L’OMS suspend les essais cliniques de soins du coronavirus avec l’hydroxychloroquine. Cette décision "par mesure de sécurité" suspend aussi les possibilités d’évaluer le protocole précoce du Pr Raoult -jamais testé par les autorités de santé françaises- et qui divise les scientifiques.
Cette prise de position de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) intervient trois jours après la publication de l’étude du Lancet [1] qui met en doute l'efficacité de l’hydroxychloroquine pour soigner les patients atteints du coronavirus, et souligne sa dangerosité.
Alors que les auteurs eux-mêmes estiment que pour tirer des conclusions scientifiques de leur étude et confirmer l’inefficacité de l’hydroxychloroquine, "il est nécessaire de faire des essais cliniques randomisés avant de pouvoir tirer des conclusions" l’OMS suspend, temporairement, les essais clinques avec cette molécule à travers le monde, "par sécurité".
Violaine Guérin immunologiste et représentante du collectif " laissons les médecins prescrire de l'hydroxychloroquine" commente : "Je suis surprise que l’OMS qui a une responsabilité vis à vis de la population mondiale prenne cette décision sur la base d’une étude avec autant de problèmes méthodologiques.
Le directeur de recherche du laboratoire biologie moléculaire au CNRS de Montpellier estime au contraire qu’il était temps de clore le débat :
"La décision de l’OMS aurait dû être prise plus tôt commente Hervé Seitz. Dès la première publication de l’IHU de Marseille le 20 mars, on savait que les statistiques concluant au bénéfice du traitement étaient bidonnées. Mieux vaut tard que jamais, évidemment mais ici le monde politique ne semble réagir qu’en réaction au retournement de l’opinion publique. J’aurais aimé des dirigeants capables de sang-froid même quand le professeur Raoult était populaire. "
A chaque nouvelle publication, les commentaires scientifiques se succèdent et s'opposent. Chaque « camp » réagissant à l'étude qui sert sa cause.
Difficile d’y voir clair dans cette grande confusion dans le milieu scientifique. Nous avons recueilli en Occitanie les analyses très partagées de médecins comme de chercheurs.
La publication The Lancet très critiquée
La publication The Lancet, à l'origine de la décision de l'OMS, est basée sur un registre de données dans les hôpitaux à travers le monde. Elle porte sur un chiffre impressionnant de 96.000 patients.
Elle conclut : "dans les groupes traités, il y a un risque accru de mortalité et des risques accrus d’arythmie ventriculaire."
Cette étude comporte toutefois d’importants biais et imprécisions relevés par nombre de scientifiques.
Parmi ses défauts méthodologiques, on note les critères d’inclusion flous:
- Les doses et les durées de traitement ne sont pas précisées.
- L’étude note aussi l’utilisation de macrolides (antibiotiques) dans certains groupes sans préciser quel antibiotique.
Il est impossible de savoir qui a reçu de l’azithromycine ou bien un autre antibiotique, cela n’a pas le même impact au niveau de l’électrocardiogramme si c’est la combinaison azythromocine + hydroxychloroquine ou une autre combinaison, observe Violaine Guérin, immunologiste.
Le reportage à Montpellier de Caroline Agullo, Christophe Monteil et Frédéric Berrault.
"Il y a énormément, énormément de failles dans cette étude"
C'est notamment l'analyse du docteur Guérin, qui représente un collectif regroupant 1200 médecins libéraux à travers la France. L'immunologiste dénonce l’absence de rigueur scientifique dans cette publication The Lancet:
Ce qui nous a surpris, c’est le fait que les deux groupes traités et non traités ne soient pas comparables et en particulier sur les caractères de gravité. C’est un élément fondamental à prendre en compte pour analyser des résultats. L’étude est vendue comme un traitement précoce de l’infection COVID mais en fait, on n'a aucune idée du délai entre l’apparition des premiers symptômes et la date de traitement. On ne peut absolument pas conclure d’éléments par rapport à la mortalité. D’ailleurs, les auteurs eux-mêmes reconnaissent certaines limites à leur étude.
Le professeur Didier Raoult relève une autre incohérence de taille : "Comment se fait-il qu'il y ait 8 % de mortalité, et dans une autre étude (celle de l'IHU) près de 0%? On publie des choses qui ne sont pas dignes" martèle l'infectiologue.
"On n'a pas caché des cadavres dans le parking" ajoute le Pr. Raoult.
Dans le Midi-Libre daté du 27 mai, le professeur Reynes patron des maladies infectieuses du CHU de Montpellier commente pour sa part : "Il y a des chiffres très étonnants dans l'étude du Lancet, qu'on ne retrouve pas dans toutes les autres études déjà réalisées sur l'hydroxychloroquine, sur le niveau de mortalité cardiovasculaire par exemple. Jusqu'ici, les chiffres étaient tous similaires. Un autre biais majeur : "dans la population des personnes décédées, il y a 30 % des personnes qui avaient une cardiopathie avant de prendre le traitement. Elles n'auraient jamais dû le prendre ! Et 40 % recevaient parallèlement un autre traitement qui bloque le métabolisme, et qui a conduit à un surdosage en hydroxychloroquine. Du coup, il ne faut pas s'étonner qu'on ait ces chiffres hallucinants.
