En raison de la crise du Covid, des compagnies aériennes sont fragilisées économiquement et repoussent la livraison de leurs commandes d’Airbus. Des dizaines d’avions neufs que l’avionneur européen est dans l’obligation de stocker dans des aéroports à travers toute la France.
Au premier coup d’œil, rien ne distingue ces avions de la dizaine d’autres, appartenant aux compagnies aériennes, stockés sur le tarmac de l’aéroport de Tarbes-Lourdes (Hautes-Pyrénées). Seules leurs immatriculations les trahissent. F-WZNS, F-WZFU, F-WZNZ, F-WZNS. Cette succession de lettres indique que ces appareils, tous fabriqués par Airbus, sont neufs et ne sont pas en activité. Pour le constructeur, ils représentent à eux seuls des milliards d'euros pour le moment "cloués" au sol.
"Nous avons des clients qui ont commandé des avions que l’on a produit mais qui n’ont pas été livrés" reconnait le PDG de l’avionneur européen, Guillaume Faury dans une interview accordée à France 3 Occitanie le 18 février 2020. Selon le patron d’Airbus, "135 avions étaient dans cette situation à la fin du troisième trimestre. Un chiffre passé sous la barre des 100 en fin d’année 2020".
En recoupant plusieurs sources disponibles sur internet et en allant vérifier sur place*, France 3 Occitanie a réussi à identifier 72 appareils (à la date du 14 février 2021) sur quatre aéroports français : Châteauroux-Déols, Tarbes-Lourdes, Francazal et Blagnac. L'ensemble de ces avions sont recensés dans la carte ci-dessous.
Douze milliards de dollars immobilisés
Sur ces 72 avions : 32 sont des modèles A320, 26 sont des A350, 14 des A330. La totalité de ces appareils représente une valeur de plus de 12 milliards de dollars immobilisés.
Des noms de compagnies aériennes reviennent avec insistance dans la liste de ces Airbus non-livrés : Aeroflot, Air Asia, Chengdu Airlines, China Eastern Airlines, Hainan Airlines, Hong Kong Airlines, S7 Siberia Airlines ou encore Sky Airline.
Airbus neuf stockés by France 3 Tarn on Scribd
Certaines d'entre-elles sont affiliées au groupe chinois HNA déclaré en faillite au début de l'année 2021. La chute du trafic liée à la pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet ce conglomérat. Selon l'agence Reuters, Hainan Airlines a perdu les deux tiers de ses revenus sur les neuf premiers mois de 2020.
HNA, Aeroflot, AirAsia
Déjà en difficulté financière avant la crise sanitaire, HNA n'a pas réussi à prendre livraison de plusieurs avions. Plusieurs appareils aux couleurs des compagnies Hainan Airlines et Hong Kong n'ont pas bougé de France depuis leur construction en 2018, dont un stock d'A330 commandé par HNA estimé par l'agence Reuters, il y a trois ans au prix catalogue pour 1,6 milliard de dollars (1,4 milliard d'euros).
L'A330-941 de la compagnie brésilienne Azul, dans laquelle HNA détient une participation, stationne depuis décembre 2020 à l'aéroport de Chateauroux et ne devrait être livré, selon les informations de France 3 Occitanie qu'en novembre 2021.
La compagnie russe Aeroflot devrait prochainement accueillir un nouvel Airbus A350-900. Le deuxième sur les 15 commandés selon le site spécialisé Air-Journal. Six A350 et quatre A320neo attendent toujours sur l'aéroport du constructeur à Blagnac et sur celui de Châteauroux.
Selon les constatations de France 3 Occitanie, la compagnie Air Asia, dont les difficultés financières sont également connues, comptait six avions stockés en France à la mi-février 2021 (cinq A330 et un A320 néo). En avril 2020, Airbus remettait en vente six appareils non livrés à AirAsia : quatre A320neo et deux A321neo. Reuters expliquait alors : "En recourant à cette pratique, Airbus prend un premier risque : celui d'inciter d'autres compagnies aériennes à renoncer à prendre livraison d'avions commandés.(...) Le second risque auquel Airbus s'expose, c'est de provoquer lui-même une baisse du prix plancher de ses appareils. "
"Une situation critique mais gérable"
"Oui c’est une situation qui est critique mais par rapport à l’ampleur de la crise du Covid cela reste très gérable" estime Guillaume Faury.
