C'est l'unique élevage de crevettes en Occitanie, l'un des rares dans l'Hexagone. Ancien vétérinaire et agriculteur à ses heures, Géraud Laval a fait ce pari fou mais très réfléchi de produire des crevettes en terre gersoise. Une production respectueuse de l'environnement, des ressources et qui ne craint pas le réchauffement climatique.
Élever des crevettes en plein Gers, quelle idée saugrenue ! De prime abord, on se dit que le projet de Géraud Laval est un peu fou. En rencontrant le créateur de Gambas d'Ici, on ne peut que constater que c'est au contraire très réfléchi et plein de bon sens.
Une espèce adaptée au réchauffement climatique
Cet été, plusieurs piscicultures se sont retrouvées en galère face aux fortes chaleurs. Si les thermomètres s'affolent, ils ne donnent pas de sueurs froides à Géraud Laval. Le Gers vient de battre un record de température (42°C fin août) mais dans les 3 bassins de Géraud Laval, la température de l'eau est à 28,1°C.
"On est chaud, c'est super. C'est une température dans l'optimum de l'espèce qui est entre 28 et 31°C. En journée, ça peut monter d'un ou deux degrés mais pas plus. Cette espèce survie jusqu'à 35°C donc aucuns soucis. Si l'été s'allonge avec des températures très chaudes en automne, j'aurai même des rendements qui augmenteront. Mais c'est intéressant d'avoir des valeurs en dessous de 28°C car les femelles ne pondent pas et mettent toute leur énergie dans la croissance et les mâles qui sont très agressifs diffèrent leur période de reproduction".
En écoutant Géraud Laval, on se dit qu'il connaît parfaitement son sujet. Et pour cause : formé à l'Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, il a beaucoup voyagé, notamment en Ethiopie et en Asie pour suivre de plus près les pratiques d'élevage extensif en milieu traditionnel non industrialisé. Son idée a été mûrement réfléchie et depuis 2017, il développe ce projet inédit en France.
Une exploitation respectueuse de l'environnement...
Sur un hectare et demi, il a implanté 3 bassins en terre, avec 3 niveaux différents pour pouvoir faire circuler l'eau naturellement par gravité.
La production est en circuit fermée : pas de rejet dans les cours d'eau et rivières, pas de pompages excessifs. "Ce système de production ne nécessite pas beaucoup d'eau car je suis en circuit fermé. Je n'ai pas besoin de dériver l'eau de la rivière. Les bassins font juste un mètre de profondeur. Même avec très peu d'eau, la crevette vit au fond et elle est bien. Il faut faire attention en fin de saison quand il fait froid car en dessous de 14°C, elle peut mourir."
La même eau circule entre les bassins lors du vidage pour la récolte. L'eau est donc réutilisée. "Je peux faire ça car c'est un élevage semi-extensif avec seulement 3-4 crevettes au m2. L'eau n'est pas polluée par les animaux, elle reste saine, il y a très peu de déjections".
Le crevetticulteur -qui a sa propre écloserie pour faire naître les petites- place donc les crevettes à la fin du mois de mai pour les récolter au mois de septembre, avant que les températures ne baissent trop. L'exploitation consomme peu d'énergie, seulement un aérateur d'eau à pales nécessaire les moments de fortes chaleurs.
... et économe en ressources
Consommateur de peu d'énergie, cet élevage de crevettes est également économe en ressources : l'eau comme la nourriture. Avant d'installer les crevettes, ce producteur gersois prépare les bassins. "Un mois auparavant, on peut mettre de la matière pour fertiliser le bassin, ce qui permet par la suite de donner moins de nourriture. Je suis agriculteur donc je mets du fumier mais aussi des bottes de foin. On pourrait également mettre de la drêche d'une brasserie. Je suis dans le Gers où l'on produit beaucoup de tournesols donc j'y mets aussi du tourteau de tournesol."
Les crevettes se nourrissent aussi des éléments naturels contenus dans l'étang : insectes, vers, invertébrés benthiques, planctons, etc... Ensuite, l'éleveur complète la nutrition par des granulés de luzerne. "Je n'utilise pas de la farine de poisson. C'est une ressource rare, pêchée à l'autre bout de la planète au Pacifique ou au large de l'Afrique (Mauritanie en particulier). Ici, les crevettes trouvent leurs besoins nutritionnels dans les proies qui sont dans l'étang. Je rajoute des granulés consommés en partie, l'autre partie se délite dans le bassin et apporte de l'azote qui va fertiliser et démarrer la chaîne alimentaire."
Difficile d'apercevoir ces crevettes dans les bassins car l'eau est un peu verte, du fait de tous ces éléments présents.
