Jugé et acquitté à deux reprises pour le meurtre de sa femme, en 2009 et 2010, le professeur de droit toulousain sort un livre pour proposer une "réforme judicieuse" de notre système judiciaire. Son titre : "La République doit-elle vraiment «guillotiner» ses juges ?"
Il trône en couverture de l’ouvrage, le regard sévère, surplombant un titre choc. Jacques Viguier attaque son plaidoyer dès les premières pages : "Certains pourraient recevoir ce livre avec un a priori défavorable. En effet, ils risquent d’y percevoir un acte de vengeance contre une justice qui m’a mal traité". Plus loin, il enfonce le clou : "Il y a trois siècles ou même un demi-siècle, j’aurais peut-être été jugé, condamné, exécuté et mes enfants n’auraient pu que lutter, après mon assassinat prétendument légal, pour ma réhabilitation".
«Pas une vengeance»
Pour se faire son idée sur l’objectif de ce livre, vengeance ou réel travail de réflexion sur notre système judiciaire, il faut le lire jusqu’au bout, les propositions arrivant en seconde partie d’ouvrage, la première consistant en un état des lieux. Dans cette première partie, Jacques"S’ils sont prompts à châtier les autres, les magistrats ne semblent pas souhaiter condamner une faute commise par un des leurs » (…) « Outreau n’aurait été qu’une affaire Calas de plus, comme on en voit très régulièrement dans les enceintes judiciaires, tous les professionnels de la justice le savent".
Le professeur de droit nuance toutefois dès la fin de son avant-propos : "le citoyen doit pouvoir se réapproprier la justice sans pour autant être obligé de « guillotiner » ses juges". Sa proposition majeure : l’échevinage, autrement dit la participation active du citoyen dans l’exercice de la justice.
«Comprendre, former, aider et contrôler»
Pour Jacques Viguier, la société dans son ensemble n’est pas non plus totalement innocente dans cette affaire, elle qui réclame des droits sans se soucier de ses devoirs, ce qui génère un accroissement de contentieux et de violence. "Ces juges, il faut tout à la fois mieux les comprendre, mieux les former, mieux les aider dans leur travail et mieux les contrôler". C’est sur ces trois axes que vont se développer les propositions du professeur de droit toulousain.A revoir donc pour l’auteur : la formation des juges, initiale mais également continue. "Former différemment et sélectionner différemment" précise le juriste. Le sens humain doit compter autant dans le recrutement que la connaissance technique et le savoir. Et qui manquerait le plus de "sens humain" ? Le juge pénal. Encore lui. Décidément… Tout au long de son ouvrage, Jacques Viguier aime à nous rappeler qu’il existe bon nombre d’autres types de droit. Mais le pénal revient au cœur de son propos, autant de fois qu’il reproche au grand public de ne s’intéresser qu’à cette partie de la justice.
«De la psychologie et de l’humain»
Pour en revenir à la formation, Jacques Viguier préconise moins de bachotage pour plus de psychologie et d’expérience de terrain. C’est aussi pour ne pas court-circuiter cette indispensable formation que, selon l’auteur, le juge ne doit pas être élu. Certes il serait choisi par le citoyen, mais ce dernier n’a pas forcément tous les éléments en main pour élire le bon candidat. Certes, le juge serait ainsi plus que jamais indépendant, mais pour le coup incontrôlable.Mieux formé et plus humain, le juge ne serait ainsi, plus réduit, selon l’auteur, à l’image de "roi méprisant". Mieux formé, le juge arriverait également à dépasser son "origine sociale" qui ne le prépare pas à affronter ce qu’il va être amené à vivre. Jacques Viguier prône également la formation du citoyen à travers "une éducation juridictionnelle" minimum à l’école ou au secondaire.
«L’appel au citoyen»
Le citoyen revient aussi dans la deuxième salve de proposition de réforme de Jacques Viguier à travers «l’échevinage». Pour faire simple, le citoyen devient juge aux côtés du magistrat pour l‘aider dans son travail et donc dans sa prise de décision. Cette procédure a aussi l’avantage selon l’auteur de mettre fin au théorème de Jesse James, celui selon lequel "le délinquant est populaire et admiré tandis que l’Etat est au contraire détesté".Enfin dernière proposition majeure formulée par Jacques Viguier : un meilleur contrôle des juges. Là encore, ces derniers en prennent pour leur grade, notamment quand le professeur de droit évoque leur "désir de gloriole personnelle" quand ils mettent "les médias au service d’une cause qu’ils estiment juste, c'est-à-dire discréditer totalement un individu ou un groupe dont ils ont décidé par avance qu’il serait coupable".
«Guillotiner l’injustice»
Jacques Viguier s’interroge : pourquoi révoque-t-on beaucoup plus de policiers que de magistrats ? "La différence est choquante". Mais, concrètement, quel outil pour mieux contrôler ? Pour l’universitaire, il faut conserver le Conseil Supérieur de la Magistrature mais en changer le fonctionnement "afin qu’il ne cherche pas forcément une excuse à un magistrat coupable d’être à l’origine d’une erreur judiciaire".Alors que répondre à la question-titre de l’ouvrage «La République doit-elle vraiment « décapiter » ses juges ?». Jacques Viguier y amène sa réponse dans les dernières phrases du livre. "A « guillotiner » quelqu’un, autant que ce soit l’Injustice ! Qui pourrait dire le contraire ?"
Jacques Viguier : «La République doit-elle vraiment «guillotiner» ses juges ?», Editions Privat.
Patrick Noviello
A noter que Jacques Viguier sera l’invité de notre émission «La Voix est Libre» samedi 14 novembre à 11h25.