Selon un expert du secteur, qui souhaite rester anonyme, "Airbus a préféré continuer à produire pour écluser ce qu’il avait dans ses tuyaux". L’année 2021 devrait servir "à écluser" ce trop-plein mais le constructeur européen sera sûrement amené à faire des gestes commerciaux s'il souhaite vendre ces appareils : "Ce sont quand même des avions neufs qui n’ont pas d’heures de vols. C’est sûr qu’un avion est stocké six mois un an, cela vieillit un peu. A Tarbes, la société (Tarmac Aérosave dont Airbus est actionnaire) en charge de l'entretien de ces avions effectue des inspections régulières pour les maintenir en bon état. Je pense qu’Airbus fera des gestes commerciaux. Mais ce discount n’est de l’ordre que de quelques pour cent". Des baisses de tarifs qui pourraient se situer aux alentours de 4 à 6 % du prix de vente initial.
Des avions livrés et aussitôt stockés
L'ensemble de ces appareils ont vu leur livraison repoussée. Mais au début de l'année 2021, des avions ont bien été livrés à leur compagnie aérienne mais ont été aussitôt stockés. C'est par exemple le cas, en janvier dernier, de deux A320-271 néo de Vietnam Airlines qui ont effectué un vol, au départ de Blagnac, pour atterrir à peine 8 minutes plus tard sur l'aéroport de Francazal.
"Cela peut être du "livré non facturé" analyse notre expert. Airbus peut accepter de stocker l’avion contre un loyer et des conditions de paiement avantageuses pour Vietnam Airlines. Cela permet à tout le monde d’être content. Airbus dit j’ai livré ces avions et il les compte dans leurs livraisons. Dans un contexte normal, ils auraient dit "on ne livre pas". Tout se négocie dans cette période. Il y a beaucoup de créativité à faire valoir pour que cela se passe bien et que l’on ne perde pas un client."
Au cours des prochains mois, la stratégie d’Airbus va consister à maîtriser au mieux son carnet comprenant plus de 7000 commandes "Il y aura et il y a des compagnies qui sont en difficulté, constate le PDG d'Airbus. Il y a érosion d’une partie du carnet de commandes à laquelle on se prépare puisque cela va arriver. Ce carnet de commandes a été un amortisseur de crise pour Airbus puisque l’on a pu gérer dans le temps, le court terme, le moyen terme et le long terme".
L'avionneur devrait avoir une certaine marge de manœuvre selon notre spécialiste aéronautique : "Si Airbus perd un tiers de ses commandes, il lui restera quand même près de 5000 avions à produire. Tout le jeu va être de réaffecter les avions de ces compagnies à risque ou qui annulent des commandes à des compagnies qui marchent mieux et auraient besoin d’avions plus rapidement. Dans ce cas, je ne vois pas un grand risque pour Airbus. C’était démesuré ce carnet de commandes et même aberrant dans l’industrie".
*Méthodologie pour réaliser la liste des avions stockés
Plusieurs sources sur internet permettent de recenser une grande partie de ces appareils stockés. Les sites de spotters, ces passionnés d'aviation qui parcourent les aéroports et aérodromes pour observer, répertorier, prendre des photos d'avions et/ou notes diverses (photos d'empennage, immatriculations, entre autres), couplés aux photos des agences des presse, permettent d'obtenir l'immatriculation des avions stockés et le nom de la compagnie à qui l'appareil est destiné.
L'ensemble de ces données peuvent être recoupées à partir de site de données concernant les avions produits par Airbus.
Enfin, le site flightradar24 , qui suit l'ensemble du trafic aérien, permet de connaître les derniers déplacements d'un avion.
Une fois l'ensemble de ces données recoupées, nous sommes allés recouper de visu nos informations sur deux sites, ceux de Francazal et Toulouse-Blagnac.