Loui est un mangaka toulousain. Il a percé sur les réseaux sociaux et via une plateforme de financement participatif. Fort de son succès, il vient d'être publié par Glénat, une des grandes maisons d'édition française de BD et de livres jeunesse. "Red Flower" est le premier tome d'une série haletante
Loui vient de publier le premier tome de "Red Flower". Ce mangaka toulousain de 28 ans a créé sa communauté sur les réseaux sociaux et s'est fait connaître via la toile. Il sort son premier manga dans les librairies. La célèbre maison d'édition Glénat parie sur ses talents de narrateur et de dessinateur.
France 3 : Qu'est-ce qui vous a inspiré le premier tome de "Red Flower" ?
Loui : C'est une série prévue en cinq tomes qui s'inscrit dans un univers que j'avais déjà commencé à développer en auto-édition. En trois ans, j'ai fait paraître deux albums qui s'appelaient "Red Flower stories". C'étaient des histoires courtes inspirées de contes et légendes ouest-africaines. Il s'agissait de récits qui étaient tirés de mon enfance en Afrique de l'Ouest : des motifs, des graphismes, des histoires, des choses que j'ai vues là-bas...
Avec cette nouvelle série, je reste dans le même univers. Je conserve les personnages que j'ai développés depuis ces trois dernières années et j'en fais une nouvelle histoire, un nouveau récit en cinq tomes avec des enjeux plus grands, une aventure plus épique et un antagoniste, un grand méchant, beaucoup plus présent.
France 3 : Une inspiration africaine donc. En quoi "Red Flower" tient du manga ?
Loui : Cette histoire tient du manga dans les codes. Je suis allé au Japon plusieurs fois pour apprendre ce que j'appelle la grammaire du manga, c'est-à-dire le choix des cadrages, du rythme narratif, des séquences, des enchaînements des cases et de la pagination. Elle tient de l'Afrique du fait que les histoires, les contes, les légendes, les inspirations, les dictons et la philosophie sont tirés du folklore ouest-africain, de la culture dans laquelle j'ai grandi.
Forcément, après, il y a une bonne dose d'action, de fantaisie, d'aventure, d'arts martiaux, de chamanisme et de vaudou. Il y a plein de motifs comme ça. C'est un bel hybride culturel et graphique. Mais, c'est aussi une histoire universelle dans la mesure où c'est un passage à l'âge adulte, un jeune homme qui veut sauver sa tribu et qui va être amené à réfléchir sur les grandes questions de la vie, à grandir, à prendre en maturité.
France 3 : Pourquoi le manga ? Pourquoi pas la BD ?
Loui : J'ai grandi avec la BD. Je connaissais Astérix, Tintin malgré le fait que j'ai grandi en Afrique. J'avais accès à ces BD à travers ma mère, mais ça ne m'a jamais attiré plus que ça pour mes propres histoires... parce que je me voulais écrivain. Je voulais raconter des histoires.
Quand je découvre le manga, assez tard au final, j'ai déjà 19 ans, c'est le dynamisme des pages, le rythme narratif, la particularité de la narration japonaise qui m'a tout de suite captivé. Il nous plonge au milieu du récit, ça nous intrigue d'une manière que l'on voit rarement dans la BD. Tout simplement, je me suis dit que mes histoires à moi, je voulais absolument les raconter dans ce format-là.
Il y a aussi le fait que ce soit en noir et blanc, ça simplifie beaucoup les choses pour moi, car je ne dessinais pas du tout quand j'étais gosse. La couleur, je ne me sentais pas de la faire. Mais, il y a aussi le petit format qui tient dans les mains. Il est beaucoup plus attirant pour moi. Il y a plus de pages, il est plus petit, il est plus intime qu'une grosse BD cartonnée. Ce n'est pas pour dire qu'il est supérieur à la BD, mais c'était plus attrayant pour mes histoires. Et, force est de constater que la majorité du public ou de la nouvelle génération gravite plus autour du manga que de la BD pour les mêmes raisons, je pense.
France 3 : Vous parlez de l'Afrique de l'Ouest, vous venez d'où exactement ?
