Livre. "La vie de ma mère !" de Magyd Cherfi : un premier roman plus vrai que nature

« La vie de ma mère » est la première fiction de Magyd Cherfi. Il y reprend les thèmes qui lui sont chers comme l’identité quand on est issu de l’immigration. L’auteur y développe aussi la question du féminisme sous un angle plutôt novateur : l’émancipation, sur le tard, d’une maman kabyle (la sienne ou pas) sacrificielle et possessive.

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Comment se construire quand on occulte ses racines, « ces défaites » comme elles sont appelées dans l’ouvrage ? C’est ce qui taraude Slimane qui décide, à cinquante ans, de crever l’abcès avec sa mère. Après huit mois de « bouderie », il va retisser avec elle un lien inédit qui va le conduire de surprises en surprises jusqu’à se découvrir lui-même.

 

« Ce qui m’échappait, c’est que l’on puisse être à la fois mal en point et méchant ». Le premier constat que fait Slimane en renouant avec sa mère n’est pas si surprenant. Mais cette première contrariété ne sera pas la seule à surmonter lorsqu’il refait revenir sa mère dans sa vie. Et alors que son couple bat de l’aile, cette reprise de contact familial aura forcément des répercussions sur les liens avec ses propres enfants.

Ne dis pas n’importe quoi ! Je veux bien t’écouter mais ne dis pas n’importe quoi ! Vous êtes nés en centre-ville… j’y peux rien moi si vos cousins sont nés de l’autre côté du périph’… Vous me reprochez quoi en fait ? D’être des privilégiés ? Privilégiés, vous l’êtes, n’en faites pas un obstacle… J’ai une mère, vous avez la vôtre, point final ! Vous n’avez pas manqué de rien, je vois pas ce qui vous turlupine !

Comme dans ses précédents récits autobiographiques (« Livret de famille », « La trempe », « Ma part de gaulois », « La part du sarrasin »), le style de Magyd Cherfi a cela de captivant qu’il mêle une langue à la fois « parlée », concrète, sincère et poétique. Les premières pages sont denses, notamment quand il installe ses personnages. Il y alterne les ressorts humoristiques et ceux plus graves voire tristes.

 

Un Président surnommé « Makrout »

 

"Macron (qu’elle surnomme « Makrout ») c’est bon pour nous ?" interroge la mère qui demande à son fils de lui situer le président sur l’échiquier politique. « C’est le centre » répond-t-il. « Le centre ?» réagit-elle avant de s’écrier : « Ah, le centre commercial ? » Cette femme, percluse de rhumatismes autant qu’enfermée dans ses rancœurs ne va pas cesser de  faire rire ou pleurer.

 

Quant à la famille, plus globalement, elle est déchirée. Slimane n’a plus invité ses frères depuis vingt ans. Lorsque sa mère appelle l’une de ses sœurs sur son portable, il est saisi d’y voir s’afficher sur l’écran « connasse » en lieu et place de « maman ». Comment (se) reconstruire sur ce tas de gravats ? Comment avancer dans la vie également ?

 

S’immiscent ainsi au fil des pages, quand Slimane veut faire soigner sa mère, la question, ancrée chez l’écrivain, de la condition sociale mêlée à celle de la dépendance :

Tout de suite m’est monté le sentiment de l’infamie, on était dans l’espace discount du CHU, je ne m’étais pas douté que ça puiss exister et maman se retrouvait encore une fois renvoyée à l’égout de ses origines. J’ai regretté de ne pas voir eu l’idée du privé. Maudit réflexe de pauvre, instinct de bête radine que de s’illusionner sur le service public, de chercher la solution la plus économe, toujours, de ne jamais penser plus cher

En filigrane aussi, un racisme de classe, « réciproque » quand une autre famille maghrébine vient s’installer dans la salle d’attente et parle fort et en arabe. « Chaque clan pensant que l’autre était de trop ». Mais la mère, en soulageant ses douleurs et sa conscience, va casser tous ces codes et se libérer.

On aurait dit que maman n’attendait que ça, qu’on lui ouvre une dernière porte, comme si tout n’était pas fichu pour elle. Qu’on cesse de l’empêcher. Presque une façon de nous asseoir au banc des accusés. Accusés de n’avoir voulu d’elle que la mère.

« Fait chier la vie, fait chier de penser, fait chier d’aimer et, pire encore, de vouloir l’être » soupire le narrateur (ou Magyd Cherfi lui-même). Voilà sans doute la réflexion fil conducteur de cette saga familiale hors du commun et pourtant si réelle. « La vie de ma mère ! », il faut la lire.

 

« La vie de ma mère », Magyd Cherfi, Actes Sud.

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