Depuis dix jours, les membres du collectif "Jamais sans toit dans mon école", se mobilisent pour ouvrir les portes de leur établissement scolaire aux élèves et leurs familles, sans logement afin de les mettre à l'abri. Sous la pression de menaces d'expulsion et de sanctions pour les enseignants.
Dans cette école élémentaire de Toulouse en Haute-Garonne, une grosse chaîne de solidarité s'est organisée. Bien soudée. Depuis le lundi 20 novembre 2023, date de la journée internationale des droit de l'enfant, six enfants et leur familles passent la porte de l'école Calas-Dupont, quartier Saint-Michel, après la fermeture du Claé et le départ des derniers écoliers. C'est là qu'ils vont passer la nuit, plutôt que dans la rue.
Expulsées de leur centre d'hébergement d'urgence par la préfecture, ces familles y sont mises à l'abri par le collectif "Jamais sans mon toit dans mon école". Composé de parents d'élèves et d'enseignants, ils gèrent leur accueil dans l'établissement. Ensemble, ils gonflent les matelas, disposent les sacs de couchage dans les grandes salles dédiées aux activités en art plastique, ou au sport en cas de pluie, comme le montrent ces images tournées par les parents d'élèves. "On a réuni assez de matériel grâce à des dons et des cagnottes. On s'installe, on mange ensemble et tout le monde va dormir. Le lendemain on remet tout en ordre pour accueillir les élèves qui arrivent au Claé dès 7h30", raconte Florent*, un des enseignants, qui y dort parfois.
Une "mini entreprise"
Après de multiples démarches légales et administratives qui n'ont pas abouti et faute de place dans un centre d'hébergement, le collectif a "réquisitionné" l'établissement scolaire pour passer à cette ultime étape. L'école Didier Daurat, située au Mirail, accueillait aussi une mère avec son enfant toute la semaine dernière. Une solution de relogement lui a été proposée, signale l'association Droit au logement 31, à partir de ce mardi 28 novembre 2023. Mais les parents d'élèves restent mobilisés et solidaires avec les autres écoles.
À Toulouse, les associations qui œuvrent pour le droit au logement, estiment à près de 330, le nombre d'enfants dormant à la rue, soit environ 600 personnes. Leur accueil dans les écoles dépassent largement le cadre du simple hébergement. "On a conscience que ce n'est pas légal mais on a quand même un devoir d'assistance à personne en danger, sachant que des enfants de l'école dorment dans la rue, dans une gare ou dans une voiture", estime Aurélie*, maman d'un élève de l'école maternelle Calas-Dupont, consciente que cette solution n'est pas idéale.
"C'est la moins pire des solutions en attendant une autre plus convenable". Si Aurélie ne dort pas dans l'école, elle accompagne les familles, comme d'autres parents, dans de nombreuses démarches : trouver et financer des solutions d'hébergement pour le week-end en air bnb, chez des proches ou parfois chez soi, appeler et rappeler encore le 115, partager des informations, préparer des repas, accueillir les parents à son domicile quelques heures dans la journée pour qu'ils soient au chaud. Un soutien essentiel pour ces familles. "C'est presque une mini-entreprise", confie la maman.
Des expulsions ordonnées par la mairie
Mais toutes ces actions ne se réalisent pas sans stress. Chaque soir, la police et un huissier passent constater l'occupation de l'école. Le soir du lundi 27 novembre, les forces de l'ordre étaient équipées d'une caméra embarquée, selon les membres du collectif. Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc a en effet "enclenché des procédures d’expulsions car il s'agit d'occupations illégales", a-t-il expliqué dans les colonnes de la Dépêche du Midi, le 21 novembre. Le premier magistrat y annonçait "avoir proposé au préfet de mettre à disposition un immeuble, propriété de la collectivité, pour la période hivernale, qui puisse accueillir une centaine de personnes". Il s'agirait de l'ancien CEAT (centre d'essais aéronautiques de Toulouse) de Jolimont d'une capacité d'accueil d'une centaine de personnes.