Loui : Mon père est Ghanéen. J'ai passé presque 20 ans entre le Ghana et le Togo qui sont deux petits pays d'Afrique de l'Ouest. C'est là que j'ai grandi dans un contexte multiculturel. J'ai fait mes études jusqu'au bac dans une école américaine où j'ai côtoyé des centaines d'élèves d'une soixantaine de pays environ, dans un pays d'Afrique de l'Ouest avec toutes les valeurs et toute la culture qui va avec.
Je suis né en France, mais on est parti très tôt. Je ne m'en rappelle pas. Je suis revenu en France à 21 ans dans le but de devenir un professionnel du manga, de devenir auteur-illustrateur. J'y suis revenu parce que c'est le deuxième pays au monde en termes de consommation de manga, juste après le Japon. N'ayant pas accès au Japon parce que je ne parle pas le japonais, je me suis dit que le meilleur accès était de revenir en France pour lancer ma carrière.
France 3 : Beaucoup de jeunes sont attirés par une carrière dans le manga ? Vous publiez, vous êtes choisi par un grand éditeur à 28 ans, c'est assez exceptionnel, comment vous avez réussi ?
Loui : C'était beaucoup de travail, mais c'est un secteur en pleine expansion à mon sens, un secteur où il y a encore tout à faire. Il y a encore énormément d'opportunités, surtout avec l'arrivée des médiums alternatifs, par exemple le financement participatif, les réseaux sociaux, les kickstarters, Ulule qui est une version française des kickstarters.
Quand je suis arrivé, j'ai découvert ces systèmes qui étaient mis en place qui nous permettent, nous auteurs, de passer outre la barrière des éditeurs et des grosses maisons et d'aller voir directement le lecteur, de lui proposer notre œuvre en face-à-face.
J'ai pu lancer ma série en faisant plusieurs financements participatifs. J'ai proposé à ma communauté en ligne de précommander mon bouquin, de l'acheter avant qu'il ne soit fini pour me donner les moyens de l'imprimer et de l'envoyer à tout le monde. Donc c'est une démarche de confiance, très indépendante qui m'a permis de me lancer. Et, aussi d'avoir la légitimité auprès des éditeurs par rapport à mon travail.
Je pense que ça m'a aussi permis de grandir en tant qu'artiste et de vraiment connaître la chaîne du livre de A à Z, c'est-à-dire que j'ai été le dessinateur, le scénariste, mais aussi l'imprimeur, celui qui fait la relecture, la promotion, la distribution et celui qui vend son livre dans les salons du livre et les conventions manga.
Donc, j'ai cette connaissance intime de la chaîne du livre qui fait que je connais très bien le marché du livre du manga et je sais m'y adapter. Après, il y a aussi de la chance forcément, le sujet que j'ai choisi, la culture africaine en mode fantastique, ça plaît. Il faut reconnaître ça aussi.
C'est une conjonction de ces facteurs de chance, mais aussi de travail acharné, parce qu'à mon arrivée en France, j'ai bossé 10 à 12 heures par jour, le dessin pour m'améliorer, créer mon réseau, partager mon travail, agrandir ma communauté... ça ne s'est pas fait tout seul non plus.
France 3 : On sent une ouverture sur le monde dans vos propos. Comment vous définiriez votre état d'esprit aujourd'hui ?
Loui : "Ma conception du manga et de tout ce que je fais, c'est dans une optique de partage". Je suis toujours, dans mon quotidien, dans l'optique de partager avec quelqu'un donc forcément, il faut que je sois ouvert. Je ne me vois pas être narrateur ou dessinateur s'il n'y a pas un public en face. Je ne me vois pas exister sans ma communauté.
Je travaille dans l'optique que l'on me fasse un retour, que l'on partage des idées... Donc, les histoires que je cherche à raconter vont être tournées vers l'extérieur. Elles vont me permettre à moi, dans le meilleur des mondes, de changer, d'évoluer, de grandir à la même vitesse que mon travail, mais aussi les gens autour de moi et mes lecteurs.
Cette œuvre que je publie chez Glénat, elle est empreinte de cette envie de partager non seulement ma culture, mais un peu de mon vécu. C'est un jeune homme qui va passer à l'âge adulte. Être publié par une maison d'édition et diffusé par des librairies, c'est un peu mon passage à l'âge adulte. Il y a une symbolique comme ça. C'est une œuvre très personnelle dans laquelle je mets beaucoup de ce que j'ai vécu et j'espère que les lecteurs vont le ressentir de cette façon-là.