Reportage France 3 Occitanie : B.Roux E. Coorevits S. Grosset P. Bidart
Un concept qui ne demande qu'à se reproduire
Cette dernière semaine d'août, notre éleveur avait de la visite. Car son idée ne demande qu'à être reproduite et une petite dizaine de stagiaires était là en formation. Seulement voilà, la préfecture du Gers a bien donné son feu vert à Géraud Laval mais ailleurs, les autorités refusent. Pourquoi ? Par peur de reproduire ce qu'il s'est passé pour les écrevisses américaines de Louisiane. "C'est impossible car mon élevage est en circuit fermé, c'était une demande explicite de l'administration. Il n'y a pas de rejet d'eau et les crevettes ne peuvent pas s'échapper. Il ne faut pas oublier qu'en dessous de 14°C, elles meurent donc la propagation n'irait pas bien loin. De plus, pour se reproduire, il lui faut des conditions particulières (eau salée, saumâtre) qui n'existent quasiment que dans les mangroves". Paroles de vétérinaire documenté.
Dans l'Ain et la Dombes où il y a beaucoup d'élevages de poisson, la Préfecture refuse toutes les autorisations. Pourtant, de toute la France, des stagiaires sont venus pour suivre une formation et reproduire dans leur localité le concept. Xavier Goetschy est venu de la région Grand-Est. "Je trouve ça extrêmement précurseur pour exploiter des bassins qui sont peut-être mal exploités aujourd'hui. Je suis en reconversion avec ma compagne. Nous avons repris une pisciculture de salmonidés, donc des truites. Avec le réchauffement climatique, je me dis qu'on ne pourra peut-être plus bientôt en faire. Ici, l'élevage va avec un respect de la nature, on nourrit peu, il y a très peu d'entrants. On laisse la nature faire et à la fin, on arrive à récolter un produit qui, de mon point de vue, est assez exceptionnel."
Gersois comme Géraud Laval, Alexis Heimroth élève des canards gras. Il est venu voir cette production pour en faire un complément de revenu, au moment où la grippe aviaire laisse planer beaucoup d'incertitudes chez les producteurs de canards. "On essaie de développer la vente locale sur un secteur et c'est important de proposer de la diversité. Pour la filière du gras, ça devient très compliqué. Avec la crevette, il y a moins de concurrence et moins d'aléas. Géraud fait partager ses retours d'expériences. La production de crevettes semble sécurisante. C'est une bestiole assez rustique qui peut vivre dans des eaux non renouvelées. Ça me paraît faisable même pour moi qui ne suis pas pisciculteur."
Il ne reste plus qu'à convaincre les autorités sanitaires et le ministère de l'agriculture très prudent sur le dossier.
Vente en circuit court
Pendant 4 mois (de fin mai à fin septembre), Géraud Laval produit des crevettes. Quand les eaux sont plus froides, des truites prennent place.
Les crevettes nées sur place sont installées dans les bassins où elles grandiront pour atteindre les 30-40g. Vu la faible densité (3-4 crevettes au m2), elles se développent tranquillement.
La France est un gros consommateur de crevettes (110 000 Tonnes soit 2Kg environ par an et par habitant ). Elles sont importées d'élevages intensifs, contenant des allergènes et jamais fraîches.
Dans le Gers, quand c'est le moment de la récolte, le bassin est vidé dans l'étang inférieur et les crevettes sont vendues sur place. "Je vends directement au consommateur la plupart de ma production. Quand je vidange un bassin j'ai 200-300 kg de crevettes et je les vends ici en faisant des animations. Le matin, les gens peuvent visiter l'exploitation. Ensuite je propose des assiettes de dégustations avec des gambas cuites à la plancha. On peut aussi les emporter. Je vends également à des restaurateurs du Gers ou de Toulouse, plutôt pour des restaurants gastronomiques."
La crevette est fraîche, vendue en circuit court et ça change tout au niveau du goût. C'est de la production locale. Même si on est loin de la mer, on peut faire de la crevette en eau douce.
Géraud Laval, producteur de crevettes dans le Gers
Il faut prévoir de rajouter un peu de sel car il n'y a pas le goût iodé produit par la mer. 900 d Kg de crevettes sortent de ses étangs, vendues sur place pour un prix de 38€ le Kg. Prochaines ventes sur l'exploitation : les week-ends des 23 et 24 septembre et des 7 et 8 octobre 2023.
Preuve que la Gambas d'ici est différente de la crevette de là-bas : "Alors surtout, sucez la tête car il y a beaucoup de saveurs", recommande l'éleveur gersois.