A l’heure où beaucoup aspirent à changer de vie, l’ouvrage de Laurent Schmitt semble essentiel. Ces changements sont-ils vraiment les nôtres ou ceux issus de notre éducation voire ceux que la société nous suggère ? Et au-delà, qu’est-ce qui impulse notre destin ?
Est-ce vraiment nous qui décidons de changer de vie ? Cette question est au cœur de l’ouvrage du médecin-auteur. À travers des parcours de personnalités plus ou moins connues, mais aussi de patients, il va tisser son raisonnement. Ne sommes-nous pas poussés par des déterminismes, familiaux ou sociétaux. Tout cela au détriment d’autres aspirations plus personnelles à côté desquelles nous passons ?
À côté de cette quête de liberté apparaît le besoin d’un nouvel espace imaginaire. Il est intéressant de voir combien de jeunes professionnels de l’économie, de la finance, des métiers de l’ingénieur cherchent dans une période de souci écologique et de post‐pandémie des métiers différents fondés sur la création individuelle ou le retour à des valeurs essentielles de solidarité, du respect de la planète, ou du développement durable. Ce besoin de créativité et d’émancipation de l’imaginaire réalise une composante essentielle du destin humain.
Laurent Schmitt"Destin et choix de vie"
Le facteur Cheval, JK Rowling ou même Jacques Brel, tous ont choisi, un jour, une autre route. Quels mécanismes de pensée guident ces destinées ?
Ce qui fait la richesse de cet ouvrage, ce sont surtout les récits de vie égrainés au fil des chapitres : tel commercial à la double vie, ce couple d’infirmier qui décide d’aller faire vivre leur famille à l’autre bout de la planète, cet ancien vétérinaire qui finira par sculpter, sur pierre les animaux qu’il soignait auparavant.
Ces témoignages, fruits de consultation psy (pas seulement celles de l’auteur) font avancer le propos. La maladie mentale n’est évidemment pas occultée (délire, dépression, idées suicidaires…). Elle marque le destin de son porteur, mais aussi souvent de sa famille ou de ses proches. La question plus scientifique de la génétique a là aussi sa part d’influence.
Au-delà de ses confrères chercheurs ou médecins, Laurent Schmitt invite aussi dans son livre les philosophes :
Les situations qui nous arrivent ne dépendent pas de nous mais nous pouvons avoir une action dans la manière d’y répondre, de les traiter. On rappelle ainsi la formule de Marc Aurèle : « Mon Dieu, donnez‐moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que je peux changer et la sagesse de distinguer les premières des secondes
Laurent Schmitt"Destin et choix de vie"
Ce qui fait aussi (et surtout ?) l’intérêt de cet ouvrage, c’est la clarté avec laquelle y sont expliquées théories des grands penseurs comme hypothèses de l’auteur lui-même. Les essais lisibles par un large public sont encore bien trop rares de nos jours.
Quand il n’écrit pas, Laurent Schmitt préside également la conférence régionale de la santé et de l’autonomie d’Occitanie. Dans ce livre, il explique d’ailleurs, arguments à l’appui, la perte des vocations liées au manque de moyens du secteur. Il est donc aussi, au quotidien, en lien direct avec les patients, pas seulement les siens, et la vraie vie. Ainsi peut-il aussi ausculter les grands changements sociétaux comme la modification des trajectoires professionnelles.
Les générations du monde du travail actuel possèdent un code personnel qui entremêle le respect dans les relations sociales, le respect des enjeux de l’écologie planétaire, une honnêteté entre ce qui est dit et ce qui est réellement fait. Lorsque ces paramètres n’apparaissent pas suffisants, semblent malmenés ou inexistants les jeunes professionnels ne se sentent pas tenus d’accepter un poste ou d’y rester.
Laurent Schmitt"Destin et choix de vie"
Quant aux plus « anciens », ils deviennent, souvent dès 50 ans, trop vieux pour le job alors qu’on nous pousse à travailler plus tard. Les femmes voient évidemment leurs trajectoires influencées par le désir de maternité et la façon dont celle-ci est envisagée par rapport à l’activité professionnelle. Le chemin vers « le devenir soi » n’est donc pas toujours évident, peu importe son âge ou son sexe.
Et l’égo dans tout ça ? La liberté individuelle ? Qu’on créée sa start-up ou qu’on revienne à la terre, les options sont multiples pour redonner du sens à son activité professionnelle et donc à sa vie. En attestent les phénomènes qui ont suivi l’épidémie de Covid, à l’image de « la grande démission » partie des Etats-Unis mais qui a ensuite gagné le monde et l’Europe.
Un XXIème siècle sans lumières
Laurent Schmitt a vu se succéder ces aspirants aux changements, ces personnes oppressées par les restrictions liées au Covid, celles aussi qui ont très vite saisi les avantages du télétravail. Le psychiatre sait d’où il parle et voit bien ce qui mine le mental de ses semblables.
Le « kairos », l’instant décisif de la vie de chacun, se voit consacrer un long chapitre. Et voilà l’histoire de ce gastro-entérologue réputé qui aurait dû devenir peintre ou critique d’art, mais qui a, contre toutes les forces possibles de son for intérieur, choisi de perpétuer la lignée familiale. À l’approche de la retraite, il reconnaît volontiers son erreur.
Mais comment faire le bon choix ? La question peut aller jusqu’à créer chez certains « une névrose de destinée ».
On a compris que la névrose de destinée exprime une névrose sans symptôme ; il n’y a ni angoisse, ni phobie, ni pensée obsédante. Le terme de névrose est utilisé pour exprimer une répétition d’événements identiques dont personne ne sait la part du hasard et celle de choix malheureux. Ils apparaissent souvent néfastes pour le sujet mais pas toujours.
Laurent Schmitt"Destin et choix de vie"
« Tout lâcher pour… », « Tout plaquer pour… », à l’image de ces deux expressions, l’amour est aussi parfois un vecteur de changement radical. D’Edouard VIII qui abdique en Angleterre pour rejoindre sa dulcinée divorcée ou encore cette fille de pasteur évangéliste qui va prendre pour amant Andréas Baader et devenir une terroriste, les exemples ne manquent pas.
Autre facteur parfois déterminant dans le changement : « la crise du milieu de la vie » (ou de la quarantaine. Schmitt évoquera aussi les « détonateurs intimes du destin ». La question du changement de sexe est également abordée dans un chapitre. Bref, voilà un ouvrage qu’il est bon de lire par les temps qui courent, que l’on veuille changer de vie ou pas.
« Les lapsus du destin-Nos choix de vie », de Laurent Schmitt, chez Odile Jacob.