Fin de vie : "Réduire l'accompagnement des malades à pousser une seringue de produit létal, c'est difficile", une médecin choquée par la future loi

Le projet de loi sur la fin de vie continue de susciter un débat enflammé avant même sa présentation en Conseil des ministres. Dans les centres de soins palliatifs, qui vont devoir s'adapter à la loi, les réticences sont nombreuses. Entretien avec le docteur Junqua, praticien au CHU de Toulouse.

Encore à l'état de projet, la future loi sur la fin de vie continue de susciter des réactions. Lors d'un déplacement ce vendredi, la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, en a précisé les contours. Elle rappelle "l'importance du discernement", les critères pour être éligibles à une aide à mourir et elle évoque la spécialisation en soins palliatifs : "Nous devons développer un vivier pour former les étudiants en médecine ainsi que l’ensemble des soignants", a-t-elle déclaré.

Quelle est la situation actuelle dans les services de soins palliatifs ? Que pensent les personnels de cette future loi et comment s'y préparent-ils ? Nous avons posé la question au Dr Sandrine Junqua, praticienne en soins palliatifs à l'hôpital Purpan de Toulouse.

France 3 Occitanie : Docteur Junqua Comment a réagi le personnel soignant de votre unité à l'annonce du projet de loi sur la fin de vie ?

Dr Sandrine Junqua : "Nous avons été très choqués par les propos du président de la République. Quand il dit qu'il faut regarder la mort en face, c'est une méconnaissance totale de notre travail. Nous, nous ne sommes pas face à la mort, nous sommes face à la vie et nous nous efforçons de garder allumée cette petite lumière. Nous arrivons même à construire des projets avec nos patients. Ça peut être : manger une glace ou sortir prendre le goûter sur la terrasse avec leurs proches. C'est une situation de vie complexe.

Le problème, c'est que le président ne veut pas mettre les mots justes sur le fond du projet. Aider à mourir, ça signifie quoi ? C’est du suicide assisté ou de l'euthanasie. Il entretient le flou. Moi, j'ai choisi la médecine palliative parce qu'elle correspondait à mes valeurs d'humanité. Alors réduire l'accompagnement des malades en fin de vie au fait de pousser une seringue de produit létal, c'est difficile à entendre et à concevoir. Cette loi nous attriste et nous avons du mal à nous projeter". 

F3 Occitanie : Quelle est la situation actuelle dans votre service et devez-vous faire face à des demandes d'aide à mourir ?

Dr S. Junqua : "Notre unité comporte une dizaine de lits. Nous accueillons des patients dans des situations très complexes, souvent atteints de maladies incurables et évolutives. Certains sont encore en traitement, d'autres en situation de fin de vie à court terme. Et nous, personnels soignants, sommes là pour apporter des soins dans une réflexion en concertation avec le malade et les familles.

Des demandes de mort, il y en a, mais finalement moins d'une dizaine par an. C'est souvent à cause d'une souffrance physique et morale intolérable. Et quand les patients persévèrent dans cette demande de mort, nous nous en remettons au cadre législatif. Le malade a droit à une sédation profonde et continue jusqu'à sa mort. Nous organisons donc une procédure collégiale avec des médecins et l'ensemble des équipes qui s'occupent du patient. On en discute et on vérifie qu'elle correspond bien aux critères de la loi existante. Cela intervient souvent quand le malade demande l'arrêt des traitements. Et le patient choisi le lieu. Ce n'est pas forcément à l'hôpital, cela peut être à domicile, en Ehpad ou dans une structure de soins".

F3 Occitanie : Quelles sont les différences avec le projet de loi actuel ?

Dr S. Junqua : "Le projet de loi actuel fait intervenir d'autres nuances comme celle du pronostic vital engagé à moyen terme. Aujourd'hui, il est facile de déterminer la phase agonique d'un malade. Pour la phase terminale, c'est déjà plus compliqué. Alors, vous imaginez que la question du moyen terme est totalement floue et surtout pas encore tranchée. Ce sera quoi ? Six mois ? Un an ? Aujourd'hui, aucun médecin n'est en mesure de le déterminer. Et pourtant il va bien falloir.

Sans compter que ce geste est totalement à l'opposé de ce pour quoi nous avons choisi ce métier. Comment vivre avec ça, autant pour le médecin que pour les proches si c'est un tiers qui le réalise ? Nous, au quotidien, nous défendons la vie et la dignité humaine. Nous sommes aujourd'hui tellement choqués que nous allons d'abord devoir digérer notre colère avant d'envisager la mise en place de cette loi".

F3 Occitanie : La ministre de la Santé a demandé des formations supplémentaires pour le personnel. En avez-vous besoin et comment vous préparez-vous et vous projetez-vous dans l'avenir avec cette nouvelle loi ?

Dr S. Junqua : "Déjà, nous n'avons pas besoin de formation supplémentaire. La formation en médecine palliative existe déjà dans le cursus médical et les internes peuvent choisir de faire une formation transversale s'ils veulent ensuite travailler dans nos services. Ensuite, il existe aussi des diplômes universitaires reconnus dans le cadre de la formation continue. La question, c'est surtout une histoire de financement. J'ai moi-même organisé ce type de formation continue et au fil des ans, sa durée est passée de neuf à trois jours. Parce qu'il n'y a pas assez de personnel à l'hôpital et que nous devons assurer la continuité des soins, bien souvent avec de nombreuses heures supplémentaires. Alors, déjà, qu'on nous donne les moyens de bien nous servir des outils existants. Que l'on n’en invente pas d'autres pour une quelconque satisfaction d'opinion, qui n'apportera pas le bonheur, j'en suis convaincu.

Déjà, il faut offrir, à chaque département, une unité de soins palliatifs. 21 en restent dépourvus. Et si nous mettons les moyens à renforcer les équipes soignantes et la culture palliative, les demandes de mort disparaîtront. Ce qu'il faut refuser, c'est la douleur. Et aujourd'hui, il y a trop de préjugés sur la morphine. Moi, personnellement, je ne sais pas comment je vais vivre ça si cette loi voit le jour avec ces modalités-là. Heureusement, le droit de retrait existe dans le projet de loi. Et je crains que beaucoup d'entre nous fassent valoir leur clause de conscience".

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