Pas grand monde n’avait réussi à nous tenir en haleine avec des histoires de moines ou d’inquisiteurs depuis Umberto Eco ou Henri Gougaud. Antoine Sénanque y arrive dans son « Croix de cendre », mêlant roman d’aventure, fresque historique et polar médiéval en pays toulousain où l'ordre des Dominicains est né il y a 800 ans.
Ah les mystères et les mystiques de la foi, il y aurait de quoi raconter… Encore faut-il manier avec intelligence et style cette matière aussi foisonnante qu’à double tranchant. Si le moyen-âge nous laisse autant de mauvais souvenirs, doit-on en vouloir seulement aux programmes du collège ?
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Athées ou croyants, oubliez tout ça et plongez-vous dans « Croix de cendre ». Les personnages semblent y être familiers tout comme la langue employée. Les premiers dialogues entre frères Antonin et Robert en attestent.
Langue vivante
Quand Antonin reproche à Robert la qualité de la cuisine qu’il prépare au monastère, voici sa réponse : « Je peux pas faire de miracle avec ce qu’on me donne. Je ne suis pas Jésus, Antonin. Je ne peux pas changer le purin en liqueur de rose. »
Ou quand Robert demande à Antonin : « tu sais pourquoi les femmes ne me regarde pas ? » et que l’autre lui répond : « parce que tu fais moine ». Une conversation des plus sérieuses s’instaure alors sur la tentation avant qu’Antonin ne conclue : « Tu n’as jamais pensé que si les femmes ne te regardaient pas, c’était tout simplement parce que tu avais une gueule de cul ? »
Tous ces morts Antonin, qui n’ont pas besoin de terre pour être ensevelis et qui se retrouvent dans les cheminées éteintes. Toutes ces croix de cendre que nous devons dresser… Et, comme eux, sans sépultures, nos espérances, nos joies, nos certitudes… Combien de croix de cendre à tracer sur le sol de nos cellules pour nos désillusions ?
Même le dogme n’est pas identique d’un ordre à l’autre. Avec une valeur suprême qui diffère : « amour de toutes choses » pour les Franciscains, et « intelligence de toutes choses » pour les Dominicains. Mais aux méandres de la foi, Antoine Sénanque rajoute ceux de l’intrigue qu’il tisse.
Le prieur du couvent de Verfeil dont Antonin est le protégé a un secret dont l’Inquisiteur veut s’emparer. Un secret qui va se révéler ligne par ligne et sous la dictée qu’un maître va dicter sur vélin à son élève.
Un secret qui pourrait faire trembler l’Église toute entière mais aussi empêcher les ambitions d’un homme qui se rêvait Pape.
Trois mois s’étaient écoulés, les dominicains pensaient être libérés des miasmes de Kaffa, mais la peste était dormante dans leurs bagages et c’est lors de leur halte dans la maison de Dieu, au grand couvent dominicain de Mayence, qu’elle décida de s’éveiller.
La peste plane sur le récit, celle qui pour certains punit les pêcheurs mais aussi celle qui frappe au hasard sans que l’on sache vraiment pourquoi. A moins qu’il y ait une explication à son déferlement en Europe voire une vengeance qui en soit à l’origine ? L’énigme nous conduira d’un continent à l’autre d’une histoire de sage et élève à une autre.
Avec certaines phrases qui peuvent faire écho en des temps où la pandémie n’est pas si lointaine :
La peste a tué la pensée. Les idées sont mortes sur les charrettes qui portaient les corps de ses victimes. Les catastrophes ont cet effet sur l’humanité, elles tuent les ambitions. Elles rendent l’humilité au monde et les Inquisitions inutiles.
« Croix de cendre », d’Antoine Sénanque, Grasset.