Le Sénat a rejeté jeudi une proposition de loi visant à interdire les corridas aux moins de 16 ans, suscitant la déception des défenseurs de la cause animale. Claire Starozinski, présidente de l’Alliance anticorrida, regrette "une occasion manquée" d'aligner la France sur les recommandations de l’ONU. Les partisans de la tauromachie saluent de leur côté une victoire pour la préservation des traditions locales.
"Une fois encore, la France a raté l'occasion de se mettre en conformité avec les recommandations du comité des Droits de l'Enfant (de l'ONU), qui a recommandé d'interdire l'accès des mineurs aux spectacles de tauromachie", a regretté Claire Starozinski, présidente de l'Alliance anticorrida, après le rejet au Sénat d'une proposition de loi interdisant la corrida aux moins de 16 ans. Ce texte, défendu par la sénatrice macroniste Samantha Cazebonne, visait à préserver les jeunes spectateurs de scènes jugées "traumatisantes".
La proposition a été rejetée jeudi par une large majorité de sénateurs, avec 237 voix contre et seulement 64 pour. Cette issue, bien que peu surprenante au sein d'un hémicycle marqué par une majorité de droite et de centristes, a relancé le débat houleux entre défenseurs des traditions locales et partisans de la cause animale.
"Le devoir de protéger leur innocence"
Pour les opposants à la corrida, l’enjeu est clair : "est-il acceptable que les mineurs soient témoins de la souffrance d'un être vivant, alors que leur compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation ? Nous avons le devoir de protéger leur innocence", a argumenté Cazebonne, soutenue par plusieurs élus et associations, dont la SPA.
Mais les partisans de la corrida ont farouchement défendu ce qu’ils considèrent être une "tradition locale ininterrompue". Selon eux, ce texte aurait menacé l'existence même de la tauromachie en France. "En considérant que seuls les parents ont le droit d'inclure ou pas la culture taurine dans l'éducation de leurs enfants (...) le Sénat a franchi une étape importante sur le chemin de la protection définitive de la corrida en France", a salué l'Union des villes taurines françaises (UVTF).
"Respectons nos identités, respectons notre culture et laissons aux parents le choix de (la) transmettre !" a lancé Laurent Burgoa, sénateur LR du Gard, en écho aux nombreux élus qui ont plaidé pour une liberté parentale. Le ministre de la Justice Didier Migaud, de son côté, a souligné l'aspect juridique du débat, qualifiant le projet de "disproportionné" et risqué pour l'autorité parentale. "L'État ne doit pas intervenir (sur l'autorité parentale) sous peine de se montrer paternaliste, voire invasif, et in fine de déresponsabiliser les parents", a-t-il ajouté.
Condamner la corrida "à une mort certaine"
Certains sénateurs ont également critiqué les sanctions lourdes prévues dans le texte, notamment cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende pour les organisateurs de corridas autorisant la présence de jeunes spectateurs. "Sanctionner un organisateur de spectacle pour la présence d'un jeune dans le public est complètement incohérent", a estimé Louis Vogel, rapporteur Horizons sur ce texte.
Outre le débat sur la protection de l’enfance, la question économique des territoires concernés par la tauromachie a aussi été soulevée. "Priver de spectacles les familles qui souhaitent s'y rendre, parfois par passion, mais simplement aussi par curiosité ou pour se forger une opinion, c'est aussi priver ces territoires d'une attractivité particulière", a affirmé Cécile Cukierman, sénatrice communiste.
Pour d'autres, cette proposition d’interdiction n'était qu'un prétexte pour s’attaquer à la corrida en elle-même, comme l’a exprimé Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques : "plus habilement qu'en prônant l'interdiction totale, (ce texte) poursuit les mêmes visées : empêcher toute transmission aux jeunes générations et donc condamner la corrida à une mort certaine".
Ce vote intervient deux ans après l'examen interrompu d’un projet similaire porté par le député LFI Aymeric Caron, visant alors une interdiction totale de la corrida. Une proposition que l'Assemblée nationale n'avait finalement jamais tranchée.
Écrit avec l'AFP.