Déremboursement de l'homéopathie en 2021 : pourquoi les petits granules blancs enflamment la communauté médicale

C'est officiel depuis le 8 octobre 2019 : les médicaments homéopathiques seront totalement déremboursés au 1er janvier 2021. Quelques mois plus tôt, une vive polémique avait agité la communauté médicale française, très partagée sur les bienfaits de cette thérapeutique complémentaire.

Qui n'a jamais donné cinq granules d'Arnica à son enfant après une chute ? Qui n'a jamais pensé à prendre un certain tube de granules en prévention de la grippe ?

Une thérapeutique appréciée des Français

Selon ses défenseurs, les 3/4 des Français auraient déjà eu recours à l'homéopathie. Et un médecin généraliste sur trois en prescrit, plus ou moins régulièrement. 

Alors d'où vient cette énorme suspicion à l'égard de cette thérapeutique ? Pourquoi la question de son efficacité et de son remboursement est devenue un sujet hautement polémique, notamment sur les réseaux sociaux ?

Une tribune au vitriol

A l'origine, il y a une tribune, signée par 124 professionnels de santé réunis dans un collectif : No Fakemed. Ce texte, publié en 2018, appelle le gouvernement français à acter le déremboursement total de l'homéopathie, au motif que son efficacité est nulle. La tribune va jusqu'à traiter de charlatans en tout genre les médecins qui la prescrivent et préconise que ces derniers ne puissent plus faire état de leur titre de médecin homéopathe. Le débat est lancé...

En réalité, la défiance vis-à-vis de l'homéopathie ne date pas d'hier. Cette thérapeutique mise au point par le docteur allemand Samuel Hahnemann en 1796 est basée sur quatre principes : 
  • similitude
  • haute dilution
  • dynamisation
  • individualisation

Pour être précis, l'homéopathie consiste à soigner un patient en diluant très fortement des substances d'origine végétale, animale ou minérale qui, si elles étaient administrées à des doses pondérales, provoqueraient des symptômes similaires à ceux qu'il rencontre. 

L'efficacité de l'homéopathie n'est pas prouvée scientifiquement. Pourtant, en France, elle est reconnue officiellement depuis 1965 et ses produits sont considérés comme des médicaments, avec une autorisation de mise sur le marché.

Une théorie délirante

Seulement voilà, ses détracteurs lui dénient tout intérêt. Les petits granules blancs n'auraient pas d'autre effet que le célèbre placebo. D'où leur désir de les voir déremboursés.

"Toutes les études montrent, sans aucune exception, qu'il n'y a pas d'efficacité supérieure à un effet placebo pour tous les médicaments homéopathiques, je parle des études réalisées dans des conditions standard telles qu'on les pratique actuellement", explique le docteur Pascal Charbonnel, médecin généraliste en région parisienne, vice-président du collège de la médecine générale et signataire de la tribune.  

"La question n'est pas "est-ce que ça marche avec certains patients ?". La question est : "est-ce que ces outils thérapeutiques sont mieux qu'un placebo" ? Ne sont-ils pas basés sur une théorie délirante, qui date du 18ème siècle, et qui relève plus de la littérature fantastique que de la science ?"
 
La charge est lourde. Mais elle ne s'arrête pas là. "La question n'est pas de rembourser tout ce qui marche mais de consacrer à cela de l'argent public. Avec les 300 millions d'euros de médicaments et de consultations homéo, on financerait 2 500 postes d'infirmières...", poursuit le docteur Charbonnel.

Ils peuvent être généralistes, spécialistes : à partir du moment où ils se revendiquent homéopathes, d'une thérapeutique non éprouvée, ils ne sont plus médecins, on ne fait pas le même métier

Rodés aux attaques, les médecins homéopathes ou pratiquant l'homéopathie ont difficilement digéré cette dernière. En effet, si l'efficacité de l'homéopathie n'est pas prouvée par des tests en "double aveugle" comme cela se pratique désormais, elle s'appuie sur des signes cliniques. Et cela, des milliers de professionnels de santé l'attestent.