Qui amènent aujourd'hui à interdire l'hydroxychloroquine en France...
Je suis effaré de la publicité donnée à un article qui n'aurait jamais dû être publié dans une revue aussi prestigieuse que le Lancet. "
"Il était grand temps d'arrêter ces singeries" camp anti-protocole du Pr Raoult
Le chercheur montpelliérain Hervé Seitz, qui fait partie du camp anti-protocole du Pr Raoult reconnaît que l'étude du Lancet n'est pas randomisée. Une étude randomisée est une étude dans laquelle les traitements évalués sont administrés à des groupes de patients aux caractéristiques comparables. Sans groupes comparables, aucune conclusion scientifique ne peut être établie de façon formelle.
"On voit dans l’étude du Lancet qu’il y a une toxicité avec la bithérapie préconisée par le Pr Raoult qui augmente le risque de morts."
Le chercheur admet qu'il est impossible de vérifier qui, parmi les patients, a reçu de l’azithromycine ou bien un autre antibiotique. Aucune certitude donc qu'il s'agisse de la bithérapie préconisée par le Pr Raoult.
Hervé Seitz est convaincu depuis le début que la combinaison hydroxychloroquine/azythromicine est de la "poudre de perlimpinpin qui peut même s’avérer dangereuse". Il attendait depuis longtemps cette décision de l’OMS. Dans le journal le Midi Libre daté du 30 mars, il avait qualifié le professeur Raoult de "charlatan". Aujourd’hui, il se dit soulagé:
"Aucune étude honnête n’a prouvé l’efficacité de l’hydroxychloroquine et on voit même maintenant apparaitre sa nocivité, il était grand temps de mettre un terme à ces singeries. "
Dans cette bataille, les "experts" qui s’expriment sur les propositions de traitements et analysent les études tirent des conclusions diamétralement opposées. L’opinion semble être prise au piège d’une "recherche scientifique" médicale, qui confusionne à l'infini une vraie question de recherche:
Face à cette pandémie, peut-on évaluer de façon formelle la proposition de traitement en phase précoce de l’IHU de Marseille?En France aucune étude lancée par les autorités de santé ne teste le protocole précoce de l'IHU de Marseille.
" Il faut comparer des choses comparables"
"C’est très important, si on veut parler et évaluer les propositions de soins de l’équipe du professeur Raoult, de comparer des choses comparables, dans le cadre tel qu’il a été défini par cette équipe, à savoir traiter les patients de façon extrêmement précoce, dans la première phase de la maladie pour précisément éviter le passage au stade des complications, donc éviter au maximum les hospitalisations. " Violaine Guérin, immunolgiste.
Le collectif de médecins représenté par Violaine Guérin a mené sa propre étude rétrospective sur un échantillon de 88 patients - le Conseil de l’Ordre lui avait interdit de réaliser une étude sur les mille médecins COVID-19 positifs qui s’étaient portés volontaires pour s’auto-prescrire la bithérapie . Etude qui, elle, conclut à l’efficacité de la bithérapie, dès lors qu’elle est prescrite très tôt.
"L'OMS ouvre le parapluie"...et le ministre de la santé aussi!
Pour Alain Batarec, médecin généraliste retraité dans les Hautes-Pyrénées engagé dans le collectif, la décision de l’OMS se base sur une étude biaisée:
"C’est une compilation de données bien floues" résume le médecin qui s'inquiète de la décision de l'OMS:L’OMS ouvre le parapluie, les bretelles et le reste! Dans l’étude The Lancet, on n’a pas de précisions sur les électrocardiogrammes faits avant, pendant et après le traitement, c’est pourtant nécessaire afin de vérifier si c'est l’hydroxychloroquine qui est en cause.
"La décision de l'OMS apporte de l'eau au moulin au ministre de la santé pour restreindre, encore plus, l'utilisation de l'hydroxychloroquine."
Le gouvernement a abrogé mercredi 27 mai les dispositions dérogatoires autorisant la prescription de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19 à l'hôpital en France, hors essais cliniques, à la suite d'un avis défavorable du Haut conseil de la santé publique, selon un décret au Journal officiel.
Ce qui est étonnant, conclut Alain Batarec, c’est que lorsque vous allez sur le site Améli, l’hydroxychloroquine est toujours recommandée comme anti-paludéen, sans mettre en avant les effets cardiaques potentiels. C'est complètement fou tout ça. Mais à mon avis le dossier n’est pas clos ".
Les chercheurs anglais résistent
La représentante du collectif de médecins renchérit : Les Anglais ont décidé de ne pas arrêter l’étude Recovery, ils ont fait des analyses intermédiaires et ils ne trouvent aucune augmentation des effets indésirables pour le moment donc ils ont décidé de continuer alors que l’OMS a demandé que les études soient arrêtées dans le monde".Tandis que pour certains, la position de l’OMS tire enfin un trait sur un débat qui aurait dû être tranché depuis fort longtemps, pour d'autres les liens d'intérêts multiples déclarés par le premier auteur de l’étude The Lancet avec l'industrie pharmaceutique conduisent à s’interroger sur leurs motivations.