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Ce que confirme la préfecture de Haute-Garonne. "Cette année en lien avec le SIAO (Service intégré d'accueil et d'orientation) et les services académiques, il est porté une attention toute particulière aux enfants scolarisés sans solution d’hébergement. Tous les ans, la ville de Toulouse participe à cet effort de solidarité et mettra, pour ce faire, cette année encore, un bâtiment à disposition, indique-t-elle, sans en préciser la date. "Aussi, en attendant l'ouverture de ces places hivernales, une prise en charge en dispositif hôtelier a d'ores et déjà été proposée à des familles d'enfants scolarisés, repérés pour leurs vulnérabilités, ce qui représente plus de 35 personnes mises à l'abri à ce jour. Ces places sont financées par l’État".
Des places que certaines familles, accueillies dans les écoles, ont déjà occupées avant d'être remises à la rue. "Depuis le mois de mai dernier et les mises à la rue entreprises par la préfecture, on a déjà vu certaines personnes hébergées d'urgence, puis expulsées, puis relogées au moins deux fois dans nos permanences et on en a retrouvé dans les écoles", confirme Rémi, militant au Dal 31, qui les aide à les informer sur leurs droits.
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Le DAL 31 avec la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Médecins du monde et la Fondation Abbé Pierre avait attaqué, en référé, le préfet de la Haute-Garonne devant le tribunal administratif de Toulouse pour des mises à la rue sans solution de relogement. Ils ont été déboutés début novembre. Mais le tribunal administratif reste saisi sur le fond.
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Des sanctions envers les enseignants
Dans l'école occupée, la pression est aussi forte pour les personnels. Jean-Luc Moudenc a également "demandé au recteur de l’académie d’enclencher des procédures disciplinaires à l’encontre des enseignants ayant une responsabilité dans les occupations". Ces derniers tout comme le personnel municipal assurent subir de grosses pressions depuis le début de l'occupation.
"Notre inspecteur est venu inspecter nos classes en pleine journée et sans prévenir", décrit Florent. Des coups de fils sont passés pour savoir ce qu'ils se passent, des rappels au risque des sanctions encourues. Les agents techniques municipaux sont aussi concernés par des rappels au règlement, que l'occupation est illégale. La police est là matin et soir depuis qu'on a des travaux devant l'école, comme s'il allait se passer quelque chose de grave !"
Mobilisation sans occupation
S'ils ne font pas partie du collectif "Jamais sans mon toit dans mon école", les parents de l'école Gaston Dupouy, située à l'ouest de Toulouse, n'en sont pas moins inactifs. Ici, aucune famille ne dort dans les locaux de l'établissement. Mais les parents se mobilisent en soutien de deux familles. "On a organisé des petits déjeuners solidaires comme celui du mercredi 22 novembre pour sensibiliser les autres parents de l'école sur les différents besoins recensés comme la nourriture, les vêtements, etc ", résume Vanina, représentante des parents d'élèves. Les parents ont, entres autres, initié une chaîne pour appeler le 115 ou aident encore les familles à trouver du travail.
À l'école Calas-Dupont, parents d'élèves et enseignants restent déterminés. Le collectif "Jamais sans mon toit dans mon école" a annoncé de nouvelles réquisitions possibles, comme celle de l'école Simone Veil à la Reynerie, ouverte depuis lundi soir.
👋L'école Simone Veil rejoint le collectif Jamais sans toit dans mon école. #Toulouse @jamaissanstoit
— Jamais Sans Toit dans mon école (@JSTdansmonecole) November 28, 2023
Plus d'enfants à la rue dans nos écoles ! pic.twitter.com/ZhefZiFTWV
Il continue de réclamer le relogement de toutes les familles et attend des solutions pérennes des autorités.
*Prénom d'emprunt