Paco Ibañez, le légendaire chanteur et guitariste espagnol est de retour à Toulouse

Le chanteur espagnol Paco Ibañez était en concert, la semaine dernière à Toulouse, il chantait en duo avec le poète occitan Claude Martí. Il était une fois : Paco Ibañez.

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Certains se souviennent peut-être des magnétophones à cassettes, cassettes que nous avons plus tard écoutées dans nos baladeurs à cassettes, les walkmans. Il est aussi des cassettes audios dont on se souvient plus que d’autres, celles qui à force de tourner, ont vu leur bande se distendre, puis finir par casser. Il en est une, qui est passée du magnétophone familial à mon baladeur d’adolescente, et, y a rendu l’âme. C’est celle du chanteur guitariste espagnol : Paco Ibañez.

« A galopar » (au grand galop), nous disait-il quand nous étions enfants. Et nous, descendants d’immigrés espagnols, si nous n’en comprenions pas vraiment le sens, les paroles chantées dans notre castillan familial, elles, nous étaient familières. Au roulement du R des « tierras de España », suivait la guitare lancée comme le cheval au galop qu’il nous chantait.

Nous vivions avec mes parents et mon frère dans la même maison que nos grands-parents et notre oncle. Mon grand-père, était arrivé en France avec la Retirada. Il avait quitté l’Espagne tout seul. Il avait vécu 15 ans loin des siens avant que sa femme et ses deux fils ne viennent le rejoindre, leur sœur était restée al pueblo, là-bas, au cimetière.

Nous étions en admiration devant cet homme, ce héros, notamment mon père. Engagé politiquement et syndicalement, papa nous traînait de réunions en colloques. C’était notre sortie du dimanche, les discours ne nous intéressaient pas, nous jouions avec les autres enfants, mais elles étaient là en fond sonore, ces paroles passionnées de notre grande famille.

Ce sont, cette ambiance, cette éducation, nos racines qui me portèrent, sans doute, à l’adolescence, au moment où se forge la conscience "politique", à m’emparer de Paco Ibañez. Je ne vous cacherais pas que mes parents nostalgiques du pays, écoutaient aussi du flamenco, ou autres "espagnolades", comme disaient certains, mais je n’en gardais que le souvenir de cris et de paroles incompréhensibles, par contre Paco, sa guitare et son castillan, était-là, prêt à être de nouveau entendu.

Je redécouvris, à ce moment-là, les chansons d’Ibañez, j’y entendis ce qu’il fallait entendre. Les textes de grands poètes espagnols et hispano-américains que j’étudiais au lycée, prenaient en musique une tout autre dimension. Découverte, enfin du grand Brassens avec "la mala réputation" (la mauvaise réputation).

Il me revient à l’instant cette autre chanson d'Ibañez, comme une comptine pour enfant : "Érase una vez" (Il était une fois). C’est une adaptation d’un poème de José Agustín Goytisolo qui parle d’un loup gentil maltraité par des agneaux, d’un prince moche, d’une jolie sorcière et d’un pirate honnête, pour conclure qu’il s’agit là du rêve d’un monde à l’envers : « Érase una vez, un lobito bueno al que maltrataban todos los corderos. Y había también un príncipe malo, una bruja hermosa y un pirata honrado. Todas estas cosas había una vez cuando yo soñaba un mundo al revés. »

Il était une fois : Paco Ibañez

Paco Ibañez est né en 1934 à Valence. C’est en 1937, en pleine guerre civile espagnole, que les Ibañez quittent Barcelone, où ils vivent alors, pour s’installer en France. En 1940, la famille habite Paris, c’est là que le père est arrêté et envoyé dans les camps de travail de Saint-Cyprien et d’Argelès, camps réservés aux républicains espagnols. Sa mère retourne alors avec les enfants, en Espagne, chez les siens, au Pays basque.

Puis, en 1948, la famille traverse clandestinement la frontière pour rejoindre le père à Perpignan. Les Ibañez finiront par s’installer définitivement à Paris, après un passage par Toulouse, au début des années 50. Ce mot, définitivement, n’est pas vain, il résonne avec ma propre histoire familiale.

