Haute-Garonne : accident du pont de Mirepoix-sur-Tarn, un an après, le deuil impossible

Il y a un an le pont suspendu de Mirepoix-sur-Tarn s’effondrait après le passage d’un poids lourd. Bilan deux morts. Aujourd’hui encore, les habitants de la commune vivent avec ce drame et ont bien du mal à faire leur deuil.
 

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Des barrières métalliques et des séparateurs de voie en plastique empêchent son accès. Du pont de Mirepoix-sur-Tarn, il ne reste pas grand-chose. On aperçoit encore quelques restes de l’ancien tablier métallique de l’ouvrage en grande partie enfoui. Le camion et sa remorque eux gisent au fond du Tarn, de l’autre côté de la rive. Quelques fleurs fanées ou en plastique et des bougies ont été accrochées ou posées à même le sol. Comme si le temps avait été suspendu.

Un traumatisme pour le village

Quelques rares badauds passent par là. Tous jettent un regard au pont, ou ce qu’il en reste. « Même un an après, je n’arrive pas à y croire » raconte cette assistante maternelle qui promène les enfants dont elle a la charge. « Ça reste gravé dans nos mémoires. Dire qu’on passait ici tous les jours… ». A ses côtés, Céline Fines, également assistante maternelle. Un an après l’accident, elle reste traumatisée : « J’habite à 100 mètres du pont. Quand il s’est effondré, j’ai entendu un grand bruit. J’ai entendu les cris de la maman quand elle était à l’eau, c’était horrible » explique-t-elle avec émotion. « Ce pont c’était notre porte d’entrée au village. Depuis qu’il n’est plus là, autant humainement que professionnellement c’est dur ». 
Un groupe de jeunes s’approche. L’un d’entre eux prend une photo, son copain s’attarde en regardant l’ouvrage effondré. « C’est un traumatisme oui, mais on a fini par s’habituer. Quant aux travaux, c’est normal qu’ils n’aient pas commencé avec la pandémie » raconte Noé Jezequel, étudiant en BTS mécanique moto et originaire de Mirepoix-sur-Tarn.

Le pont cède sous le poids du camion

Il est 8 heures du matin, ce 18 novembre 2019. Un camion, venant de Bessières, s’engage sur le pont suspendu qui enjambe la rivière Tarn. Il tracte une foreuse, solidement harnachée sur un porte-char. Quasiment au même moment, côté Mirepoix-sur-Tarn, une Renault Clio blanche a déjà débuté sa traversée. A l’intérieur, une maman qui accompagne sa fille Lisa, âgée de 15 ans. Elles se rendent au Lycée agricole de Montastruc-la-Conseillère. Cela fait 6 mois qu’elles habitent dans ce village de 1000 habitants.
L’édifice métallique, construit en 1935, cède sous le poids du camion et de sa remorque. Tous deux chutent dans le Tarn. Damien Clavel, le chauffeur âgé de 38 ans, n’y survit pas. L’effondrement du pont ne laisse aucune chance à la Clio. Elle est emportée dans les flots, après une chute de 20 mètres. Lisa est tuée sur le coup. Sa maman elle, parvient miraculeusement à s’extraire du véhicule malgré le courant. Des habitants réussissent à la secourir et à la ramener sur les berges, en aval du pont.

Enquête rapide 

Eric Oget, l’ancien maire de Mirepoix-sur-Tarn, n’a rien oublié de cette journée. « J’ai du mal à revenir ici » admet-il, la gorge serrée.  « J’ai été prévenu à 8h03 par un employé municipal en panique. Il criait : le pont a chuté, le pont a chuté ». 5 minutes plus tard, il est sur place. « C’était comme une scène de guerre, j’ai eu un instant de sidération. C’était épouvantable » raconte-t-il avec beaucoup d’émotion. « Ce pont c’était la vie du village, il faisait partie de son histoire. Et surtout  il y a les victimes. C’est des gens du coin, on les connaissait, on les appréciait. C’est un drame. On sera marqué à vie… ».

L’enquête elle n’a pas traîné. Dès le lendemain du drame, le Procureur de la République de Toulouse, Dominique Alzeari, estime que c’est bien le poids du camion qui est à l’origine de l’effondrement du pont suspendu de Mirepoix-sur-Tarn. Au moment de son passage, le poids lourds et sa remorque pesaient 50 tonnes. Or l’ouvrage ne peut en supporter que 19 tonnes. Dans ces conditions, l’accident était inévitable. En décembre dernier, une information judiciaire pour « homicides et blessures involontaires » a été ouverte. L’affaire est confiée à une juge. Selon nos informations, elle vient tout juste de clore son dossier d’instruction.