Le confort d'un traitement sans effets secondaires

Dominique Ginsbach est sage-femme à Plaisance-du-Touch, près de Toulouse. Elle utilise l'homéopathie pour les bébés et les femmes enceintes. "L'homéopathie est une thérapeutique de choix car elle est sans effets secondaires. Et la non-toxicité, c'est dans l'air du temps. C'est confortable de travailler en sécurité". 

Dominique Ginsbach le reconnaît volontiers, au plus fort des attaques, elle a douté. "Si je prescris de l'homéopathie, est-ce que je passe pour un charlatan ?" mais cela n'a pas duré, assure-t-elle. Car les patients sont en demande, ils gardent toute confiance en l'homéopathie.

François Roux va plus loin. Pharmacien spécialisé en homéopathie à Plaisance-du-Touch, il a été le responsable pédagogique du diplôme universitaire d'homéopathie à la faculté de pharmacie de Toulouse. "Je vois tous les jours des clients-patients qui me demandent des conseils en homéopathie. Nier son existence, ce n'est pas possible", s'insurge-t-il.

Que l'on soit médecin, pharmacien, on est d'abord des professionnels de santé comme les autres mais nous, nous avons une arme supplémentaire pour le bien-être de nos patients

Des soins de support

Et François Roux insiste : l'homéopathie, ce n'est pas seulement soigner les petits maux du quotidien. "On donne de plus en plus d'homéopathie aux patients atteints de cancer. C'est un complément de la chimiothérapie, ce que l'on appelle les soins de support, qui permettent d'atténuer les effets secondaires des traitements lourds. Se dire qu'on va priver nos patients de ce confort, ça me met en colère". 

Mais tout est dit. Le confort, le bien-être des patients sont des notions non quantifiables. Dominique Hornus, médecin-anesthésiste à Toulouse, diplômée d'homéopathie, utilise depuis des années l'homéopathie en péri-opératoire, soit avant et après les opérations. Elle ne milite pas pour le remboursement des médicaments homéopathiques car, rappelle-t-elle, l'expérience médicale n'est pas preuve scientifique. En revanche, elle ne décolère pas. "C'est une attaque indécente, inélégante et méprisante. C'est gravissime de la part de soi-disant confrères. Moi, j'y tiens à mon titre de médecin, j'en suis fière !"

Qu'on veuille me retirer mon titre parce que je prescris des granules d'Arnica, vous plaisantez !

Le choix des patients

Qu'en pensent les patients ? Vont-ils changer leurs pratiques ? François Frugier, habitant de Cugnaux près de Toulouse, se soigne avec l'homéopathie depuis son enfance. Allergies, grippe, chutes : tous les bobos du quotidien sont traités ainsi, ce qui ne l'empêche pas d'avoir recours aux autres médicaments, si besoin. Pour lui, dans ce dossier, on n'a pas écouté les malades. "Moi, je ne vais pas renoncer à l'homéopathie mais cela va clairement avoir un impact sur mon portefeuille".

Il faut qu'on arrête le clivage et qu'on écoute les patients. Il n'y a pas à être pour ou contre : il faut voir l'homéopathie comme une médecine complémentaire

C'est d'ailleurs ce que prône l'OMS, l'organisation mondiale de la santé. Anne-Laure Weiner, directrice du laboratoire Boiron de Toulouse [Boiron est le leader mondial des médicaments homéopathiques], le rappelle. "Le déremboursement total va à l'encontre du sens de l'histoire. Et des préconisations de l'OMS qui recommande aux Etats d'intégrer les médecines complémentaires dans leurs stratégies globales de santé". 

Les patients ont fait ce choix : ils veulent le meilleur de la médecine conventionnelle et le meilleur de la médecine complémentaire

Pour tous ces acteurs de la santé pro-homéopathie, il s'agit là d'une question économique. En France, en 2018, l'homéopathie représentait 126 millions d'euros sur environ 20 milliards pour l'ensemble des médicaments remboursés.
 
Depuis l'annonce du remboursement au 1er janvier 2021, les laboratoires Boiron accusent une baisse d'activité de 10 à 15 % mais leur stratégie reste d'obtenir un délai. Et de continuer à promouvoir la thérapeutique, 1ème médecine complémentaire au monde.

La polémique qui continue d'entourer le déremboursement de l'homéopathie est à l'image de cette dernière : un sujet de crispation depuis des décennies mais une pratique très populaire en France. 
 
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