El exilio de mi padre fue un exilio total, hasta el final, ya que no volvió nunca a España.

Paco Ibañez

Entretien à Barcelone en 2010, mené par Mallika Lignon pour son mémoire de master1 (Mallika Lignon | Cairn.info)

Paco Ibañez, explique que l’exil de son père fut définitif : de nombreux républicains espagnols étant morts sur leur terre d’accueil sans jamais retourner chez eux, ce fut le cas de mon tonton. Mon grand-père quant à lui n’y revint qu’une seule fois, après la mort de Franco bien entendu. Ce retour sur sa terre natale, un moment trop chargé d’émotions, de douloureux souvenirs... il ne réitéra pas ce voyage dans son passé. Je pense aussi à l’oncle de ma maman, qui ne remit jamais les pieds chez lui, un oncle décédé dans la campagne berrichonne où il avait atterri après sa libération du camp de Mauthausen, ce camp de concentration autrichien baptisé "l'escalier de la mort", une autre histoire...

Paco Ibañez ne retournera lui-même en Espagne qu’en 1968 obtenant une grâce du gouvernement franquiste. Mais son séjour ne durera que jusqu’en 1971, inscrit sur une liste d’artistes censurés de par ses positions anti-franquistes. Se voyant interdire toute représentation sur le territoire espagnol, il reviendra en France pour poursuivre son œuvre, en liberté.

Ses débuts sur scène et sa rencontre avec Brassens

C’est lors de son séjour à Perpignan que Paco Ibañez découvre, auprès des gitans, la musique et la guitare. Il commencera à jouer lui-même comme guitariste, une fois à Paris, dans le groupe « Los Yares », avec une chanteuse du nom de Carmela.

Devenu parisien, Paco Ibañez découvre, à la capitale l’engouement de la population pour l’œuvre musicale d’un certain Georges Brassens. Dans un premier temps, il ne comprend pas comment un tel personnage suscite autant de succès.

« A mí Brassens no me gustaba nada, me parecía un gorila …» (Moi Brassens je n’aimais pas du tout, il me faisait penser à un gorille…)

article de Agustí Fancelli

journal el País – décembre 2008

Mais, force de s’intéresser au phénomène Brassens, il finit par reconnaître le talent de cet homme qui met en musique de grands poèmes de la littérature française : "Le petit cheval" de Paul Fort, "Il n'y a pas d'amour heureux" d'Aragon, mais aussi des textes de François Villon, Verlaine, Corneille, Lamartine, Alfred de Musset, Henri Colpi, Victor Hugo... Il se rend compte qu’à travers la chanson on peut transmettre des messages profonds, philosophiques, ironiques, sociaux, sentimentaux et politiques. De plus, la chanson rend la poésie accessible à tous les niveaux sociaux, à toutes les personnes. Pour Paco Ibañez c’est une révélation !

Son premier morceau en solo, en 1956, est une adaptation musicale du poème de Luis de Góngora, un auteur du XVième siècle, "La más bella niña" (la plus belle enfant). Sa vocation est née ! 

Il chantera ainsi grand nombre d’auteurs espagnols et hispano-américains et rendra hommage à Georges Brassens, devenu son ami, dans le disque "Paco Ibáñez canta a Brassens" dans lequel il interprète plusieurs chansons traduites en espagnol par Pierre Pascal.

Un chanteur populaire et engagé

Paco Ibañez devient vite un des précurseurs de la chanson engagée contre le franquisme : "la canción protesta". Il chante pour raconter, dénoncer, avec des poèmes qu’il emprunte à des artistes emblématiques de la république espagnole. Ainsi, entre autres, des textes de Federico García Lorca, exécuté le 19 août 1936 par des milices franquistes ; ou encore ceux d’Antonio Machado, mort juste après avoir traversé la frontière française le 22 février 1939 et enterré à Collioure dans les Pyrénées-Orientales.
C’est sans doute ce qui explique son succès toujours présent auprès de la population espagnole en terre française, surtout à Toulouse. Auprès de cette communauté de réfugiés qui se reconnaît dans ses chansons, auprès des enfants, petits-enfants, nés français mais, qui portent en eux cette histoire familiale. Toulouse, où il a séjourné après Perpignan, "Toulouse sa ville française de cœur", dira-t-il souvent.

