Des Landes au Gard, du Pays basque aux Bouches-du-Rhône, les villes taurines se mobilisent pour défendre la corrida. Des manifestations sont annoncées samedi 19 novembre 2022 dans une douzaine de villes pour s'opposer à la proposition de loi du député LFI Aymeric Caron qui veut l'abolir.
A Alès, Arles, Auch, Bayonne, Béziers, Dax, Istres, Langon, Mont-de-Marsan, Nîmes, Pau ou encore Perpignan, c'est un peu la mobilisation générale. Des marches d'élus de tous bords, d'aficionados et d'amateurs de traditions locales, sont annoncées samedi 19 novembre 2022 dans une douzaine de préfectures ou sous-préfectures du sud de la France.
Les manifestants souhaitent "déposer une motion de défense de la liberté culturelle" dans toutes ces régions "aux jeux taurins ancestraux", comme l'explique André Viard, président de l'Observatoire national des cultures taurines, co-organisateur de ces rassemblements.
"Vu de Paris"
Dans les villes de ferias, qui drainent passionnés de tauromachie, habitants et touristes, la proposition de loi du député LFI Aymeric Caron pour "abolir" la corrida passe très mal. "Le député Caron, sur un terrain très moralisateur, veut nous expliquer - vu de Paris - ce qui est bien ou mal pour les gens du sud. Or, les députés ne sont pas élus pour démanteler les diversités des territoires mais pour les défendre", fustige le maire de Mont-de-Marsan, Charles Dayot, vice-président de l'Union des villes taurines de France.
Le département des Landes compte le plus d'arènes en France, une quinzaine accueillant des corridas ou novilladas et des dizaines d'autres pour les courses landaises. Environ huit spectacles sont organisés chaque année dans celles du Plumaçon à Mont-de-Marsan. Pour les fêtes de la Madeleine en juillet, "on a perdu quelques abonnés, comme dans les théâtres, depuis le Covid. Mais les corridas restent excédentaires, un des rares spectacles vivants à ne pas coûter d'argent au contribuable", poursuit l'édile.
Plusieurs millions d'euros de recettes
Avec "plusieurs millions d'euros de recettes" dans les arènes centenaires de Dax (8.000 places), elles permettent de "financer une partie des férias" du 15 août, qui attirent 800.000 personnes, confirme à l'AFP le maire de la ville, Julien Dubois. En 2020 et 2021, quand le Covid a annulé les fêtes, des corridas y ont été maintenues en demi-jauge.
La tauromachie, c'est notre identité, une culture vivante. Qu'on nous laisse vivre avec nos traditions !
Julien Dubois, maire de Dax.
Même son de cloche à Orthez, dans les Pyrénées-Atlantique, dont le maire Emmanuel Hanon voit dans la proposition de loi un "premier rouage", avant de "s'en prendre au gavage des canards à foie gras, à la chasse, la pêche..."
"L'heure est grave", entend-on à Nîmes. Une motion municipale a été adoptée dans la cité gardoise où la corrida moderne est présente depuis 1853 et où les férias génèrent "près de 60 millions d'euros de retombées". Les élus défendent la corrida qui portent selon eux "des valeurs universelles : sociales, esthétiques et même éthiques. Elle n'est ni un sport, ni un jeu. Elle est plus qu'un spectacle. Elle n'est pas tout à fait un art, ni vraiment un rite. Elle emprunte à toutes ces pratiques et ces valeurs qui en font la culture même".
Les anti-corrida prêts au combat
Ce discours, les anti-corrida ne peuvent pas l'entendre. A Béziers dans l'Hérault, Sophie Maffre-Baugé, présidente du Comité de liaison biterrois pour l'abolition des corridas, dénonce le "soutien indéfectible" du maire, Robert Ménard, "à cette pratique indigne et moralement inacceptable". Les opposants mettent en avant les sondages. Près de 9 Français sur 10 souhaitent voir la fin de la mise à mort des taureaux dans les corridas et 74% des Français interrogés s’opposent aux corridas, selon un sondage IFOP commandé par la Fondation Brigitte Bardot en février 2022.
Et le combat se fera aussi dans la rue. L’association One Voice et le collectif Ensemble pour l’Abolition, ainsi que différentes autres structures (CRAC Europe, Stoppons la Corrida, etc.) organisent partout en France des rassemblements les 19, 20 et 24 novembre, pour soutenir la proposition de loi d'Aymeric Caron. Des manifestations sont prévus à Perpignan, Béziers, Montpellier et Nîmes ce même 19 novembre.
Favorable à cette interdiction, la SPA a lancé de son côté une grande campagne de sensibilisation en détournant les affiches traditionnelles. "Et si c’était un chien (un chat), accepteriez-vous qu’il soit tué ‘au nom de la tradition’ ?" peut-on lire sur ces affiches qui met en scène un torero s’apprêtant à porter l’estocade, non pas à un taureau mais à un chien, ou dans une seconde version, à un chat, au centre d’une arène.
"Qui aime la tauromachie ne voit pas un animal souffrant mais un animal qui a vécu libre et combat jusqu'à la mort pour défendre sa liberté", répond le philosophe Francis Wolff. Professeur émérite à l'École normale supérieure, il est l'auteur d'un ouvrage défendant la corrida, une "culture très difficile à comprendre pour qui est extérieur". Pour lui, si une telle loi passait, "les gens d'ici auraient le sentiment qu'on leur arracherait une part d'eux-mêmes".
Le gouvernement opposé à l'interdiction
Bien qu'elle divise la majorité, la proposition de loi du député LFI Aymeric Caron a peu de chances d'aboutir. Mardi 15 novembre 2022, le gouvernement a officiellement annoncé qu'il allait s'y opposer, ne souhaitant pas revenir sur la corrida "dans les endroits où elle est aujourd’hui autorisée, c’est-à-dire les endroits où elle est une pratique continue depuis des décennies". Interrogé par franceinfo.fr, l'exécutif appelle à "respecter ce qui fait l’identité de certains territoires que l’on apprécie ou pas la corrida". Marc Fesneau, le ministre de l'agriculture avait déjà déclaré que la corrida fait partie "des traditions culturelles françaises " et n'avait pas caché le 8 novembre dernier que ce texte n'était "pas opportun".
Un temps pressenti, Eric Dupond-Moretti, passionné de tauromachie, ne mènera finalement pas le combat contre ce texte. C'est la secrétaire d’Etat à la Ruralité, Dominique Faure, qui a été désignée à sa place. La proposition de loi, examinée en commission ce mercredi 16 novembre, devrait être soumise au vote de l'Assemblée nationale le 24 novembre si l'ordre du jour le permet dans le cadre de la niche parlementaire réservée à LFI.
Avec AFP.