"Cette question va me hanter toute ma vie..."

Pour nombre d’habitants, le choix du chauffeur d’emprunter le pont avec un tel chargement reste une énigme. « Professionnel comme lui… je n’arrive pas à comprendre pourquoi il a fait ça » soupire cet habitant de 73 ans rencontré aux abords du pont. « Il connaissait le coin pourtant, ce pont il l’avait déjà emprunté. Il savait que ça craignait grave…Cette question va me hanter toute ma vie je pense ».
L’entreprise familiale de Damien Clavel - le chauffeur décédé dans l’accident -, n’est située qu’à 600 mètres du pont. « Puits Julien Fondations  »  peut-on encore lire sur les panneaux d’informations à l’entrée de la zone artisanale de Bessières. Aujourd’hui les volets sont tirés, les locaux semblent comme abandonnés.

Village enclavé

Depuis que le pont n’est plus là, les habitants de Mirepoix-sur-Tarn doivent emprunter des déviations. 4 kilomètres pour aller à Bessières, situé de l’autre côté de la rive. Beaucoup ici le vivent mal. « On est devenu un village sinistré. Sans le pont on est totalement enclavé » déplore cette habitante rencontrée non loin du lieu du drame.
 

« Cela a des conséquences sur mes administrés qui doivent faire un détour pour accéder aux commerces de première nécessité. Avant ils mettaient deux minutes pour aller à Bessières » explique Sonia Blanchard Essner, maire de Mirepoix-sur-Tarn depuis mai dernier. « C’est un vrai frein pour le développement commercial et les activités du village, c’est indéniable ».

A quand un nouveau pont ? 

En discutant avec les habitants du village, une autre question revient souvent : « A quand un nouveau pont ? s’interrogent-ils en choeur. Une impatience que comprend Sonia Blanchard Essner. Mais pour l’élue, il y a aussi un aspect symbolique dans cette reconstruction : « Il est important de passer à autre chose. Le fait que le cadavre du pont soit toujours présent est difficile pour les habitants. La déconstruction de ce qui reste de l’ouvrage permettrait aux Mirapiciens de passer à autre chose et se projeter vers un avenir moins douloureux ».
Tous les regards se tournent désormais vers le Conseil départemental de Haute-Garonne. C’est lui le maître d’ouvrage, c’est lui qui va financer et mener à bien ce projet. Aussi longtemps que l’enquête était en cours, les travaux étaient impossibles, l’ancien pont étant considéré comme « pièce à conviction ».

Une reconstruction en 3 phases 

Mais le Conseil départemental n’a pas perdu son temps. Depuis l’accident, de nombreuses études ont été menées pour envisager une nouvelle structure et préparer le terrain. Maintenant que le dossier d’instruction est clos, les entreprises vont pouvoir entrer dans le vif du sujet. La juge vient tout juste de donner son feu vert.
La reconstruction se fera en trois phases.
  • Début janvier 2021 : démontage des parties aériennes. Les pylônes, les câbles et les rattachements aux ancrages de part et d’autre du pont.
  • Eté 2021 : démontage de la partie immergée, soit 600 tonnes d’acier et de béton qu’il faudra sortir de l’eau. C’est l’opération la plus complexe du chantier.
  • Reconstruction du pont. Elle débutera dès que possible. Durée des travaux entre 5 et 6 ans.
Reste à choisir la forme du futur pont qui sera bâti au même endroit que l’ancien. « Ce qui va être déterminant, c’est la gestion des crues » explique Laurent Delerue, le Directeur général délégué à la voirie au Conseil départemental de Haute-Garonne. « On est à un endroit où le Tarn peut monter très vite et très haut. Il faut donc laisser un passage suffisant pour que l’eau puisse passer ».

Un nouveau pont en 2027 ? 

Première option, un pont avec des piles qui – par conséquent – devra être surélevé. Deuxième option, un pont suspendu. « Nous sommes sensibles au fait que la population ne soit pas forcément favorable à ce projet, car le nouvel ouvrage risque de lui rappeler l’ancien pont » souligne Laurent Delerue. Les habitants et les élus vont d’ailleurs être consultés avant le choix final, comme s’y est engagé Georges Méric, le président (PS) du Conseil départemental de Haute-Garonne.
Tout cela a un coût. Entre le démontage et la reconstruction (5 à 6 ans de travaux), le Conseil départemental prévoit de dépenser 12,6 millions d’euros. Les Mirapiciens devront s’armer de patience, le deuil risque de se prolonger. Ce n’est qu’en 2026 voire en 2027 qu’ils pourront de nouveau traverser le Tarn à cet endroit-là.

 
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