Chanteur engagé anti-franquiste, mais pas seulement, militant contre toutes les guerres civiles, partout dans le monde et en tout temps, contre toute forme d’exil. Il est aussi de toutes les luttes sociales, s’attaque à toutes les dictatures, désapprouve le pouvoir de l’argent, de l’Eglise. Lui qui avait connu en Espagne, les obligations dominicales d’un bon chrétien, raconte son premier dimanche, à son retour, auprès de son père. 

Le premier dimanche, j’ai demandé si on devait aller à la messe, comme au Pays basque. Mon père s’est contenté de hausser les épaules et de sourire : sans mot dire, il m’avait fait passer la frontière de la religion

Paco Ibañez

citation tirée du livre « Camps du mépris » : des chemins de l'exil à ceux de la résistance, 1939-1945 par René Grando, Jacques Queralt, et Xavier Febrés

Je souris à la lecture de ce témoignage, moi qui, française née de parents espagnols réfugiés, n’ai connu pour autre obligation dominicale que celle de jouer avec les autres enfants, pendant que les adultes, membre du parti et du syndicat, partageaient à grand bruit. Nous courions au milieu de tout ce monde, comme le cheval du "A galopar" (au grand galop), chanté par Paco Ibañez.

"A galopar" poème de Rafaël Alberti devenu un symbole

Le poème "A galopar " de Rafael Alberti, membre, comme Féderico Garcia Lorca, de la Generación del 27 (groupe littéraire aux idées avant-gardistes qui disparut avec la guerre civile espagnole), est publié en 1938, c’est-à-dire en pleine guerre civile.

Et si parfois les mots en eux-mêmes ne sont pas compris par tout le public, la voix, la musique, les émotions transcendent le message qu’ils veulent transmettre. "A galopar ", un poème devenu chanson que Paco Ibañez offre à son public : « Las tierras, las tierras, las tierras de España, las grandes, las solas, desiertas llanuras. Galopa, caballo cuatralbo, jinete del pueblo, que la tierra es tuya… » (Les terres, les terres, les terres d’Espagne, les grandes plaines, désertes et solitaires. Galope, cheval aux quatre pattes blanches, cavalier du peuple, cette terre est la tienne...)

Ici, dès les premiers vers, avec le rythme de sa guitare, comme une sorte d’onomatopée musicale, Paco nous emmène avec ce cheval au galop qui est évoqué dans le poème.

Ce poème, cette chanson, le public de Paco Ibañez s’en empare, il devient le symbole de la lutte anti-franquiste, un chant en l’honneur des républicains espagnols. Une chanson qui reprise par son public, lors de ses spectacles, devient un hymne à la liberté.
Paco Ibañez, qui est retourné vivre en Espagne, à Barcelone, en 1990, rencontre Rafael Alberti en 1991. Ce dernier a alors le même âge que Paco aujourd’hui. Ils se produiront ensemble sur scène dans un spectacle à deux voix : "A Galopar ". Un des moments les plus forts de sa vie, dira Paco.

Et si je vous parle de Paco Ibañez aujourd'hui, c’est que mardi 17 septembre il était en concert à Toulouse, en spectacle, accompagné du chanteur occitan Claude Martí.

Son amour des langues et sa rencontre avec le poète occitan Claude Martí

Dès son plus jeune âge Paco Ibañez parle espagnol, français, basque, valencien, et enfin le catalan qu’il a appris à Barcelone où il vit désormais. De là à parler l’occitan, une langue qu’il a souvent côtoyée, il n’y a qu’un pas, il le franchit sur scène avec son ami Claude Martí, un personnage majeur de la "cançon occitana" (la chanson occitane), une sorte de troubadour des temps moderne.