Conflits d'intérêts
L’étude Lancet a été publiée dans une revue qui fait normalement référence mais qui a du mal à garder son indépendance avec tous les financements de l’industrie. Les auteurs de cette publication ont en effet déclaré à la fin du manuscrit un certain nombre de conflits d’intérêts note Violaine Guérin.
Le premier auteur de l'étude parue dans The Lancet déclare en effet avoir perçu des financements de la part de plus d'une dizaine de laboratoires : Abbott, Medtronic, Janssen, Mesoblast, Portola, Bayer, Baim, l'Institute for Clinical Research, NupulseCV, FineHeart, Leviticus, Roivant, et Triple Gene.
Selon une étude parue dans le journal de la Société Américaine de Loi, Médecine et Éthique [2], pour éviter la corruption institutionnelle des
laboratoires pharmaceutiques, "les études prospectives concernant la mise sur le marché de médicaments devraient, entre autres, avoir des financements entièrement publics pour éviter le biais introduit par la corruption institutionnelle des laboratoires pharmaceutiques."
"Je déplore que les médecins qui font des études soient arrosés par l’industrie pharmaceutique, admet Hervé Seitz, mais hélas, c’est une pratique qui semble endémique dans le domaine médical, ça n’est pas particulier à cette étude ".
Si ces conflits d'intérêts déclarés ne retirent pas l'intégralité de la valeur scientifique de l'étude, la précipitation en France du Ministre de la Santé à demander une révision des règles dérogatoires de prescription à la suite de cette étude The Lancet et la décision de l’OMS interrogent une partie de la communauté scientifique.
Suite à la publication dans @TheLancet d'une étude alertant sur l'inefficacité et les risques de certains traitements du #COVIDー19 dont l'hydroxychloroquine, j'ai saisi le @HCSP_fr pour qu'il l'analyse et me propose sous 48h une révision des règles dérogatoires de prescription.
— Olivier Véran (@olivierveran) May 23, 2020
En dehors des essais cliniques, la France avait déjà restreint l'usage de l'hydroxychloroquine à l'hôpital uniquement et seulement pour les cas graves sur décision collégiale des médecins. Cette fois, l'interdiction pourrait aller plus loin.
Pourquoi opposer l'étude du Lancet aux travaux réalisés à Marseille?
Quelle que soit la valeur scientifique de l'étude, des chercheurs et médecins s’étonnent que la publication du Lancet soit opposée, sans réserves, à celle des travaux réalisés à l'IHU Méditerranée [3].
Outre ses failles méthodologiques, l'étude du Lancet concerne des patients avec une prise en charge en phase d’hospitalisation, moins de 48 heures après le diagnostic, avec des complications.
Dans l’étude du Lancet, ils ont pris des gens qui ont été testés par un prélèvement naso-pharyngé qui ne répond positivement qu’en début de maladie et qui ont entamé le traitement dans les 48h. Tout le monde n’a pas la même définition de ce qui est un état grave, sévère, sérieux, ce qui est sûr c’est que ces patients évalués ont dû effectivement aller à l’hôpital commente Hervé Seitz.
Une hospitalisation est en général justifiée par le caractère de gravité. Cette base de données du Lancet est une base de données de cardiologue, avec sur représentation de personnes avec des fragilités cardiaques. On s’aperçoit que ces patients là n’ont pas été traités dans le cadre de la recommandation qui a été faite par le professeur Raoult, à savoir traiter dès les premiers symptômes répond Violaine Guérin.
Pour l’opinion, il y a de quoi perdre son latin!
Une étude randomisée à grande échelle en France, « fidèlement » comparable au protocole précoce préconisé à Marseille, aurait apporté une réponse incontestable à la question de sa supposée efficacité ou inefficacité et de sa supposée toxicité ou innocuité selon l'un ou l'autre camp de scientifiques.
Près de trois mois après l’explosion de l’épidémie en France, aucun essai clinique n'a été lancé par les autorités sanitaires françaises, de sorte à apporter une réponse impartiale et indiscutable sur l’évaluation du « protocole précoce du professeur Raoult ».
La décision de l’OMS pourrait avoir pour conséquence de ne pas trancher ce débat et laisser des doutes persister.
Pour aller plus loin, les études évoquées dans cet article:
[1] Mehra, Mandeep R., et al. "Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of COVID-19: a multinational registry
analysis." The Lancet (2020).
[2] Light, Donald W., Joel Lexchin, and Jonathan J. Darrow. "Institutional corruption of pharmaceuticals and the myth of safe and effective drugs." The Journal of Law, Medicine & Ethics 41.3 (2013): 590-600.
[3] Million, Matthieu, et al. "Full-length title: Early treatment of COVID-19 patients with hydroxychloroquine and azithromycin: A retrospective analysis of 1061 cases in Marseille, France." Travel medicine and infectious disease (2020): 101738.