Pascal Dessaint habituellement connu et primé pour ses romans noirs ou sociaux part cette fois-ci sur une enquête pour le moins insolite. Il se lance sur les traces de Jean-Pierre Mazas, le Géant-de-Montastruc, lutteur de foire mais pas seulement…
Jean-Pierre Mazas, c’est d’abord une légende que Pascal Dessaint fait ressurgir (ou qu’il fabrique comme d’autres avant lui). Un lutteur de foire de 2 mètres 20 et 160 kilos, qui n’aurait jamais été battu, un paysan dont, à plusieurs lieues à la ronde, autour de Montastruc, Lavaur, Gémil ou encore Toulouse, on vante les exploits jusqu’à terminer avec sa baraque itinérante aux bien nommés Invalides à Paris.
2 mètres 20 pour 160 kilos
Qu’est-ce qui peut pousser un écrivain à se consacrer à une histoire plutôt qu’une autre, un personnage plutôt qu’un autre ? Un détour ou un détail qui n’en est pas vraiment un : une visite au musée du Vieux-Toulouse où figurent un moulage de pied et un sabot ayant appartenu à un « géant » de légende populaire.
Jean-Pierre triomphe dans tous les combats qui l’opposent aux champions de la région. Sa grande taille l’oblige parfois à combattre à genoux. Sa réputation est telle qu’elle déborde et excite l’orgueil des lutteurs de la France entière. Jean-Pierre est plus célèbre que les brosses et les bonnets de Lavaur !
Mais pourquoi finalement plus « le bon Jean-Pierre », que par exemple Jules Léotard, souvent décrit comme l’inventeur du trapèze volant, et inhumé dans l’illustre cimetière toulousain de Terre-Cabade ? Peut-être parce que Dessaint comme tous les auteurs de polars a un penchant pour les êtres cabossés, hors-normes.
« Qui peut savoir sa souffrance ? Qui peut savoir son chagrin » s’interroge l’écrivain. Et au docteur qui fait du « colosse » le centre d’une de ses études, Dessaint expédie tel un uppercut une citation d’Anatole France : « Quand on a trop souffert, on ne pense plus. La stupidité, c’est le coup de grâce de la misère ».
Il ne s’agit pas d’un homme fantastique. C’est un homme, d’abord !
L’auteur évalue le règne de Mazas à huit ans, de quoi devenir « riche pour un paysan de l’époque, mais il reste un paysan ». « Il ne s’agit pas d’un homme fantastique. C’est un homme, d’abord ! » dit-on aussi de lui. Ou encore : « il pourrait prendre le travail de tout le monde ! » et « la terre est basse pour lui plus que pour tout autre ».
Géant sous le joug d'un Maître
« Un colosse » décrit aussi une période qui ne nous est pas la plus familière : la seconde moitié du XIXème siècle. Les paysans y sont encore le plus souvent, comme Jean-Pierre, des métayers sous le joug d'un « Maître », maire de père en fils.
Une époque où est également imposé aux jeunes hommes le conseil de révision. Auscultation par un conseil de militaires des futurs appelés auquel se livre le Géant. Description glaçante garantie.
Héros de légende pour destin tragique
Pascal Dessaint se reconnaît dans son héros : « certes, je ne suis pas une force de la nature, mais comme lui je suis issu d’un milieu modeste. Comme lui, j’ai quitté ma région d’origine pour courir le pays. Il est à espérer que la comparaison s’arrête là ».
A l'image de beaucoup de héros de légende (réels ou fabriqués), Mazas va connaitre un destin tragique. Comme tous les colosses, il sera trahi par son corps. Une histoire qui peut parler à chacun de nous.
La question de la singularité d’un être dans son époque, de la chance comme un fardeau, du talent et de ses dangers
La quête de Dessaint n’aura pas été vaine. Comme il le dit, la vie du Géant de Montastruc « pose la question de la singularité d’un être dans son époque, de la chance comme un fardeau, du talent et de ses dangers ». Colosse ou fragile, chacun peut s’y retrouver.
« Un colosse » de Pascal Dessaint, aux éditions Rivages.