Le gouvernement s’était engagé à ce que l’intégralité des aides de la PAC soit versée aux agriculteurs au 15 mars 2024. Une semaine plus tard, ce n’est toujours pas le cas. C'est l’un des nombreux points de crispation entre le monde agricole et l’Etat. Dans les exploitations, c’est un secret de polichinelle, la gronde va repartir de plus belle.
Dans l’Aveyron comme dans de nombreux départements, c’est un indice qui laisse peu de place au doute. À l’instar des panneaux de communes au mois de janvier, les radars sont pris pour cible par le monde agricole. Bâchés, ou recouverts de pneus, ils sont surtout annonciateurs d’un retour de la gronde, qui n’était finalement pas partie bien loin.
Pour Thomas Klunker, co-secrétaire général des Jeunes Agriculteurs de Haute-Garonne, "le gouvernement s’est contenté de mesurettes. On veut qu’il respecte ses engagements. Depuis les annonces en février, on ne constate aucun changement, toutes nos difficultés sont toujours présentes", se désole le céréalier.
Lundi 18 mars, il était, avec son syndicat, à l’initiative d’une nouvelle manifestation devant l’Agence des services de paiement, à Balma, pour réclamer l’argent non versé des aides de la PAC. "Gabriel Attal nous avait promis que tout serait versé au 15 mars. Mais ce n’est pas le cas. Chez certains confrères, il manque jusqu’à 50% des aides, ça peut représenter jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros."
Mais depuis la manifestation, "rien n’a changé. On reçoit toujours les aides de la PAC au compte-goutte, dénonce Thomas Klunker. Là, c’est sûr, ça va repartir." Ce qui va repartir, ce sont les mobilisations des agriculteurs, à grande ampleur. Mais pas certain que l’on assiste de nouveau à des blocages autoroutiers.
L'influence de Jérôme Bayle
C’est Jérôme Bayle, éleveur bovin haut-garonnais, qui le premier avait initié le mouvement, en janvier. Sur l’A64, au niveau de Carbonne, il avait coupé l’herbe sous le pied aux syndicats historiques, entraînant derrière lui un mouvement national.
Deux mois plus tard, toujours pas question pour le quarantenaire de se syndiquer, il a décidé de monter sa propre association d’agriculteurs : « Les Ultras de l’A64 ». Derrière ce nom aux allures de club de supporters, un regroupement d’agriculteurs de Haute-Garonne, en grande partie non-syndiqués. "L’idée, c'est de peser dans les échanges sur l’avenir de notre métier, mais certainement pas de court-circuiter les syndicats", désamorce l’éleveur. Le vice-président de l'association, Bertrand Loup, fait d'ailleurs partie de la FDSEA 31. Avec presque 200 adhérents, l’association commence à se structurer. Elle prendra sans doute toute son ampleur lors de prochaines mobilisations. Mais lesquelles ?
Vers une convergence des luttes ?
"On réfléchit à changer de stratégie, assure Jérôme Bayle. On a peur de se mettre les Français à dos, c’est vrai. Mais qui vous dit qu’ils ne vont pas venir manifester à nos côtés ? On ne peut pas dire que le pays aille bien, dans pas mal de secteurs…". Le Haut-Garonnais caresse l’espoir d’une convergence des luttes, mais reste énigmatique quant à la forme qu’elle pourrait prendre, "on a des idées, mais on les garde pour nous pour le moment."
Syndiqués et non syndiqués s’accordent sur le redémarrage prochain de la mobilisation. Mais la stratégie actuelle des syndicats, et leur pression quasi-quotidienne sur le gouvernement divise au sein de la profession.
Cédric Daure est éleveur de vaches laitières, à Pointis-Inard, en Haute-Garonne. Non-syndiqué, il s’est décidé à rejoindre la nouvelle association de Jérôme Bayle. Pour lui, la FNSEA et les JA emploient la mauvaise stratégie. "Ils ont démarré le mouvement une semaine après tout le monde en janvier, et maintenant, ils maintiennent une pression énorme sur le gouvernement. Ils feraient mieux de les laisser travailler, et de demander des comptes dans deux ou trois mois."
Pour Cédric Daure, la position des syndicats est contre-productive : "C’est comme quand on est malade, et qu’on prend un antibiotique. Dans les cinq minutes qui suivent ça ne va pas mieux, il faut laisser le temps d’agir."
Jérôme Bayle, de son côté, reconnaît la bonne volonté du gouvernement dans ses propositions, mais il dénonce un système qui se mord la queue : "On dirait que l’administration fait tout pour que les mesures du gouvernement n’entrent pas en vigueur. Par exemple, il y a un travail qui est mené pour développer les filières en circuit court. Mais de l’autre côté, le préfet de Haute-Garonne suspend l’agrément de l’abattoir de Boulogne-sur-Gesse, qui est notre principal outil de travail. On fait 1 pas en avant, puis 3 pas en arrière."
Des priorités à déterminer
Sur les revendications à faire entendre en priorité aussi, chacun a sa vision des choses. La FNSEA a présenté au gouvernement 5 blocs de priorités : l'élevage, la question de l'eau et des pesticides, la compétitivité, la trésorerie et les retraites. Un éventail large, en attendant des mesures concrètes.
Pour Thomas Klunker des Jeunes Agriculteurs, le plus urgent, c’est la trésorerie des exploitations. "On veut du concret, appuie-t-il. On est dans le département avec le plus faible revenu par agriculteur (environ 6000€ par an, ndlr). Il y a urgence à percevoir des aides financières. Parce qu’en attendant, on contracte des prêts, et on s’endette."
Pour Jérôme Bayle, le point le plus important, sans aucun doute, "c’est l’énergie. C’est la base de tout. Avec la hausse des coûts de l’énergie, on est obligé de vendre plus cher nos productions pour être rentables, mais derrière le consommateur, il n’achète pas."
Dans le viseur de l’agriculteur, le Gasoil non routier (GNR). Un sujet pourtant déjà abordé par le gouvernement, qui a décidé de geler les nouvelles taxations. "Sauf que depuis, les prix ont augmenté de 20 ou 25 centimes par litre. Moi, ça représente un budget de 20.000€ par an, c’est énorme."
Cédric Daure, lui, espère avant tout une réponse scientifique à la MHE, surnommée "le covid de la vache". Son exploitation, comme tant d’autres, n’y a pas échappé. "J’attends un vaccin au plus vite, mais j’imagine que pour les laboratoires, il n’y a pas un grand intérêt économique", concède-t-il sans grande illusion.
Un risque de division du mouvement
Une chose est sûre, dans son engagement, le producteur laitier se fie désormais uniquement aux "Ultras de l'A64", l’association fondée par Jérôme Bayle. "Si les syndicats repartent en mobilisation, je ne pense pas que j’irai. Je préfère m’impliquer dans la vie agricole via l’association de Jérôme. Je me reconnais dedans."
S'il n'y a officiellement pas de volonté de concurrence entre l'association du Haut-Garonnais et les syndicats historiques, le désamour pour la FNSEA et les JA n'a jamais paru si marqué. À tel point que des agriculteurs d'autres régions comptent s'inspirer du travail de Jérôme Bayle, pour eux, aussi, monter leurs associations, et se structurer en dehors des syndicats.