Témoignages. La carte bancaire remplace l'argent liquide, les employés de la restauration souffrent

Publié le Mis à jour le Écrit par Apolline Riou

Les Français utilisent de moins en moins l'argent liquide pour faire leurs achats et le secteur de la restauration n'est pas épargné par cette habitude. Dans un milieu où l'espèce circulait depuis des décennies, ce changement a des conséquences pour les patrons, comme pour les employés.

Le jour de sa paye, après une courte période d'essai, Quentin reçoit une enveloppe. À l’intérieur, quelques billets. Perplexe, le jeune cuisinier demande : "Où est ma fiche de paye ?" Il n'aura jamais la réponse. Pourtant, lors de son entretien d'embauche pour cette enseigne de street food vietnamienne, à Toulouse, on lui avait assuré qu'il serait déclaré. "Face à mon insistance, on m'a poussé vers la sortie." Quentin a néanmoins eu le temps d'échanger avec les employés du restaurant. Selon lui : "Certains, des immigrés, n'étaient payés qu'en cash. À plusieurs reprises, ils ont même dû réclamer leur paye, qui n'arrivait pas."

Le jeune homme travaille dans la restauration depuis six ans. Diplômé en cuisine et hôtellerie, il est passé par de nombreux établissements. Même lorsqu'il est déclaré, les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Au cours de sa formation, il effectue quatre mois de stage, dans un célèbre restaurant étoilé toulousain. "Je n'ai jamais eu de fiche de paye, assure-t-il. En plus, ils ne m'ont pas payé mes six derniers jours, sans explication." 

Travail dissimulé et paiement au noir 

Des pratiques courantes, dans le milieu de la restauration, qui pourraient toutefois être menacées par un facteur grandissant : la disparition de l'argent liquide. Régler l'addition en espèce est devenu rare, les clients dégainent désormais presque systématiquement leur carte bancaire. Dans une enquête publiée en 2022, la Banque centrale européenne constate que 43 % des achats en magasin ont été payés par carte, en France. En 2016, ce n'était que 27%. Pourtant, beaucoup de restaurateurs continuent de rémunérer leurs employés en cash, en partie ou en totalité.

L'an dernier, Jeanne entame la saison estivale dans le restaurant d'un camping, en Aveyron, où elle a l'habitude de travailler chaque année, depuis quatre ans. Serveuse et barmaid, elle est déclarée pour un contrat de 35 heures. Mais en cours de route, on lui propose de "récupérer" les heures d'un employé qui ne peut plus travailler. Jeanne passe à 60 heures par semaine. "Ils m'ont payé au black, explique-t-elle. Les taxes sur les heures supp étaient trop lourdes pour eux. J'ai accepté car j'avais besoin d'argent, mais le rythme était très dur." 

Jeanne raconte que le manque de main-d’œuvre encourage aussi les patrons du restaurant à embaucher des jeunes sans les déclarer. "Une personne venait nous aider deux jours par semaine. Elle était serveuse dans un autre restaurant du village et travaillait avec nous sur ses jours de congé." Une pratique habituelle pendant la saison, selon la jeune fille. 

De "vieilles méthodes" en voie de disparition

En 2021, les dirigeants du groupe de restauration toulousain All For You sont condamnés à plusieurs mois de prison et des dizaines de milliers d'euros d'amende. Ils ont détourné une partie des recettes en liquide, encaissée dans plusieurs de leurs restaurants.

A lire : Toulouse : des peines de prison ferme requises contre des patrons de restaurants qui ont fraudé les impôts

 

Pour Thomas Fantini, fondateur d'un autre groupe de restauration toulousain, Esprit Pergo, ces "vieilles méthodes ne devraient plus exister et sont en train de disparaître". Il assure que 37% de ses employés ont 10 ans d'ancienneté, et que son honnêteté les fidélise. Avec l'omniprésence du paiement par carte, "de moins en moins d'espèce circule. C'est alors plus difficile pour les restaurateurs de payer leurs employés au black. C'est une bonne chose", souligne-t-il. Il ajoute : "Cela permet d'instaurer une concurrence et un recrutement loyal." Il avoue néanmoins que la disparition de l'argent liquide reste "une déperdition financière", le paiement par carte étant beaucoup plus taxé. Dans ses établissements, il ne compte "même pas 2% de paiement en liquide". 

La question du pourboire

L'essoufflement de la circulation de l'espèce a une autre conséquence, cette fois inquiétante, sur la rémunération des employés de restauration : la baisse du pourboire. Xavier Auer, patron du Bistrot d'Hercule, à Toulouse le constate : "Les gens n'en laissent presque plus, ou alors par carte bancaire." Il prend alors la décision de convertir en liquide ces pourboires laissés par carte, pour "favoriser ses employés". De son côté, Thomas Fantini a fait le choix de "compenser" la baisse des pourboires sur le salaire de ses employés.

Dans un secteur où les journées sont longues, denses et fatigantes, le pourboire est un bonus qui compte beaucoup pour les employés. Jeanne a travaillé huit mois dans l'un des restaurants d'une grande enseigne de brasserie, près de Toulouse. Une expérience difficile, marquée par le comportement "horribles" des managers, "la pression, l'absence d'empathie" et la "mauvaise ambiance". Avec son contrat d'employé polyvalent, elle gagnait un SMIC pour 25 heures et faisait une dizaine d'heures en extra. 1400 euros à la fin du mois, plus les pourboires. Du moins, quand elle en voyait la couleur. "On avait un pot commun, pour tout ce que les clients donnaient, explique Jeanne. L'argent des pourboires était réparti entre tous les employés à la fin de chaque semaine. On touchait environ 20 euros chacun." Sauf qu'à plusieurs reprises, "ils ne nous donnaient pas les sous et les utilisaient pour payer les verres que les serveurs auraient cassés", raconte-t-elle.

Le difficile recrutement

La baisse des pourboires et la gestion discutable de la rémunération des employés sont deux éléments qui peuvent, en partie, expliquer les difficultés de recrutement que rencontre la filière de la restauration. Dans une enquête menée cette année en Occitanie, France Travail révèle ce manque de main-d’œuvre criant, que les restaurateurs essayent de pallier. "On a dû mal à recruter, parce qu'on n’a pas amélioré les conditions de travail des employés assez tôt, analyse Thomas Fantini. Mais c'est en train de changer, grâce à l'augmentation des salaires, l'aménagement des horaires et le développement de l'apprentissage." 

Des arguments qui ne suffisent pas à convaincre Quentin. "La restauration c'est un métier ingrat. Pendant les confinements, on a goûté à un quotidien plus tranquille, explique-t-il. Quand tout revient à la normale, on est beaucoup à ne plus vouloir supporter les horaires, le décalage. Le manque d'effectif se faisait vraiment sentir et c'était de pire en pire. L'an dernier, là où je travaillais, on était trois en cuisine pour 350 couverts." Alors comme Jeanne, Quentin a décidé de rendre son tablier. 

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