sous la Tour Eiffel. Succès médiatique garanti.
100 000 sur le plateau
En janvier 1973, une scission syndicale s’opère. La FNSEA ne suivra pas le cortège de tracteurs jusqu’à Paris face à un ministre de l’Intérieur inflexible. Se crée alors sous l’égide de Bernard Lambert, le mouvement des « paysans travailleurs ». Prochaine étape : rassembler sur le plateau des agriculteurs de toute la France. En août de la même année, 93 000 personnes répondent à l’appel dont des ouvriers de Lip, eux aussi en plein combat.
Après le 14 juillet, vient la fête des moissons les 17 et 18 août 1974. Giscard d’Estaing a été élu président de la République et le projet d’extension du camp militaire tient plus que jamais. Plus de 100 000 personnes participent à l’évènement dont un certain François Mitterrand. Mais l’accueil qui lui est réservé par certains le dénonçant comme « traître » ou même « collabo » laissera des traces, notamment une blessure à la tête. Mais il promet de revenir.
Le légal et l’illégal
Alors que certains ont déjà vendu leurs parcelles à prix d’or, les juristes entrent en jeu pour aider les « résistants ». Une société de Gestion Foncière du Larzac est créée pour rendre plus compliqué voire impossible le rachat des terres. A ce levier légal s’ajoutent des occupations illicites, elles.
Fin 1975, sept des 103 paysans signataires du pacte ont vendu. Les autres essaient de passer l’hiver. Aux beaux jours, des membres de comités décident de ne pas repartir à Paris ou ailleurs chez eux en France, et s’installent, c’est le cas des Morain ou encore des Bové. Le débat d’idées se remet à fleurir lui aussi.
Côté actions, une opération commando conduit à l’interpellation de 22 militants. Ils s’étaient introduits dans le camp militaire pour détruire les actes de vente et de propriété. Ils sont interpellés. 17 d’entre eux seront condamnés à de la prison ferme.
Désobéissance civile
Pour « occuper le terrain » encore et encore un grand rassemblement d’été est organisé sur le plateau le 14 août 1977. La désobéissance civile se poursuit, elle aussi, avec pas moins de 1 030 habitants du Larzac qui renverront leur livret militaire. Ce qui les conduira tout droit au tribunal de Millau, qui, lui aussi, sera envahi par les brebis.
Puis après les Législatives de mars 1978, qui confortent le pouvoir en place, c’est la marche vers Paris, 710 kilomètres où là encore les médias seront présents. Malgré quelques débordements face aux CRS, le mot d’ordre reste non-violence. En mai 1980, la Cour de cassation annule les expropriations du Larzac. Un mois plus tard, de nouvelles ordonnances d’expulsion sont signifiées aux agriculteurs.
L’Etat n’en démord pas et essaie de désolidariser le mouvement en invoquant une « mini-extension » qui ne toucherait que le nord-est du plateau. Une consultation des agriculteurs est organisée. Un « non » massif à la « mini-extension » ressort des urnes. Mais ce sont d’autres urnes qui vont sceller le dénouement de cette lutte. 10 mai 1981 : François Mitterrand remporte la Présidentielle. Le projet d’extension du camp est abandonné quelques semaines plus tard.
Pierre Marie Terral, historien et scénariste du livre : « Il y a un côté intemporel et universel dans cette lutte pour la terre »
Comment est né ce projet ?
J’avais déjà mené une thèse sur le sujet, complétée par un livre. Mais j’ai trouvé que ça méritait autre chose pour illustrer encore l’imagination de cette lutte. J’ai contacté Sébastien Verdier qui habite à Rodez et qui était déjà édité chez Dargaud. Il m’a mis le pied à l’étrier pour m’expliquer comment les scenarii étaient écrits en BD. Je me suis permis quelques écarts avec la réalité, ce qui pour un historien est très difficile. Dargaud a également été d’accord pour que nous y insérions des documents d’archives. Et puis nous avons aussi voulu rendre hommage à Wolinski ou Cabu. Cabu qui agaçait volontiers José Bové (NDR auteur de la préface) quand il faisait exprès de dire qu’il y avait des chèvres sur le Larzac au lieu d’évoquer les brebis.
Ce qui frappe quand on se replonge dans l’histoire de cette révolte, y compris en BD, c’est qu’elle est restée très moderne même 40 ans après, non ?
Il y a un côté intemporel et universel dans cette lutte pour la terre. À l’image de ces Indiens d’Amérique venus eu aussi voir la lutte sur le plateau. Quand on y réfléchit, des luttes victorieuses, il n’y en a pas eu beaucoup. Celle-ci est aussi à part parce qu’elle a lieu en milieu rural avec des agriculteurs qui ont su garder la main sur leur mouvement.
Votre ouvrage, qui a nécessité trois années de travail, n’a pu être prêt pour l’anniversaire des 50 ans du début de la lutte mais il arrive quand même dans une nouvelle période de mouvement agricole. Un signe ?
Il trouve effectivement un écho curieux avec la mobilisation actuelle. Le modèle foncier du Larzac a donné lieu à l’installation d’hommes et de femmes comme agriculteurs. Il a démontré l’utilité des circuits courts qui fonctionnent avec des emplois non délocalisables. Cette lutte propose donc encore quelques solutions à cette crise actuelle.
Vous évoquiez à l’instant les agricultrices installées sur le Larzac. En quoi les femmes, que vous mettez aussi à l’honneur, ont-elles eu un rôle majeur dans cette lutte du Larzac ?
Quand je discutais avec Yves Rouquette (NDR : auteur et poète occitan), il me répétait qu’il n’y aurait jamais eu de mouvement sans elles. Il y a une histoire qui me revient, c’est celle de la ferme des Burguière. L’épouse et mère de famille voulait y faire tomber la cloison de la cuisine pour mieux entendre les discussions autour de la lutte entre les militants qui se réunissaient au salon. Elles l’ont faite tomber cette cloison ces femmes du Larzac !
Quand on voit aujourd’hui le rapport entre l’État décisionnaire et responsable de l’ordre public, comme sur l’autoroute A69, et les opposants au projet, qu’est-ce qui a changé finalement depuis le Larzac ?
C’est toujours la loi du bulldozer avant même que tous les recours juridiques soient épuisés. Une certaine forme de légalité contre la légitimité également.
Comme l’avait fait remarquer José Bové, des techniques de lutte similaires au Larzac sont encore employées aujourd’hui, parfois même sans le savoir. A notre Dame des Landes par exemple, les opposants à l’aéroport avaient réensemencé la parcelle où devait être réalisée future piste d’atterrissage. Comme le Larzac avait été réensemencé ou investi par des brebis là où le camp militaire devait s’étendre. Ce qui change en revanche aujourd’hui, c’est la manifestation d’une violence plus radicale notamment via les réseaux sociaux.
« Larzac, histoire d’une résistance paysanne », de Pierre Marie Terral et Sébastien Verdier, Dargaud.