Claude Martí est né à Carcassonne en 1941, son parcours est différent de celui de Paco, il n’a pas connu l’exil. Il est lui aussi chanteur, écrivain et poète, un artiste symbolique de lutte du peuple occitan et du renouveau de cette culture dans les années 70. Son répertoire musical s'inscrit dans le mouvement de la "nòva cançon". Ses chansons abordent aussi des thèmes liés à la résistance, à la lutte contre la mondialisation et, bien sûr, à son identité occitane, sa langue et sa culture.

Paco Ibáñez, artiste engagé, s’apparente lui aussi à un troubadour, il utilise, comme ces acteurs du Moyen Âge, des poèmes humoristiques et ironiques pour souligner des défauts de nos sociétés actuelles. Il s'engage également dans la revendication de sa culture espagnole, de sa langue basque maternelle, son valencien paternel, son catalan. Il œuvre contre la mondialisation et l'hégémonie anglo-saxonne :

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Paco Ibañez à Toulouse le 17 septembre 2024. Entretien avec Emilie Castagné et filmé par Laurence Boffet où il parle de l'importance de préserver l'identité des langues. ©FTV

Tu t'insurges : « No problem, cette tendance à effacer l'espagnol, à effacer le français, en français on dit : pas de problème ! »

C’est drôle, tu sais Paco, ce matin je croisais une collègue qui me racontait que, ce "week-end", elle était invitée à une : "baby shower party". Contrainte de faire des recherches pour apprendre qu’il s’agissait d’une fête de bienvenue au bébé. Ouf, rassurée, elle ne se faisait pas à l'idée d'assister à un étrange rituel où l'on doucherait le nouveau-né dans une sorte d’exhibition ! Non, me répondrais-tu sans doute, cela n’a rien de drôle. Et tu aurais, ô combien raison, ami Paco...

Paco Ibañez et Claude Martí sont amis depuis longtemps. Avec 68 ans de carrière, l’aîné est une figure emblématique de la "canción de protesta", tandis que le second est un personnage majeur de la "cançon occitana". Depuis près de 50 ans, ils partagent régulièrement la scène, chacun accompagné de sa guitare. Une véritable amitié durable, sans doute parce qu’ils ont en commun un esprit de révolte. Tous les deux sont des chanteurs de luttes. Bien sûr, chacun a les siennes, mais il y en a une, en particulier, qui les lie : la défense des langues minorisées.

La complicité entre les deux chanteurs s’est exprimée une fois de plus sur scène mardi dernier, devant un public toulousain conquis, avec un spectacle qui porte pour titre "Sin mémoria, pas d'espérança" (en espagnol : sans mémoire et en occitan : pas d’espérance). Vous pouvez voir un reportage concernant ce spectacle en replay sur le site de france.tv, dans : edicion occitana.

Paco, confiait à notre équipe, en coulisses : « J’avais peur que Toulouse, que les Toulousains m’aient oublié ». Non, tu vois, nous ne t’avons pas oublié. Et comme tu le chantes si bien dans ton adaptation du poème Gabriel Celaya : "La poesía es un arma cargada de futuro", nous n’oublierons pas, non plus, que la poésie est une arme chargée de futur !

 

Les sources sur lesquelles cet article s’appuie, sont :

  • le site de Paco Ibañez : A flor de tiempo
  • un extrait du mémoire master 1 de Mallika Lignon « Entre déchirement et création, une voix poétique pour tous » accessible sur Mallika Lignon Cairn.info : La notion de l’exil chez le chanteur engagé Paco Ibáñez (entretien avec Paco Ibáñez réalisé en août 2010 à Barcelone).

J’ai aussi visionné un reportage sur le site de l’INA : Paco Ibanez, un espagnol à Paris, filmé à Aubervilliers où sa famille a émigré. Le chanteur discute en espagnol avec sa mère.



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