Il y a deux ans, en réponse à l'assassinat de Samuel Paty, Gilles Roumieux, professeur d'histoire-géographie à Alès dans le Gard, publiait le livre "Touche pas à mon professeur". Un condensé de réflexions d'adolescents, qui questionnent démocratie, laïcité et liberté. Aujourd'hui, alors qu'un drame du même acabit s'est déroulé à Arras vendredi dernier, l'enseignant met plus que jamais en avant le besoin de faire confiance aux professeurs.
Silence. À 14 heures ce lundi 16 octobre 2023, une partie de la France s'est arrêtée. Dans les collèges et les lycées, élèves et enseignants ont rendu hommage à Dominique Bernard, professeur de français tué vendredi 13 octobre 2023 dans un lycée d'Arras. Le collège d'Alès, où enseigne Gilles Roumieux, n'a pas fait exception.
"Les émotions étaient partagées entre de la sidération, de la peur... Mais aussi de l'incompréhension de la part des élèves." Selon Gilles Roumieux, auteur du livre Touche pas à mon professeur qui fait écho au meurtre de Samuel Paty, ses collégiens ont été surpris par le déroulé de l'hommage. "Pendant le temps d'échange qui a précédé la commémoration, ils se sont demandé pourquoi la minute de silence se déroulait en classe, et non pas dans la cour, tous ensemble."
Former aux questions démocratiques
Le professeur parle en souriant, plus effaré qu'amusé. "En tant qu'enseignant il est important que l'on puisse répondre aux interrogations des élèves et porter leur parole. Ce que j'ai constaté pendant ces dernières 72 heures, c'est le manque de formation des profs qui n'enseignent pas l'histoire-géo."
Gilles Roumieux prend l'exemple du brief qui a précédé la minute de silence. Les enseignants qui avaient une classe à charge au moment de la commémoration ont dû recevoir une formation express de la part de leurs collègues historiens et géographes, pour s'assurer de la bonne portée de leurs propos.
"Nous avons besoin de personnel formé, capable de trouver les bons arguments pour répondre aux questions des jeunes. Cet hommage a mis en évidence le manque de formation du corps enseignant sur des sujets comme la laïcité ou la liberté d'expression."
La place de l'enseignant
En 2021, quelques mois après la mort de Samuel Paty, Gilles Roumieux avait entamé le projet Touche pas à mon professeur, livre-brochure qui pose la question - finalement pas si évidente - "c'est quoi un prof ?". Aujourd'hui, le professeur d'histoire-géographie y répond instinctivement : "Le prof c'est une figure d'autorité. Ou plutôt il l'était. Et cette figure doit redevenir un point de convergence pour diffuser les valeurs de la République".
"Quand je vais chez mon dentiste, ou quand je vais voir un artisan, j'ai confiance en leur compétence et leur professionnalisme. Un enseignant doit toujours se justifier, se retrouve souvent seul... Le manque de soutien hiérarchique, qui fait figure d'autorité morale, expose le corps enseignant aux critiques et à des drames comme ceux que l'on a connu ces dernières années. Le manque de formation, de personnel et de suivi met les enseignants en danger."
Sortir des relations verticales
Pour autant, Gilles Roumieux n'appelle pas à une confiance aveugle envers les fonctionnaires de l'éducation nationale. Au contraire, il incite les élèves et leurs parents, mais aussi toute personne se posant des questions sur la place des professeurs et sur les enjeux de l'éducation aux valeurs de la démocratie, à venir dialoguer.
"Tout le monde a le droit à la parole, c'est justement ça la démocratie, mais il faut aussi savoir rester raisonnable, s'investir, créer une relation horizontale. La confiance c'est comme une toile de peintre, chacun doit y déposer sa touche de peinture, sans ruiner le travail de l'autre. Et c'est ça qui donnera quelque chose de puissant."