La visite officielle du président chinois ce mardi 7 mai en Occitanie a été l'occasion d'évoquer les grands dossiers économiques et les relations entre ces deux pays. Il a sûrement été question d'aéronautique. Un domaine où la France et la Chine sont très liées. Entretien avec Bruno Darboux, le directeur Aerospace Valley.
Alors que le président chinois Xi Jinping termine tout juste sa visite officielle en France, Gros plan sur l'aéronautique, un domaine où les deux pays sont en étroite collaboration. Airbus Industrie possède une usine d'assemblage en Chine et les équipementiers français fournissent aussi du matériel. À qui profite le plus cette coopération ? Pour le savoir, nous sommes allés à la rencontre de Bruno Darboux, président d'Aerospace Valley. Voici cet entretien.
France 3 Occitanie : La visite du président chinois se fait sur fond économique et la France est très largement déficitaire vis-à-vis de la Chine avec 40 milliards d'euros d'écart. Sans doute cet écart serait beaucoup plus grand, s'il n'y avait pas l'aéronautique et le spatial.
Bruno Darboux : Oui, l'aéronautique et le spatial sont des secteurs exportateurs bien sûr pour la France et pour l'Europe de manière générale et la Chine est un acteur qui compte pour nous dans le secteur aéronautique.
Pour comprendre il faut d'abord évoquer le marché. Les avions civils, qui sont commandés et opérés en Chine, c'est 20% du marché mondial. Donc c'est un marché sur lequel nos Airbus, ATR et Airbus hélicoptères sont présents, avec toutes leurs filières industrielles. Nous sommes donc vendeurs de matériel pour les Chinois sur ce marché civil et nous embarquons bien sûr toute la sous-traitance, y compris les sous-traitants d'Occitanie, le motoriste Safran les équipementiers, Latécoère, Liebherr et beaucoup d'autres.
France 3 Occitanie : Alors, justement, peu de gens le savent, mais ici dans le Sud-Ouest, vous êtes fournisseurs du constructeur chinois, qui a fait cet avion qu'on appelle le C919, qui est très ressemblant, pour ne pas dire une sorte de copie de l'A320. Vous fournissez notamment des équipements ?
Bruno Darboux : Oui. C'est une histoire intéressante que celle du C919 de Comac. Bien sûr, ce n'est pas l'essentiel de l'impact industriel. Ce qui se vend en Chine en ce moment et ce qui se fabrique avec des assemblages fait en Chine avec des équipements français, c'est bien la gamme A320. Néanmoins le C919 est un concurrent, voulu par les Chinois, qui est bien sûr un concurrent frontal d'Airbus mais par contre, qui embarque des fournisseurs occidentaux, que ça soit pour le moteur ou pour les équipements et les systèmes. Et donc effectivement nous avons nos équipementiers français qui sont très présents sur cette machine. J'avais cité Latecoère, ils sont présents. Liebherr est présent, Safran est aussi très présent sur cette machine le C919.
Chine : le C919 effectue son premier vol commercial https://t.co/psjj1aUo2R pic.twitter.com/zHYOC6h1z9
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France 3 Occitanie : Avons-nous plus à gagner ou plus à perdre en collaborant aussi étroitement avec les Chinois et en installant notre technologie dans leurs avions ?
Bruno Darboux : Je pense que c'est une étape, qui était intéressante et pour nous et pour eux, le C919. L'étape suivante, on le sait, ça sera pour la Chine. Elle devra monter un système industriel complet pour son aéronautique, au moins pour son marché intérieur. Et là, bien sûr, c'est une concurrence frontale qui va apparaître avec nos acteurs occidentaux.
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France 3 Occitanie : On a l'habitude de dire que les Chinois espionnent énormément, notamment dans le domaine aéronautique et spatial. Les services de renseignements savent qu'ici à Toulouse, il y a beaucoup de Chinois qui viennent faire du renseignement. Est-ce que vous êtes vigilants dans le réseau de l'Aerospace Valley ?
Bruno Darboux : Alors bien sûr, nous recommandons la plus grande prudence à tous nos membres qu'ils soient des grands groupes ou qu'ils soient des PME, qu'il soit des laboratoires également. La plus grande vigilance est de mise. Chaque fois qu'il y a de l'innovation, il y a un risque d'être copié, d'être pillé de la part de différentes régions du monde, à vrai dire pas uniquement de la Chine. Donc la plus grande prudence est nécessaire et c'est même indispensable parce que le futur de l'aviation, c'est ici qu'il s'invente. L'avion décarboné, c'est ici qu'on est en train de l'inventer. Il faut qu'on soit pionnier avec la mise sur le marché des premières machines d'avions décarbonés. Et bien sûr, ça ne doit pas se faire ni en Chine, ni aux États-Unis, ni ailleurs.
Deux start-up (ZeroAvia et Universal Hydrogen) feront voler en 2023 des avions propulsés par un moteur électrique et une pile à hydrogène. En 2024, Airbus fera de même avec un A380. La décarbonation de l’aviation par la science vaut mieux que toutes les punitions décroissantes. pic.twitter.com/PEVsFUMskK
— Rafik Smati (@RafikSmati) January 5, 2023
France 3 Occitanie : l'aéronautique française a toujours eu un coup d'avance avec le Concorde, l'A320 ou l'A380. Le domaine de décarbonation du transport aérien va-t-il vous permettre de conserver cette avance ?
Bruno Darboux : En tout cas, sur les technologies associées à la décarbonation du transport aérien, c'est clair. En revanche, sur un certain nombre d'axes, on collabore avec le monde entier, y compris avec la Chine, que ça soit sur l'amélioration du trafic aérien pour réduire les émissions de CO2 en optimisant les trajectoires ou bien dans la montée en puissance de la production et l'utilisation des carburants aéronautiques durables, qui permettent des émissions réduites de CO2. Et puis, dans le monde du démantèlement des avions, via Tarmac l'entreprise de Tarbes, on a mis en place une coopération avec les Chinois qui ont un savoir-faire indéniable dans ce domaine-là.
(Interview de Thierry Sentous)