Depuis la pandémie de Covid, de plus en plus de collégiens et de lycéens sont victimes de phobie scolaire. La neuro-psychologue toulousaine Claire Maiore décrypte ce phénomène parfois lié à la difficulté à s'adapter à la rigidité du système scolaire.

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La phobie scolaire; ou refus scolaire anxieux comme le nomme les spécialistes, a toujours existé. C'est un problème de santé publique récurrent. Mais le contexte sanitaire lié au Covid a accentué cette problématique. Pour Claire Maiore, une neuro-psychologue toulousaine spécialisée dans la prise en charge des enfants et des adolescents, le système scolaire ne peut plus fermer les yeux sur ce phénomène. Elle a accepté de répondre à nos questions.

France 3 : pourquoi y a-t-il une recrudescence des phobies scolaires ou de ce que vous nommez le refus scolaire anxieux ?

Claire Maiore : les enfants et les adolescents ont toujours eu une tendance au décrochage. Mais aujourd'hui, on se rend compte que l'école n’a jamais travaillé le sens, ce qu'on appelle le sens de l’expérience scolaire : pourquoi j'apprends ?

Finalement le fait de faire l'école à la maison a mis en exergue le fait que beaucoup de jeunes avaient des difficultés dans le rapport à l'autre, mais aussi des difficultés déjà à trouver du sens à sortir de chez eux. La crise sanitaire a simplement accentué le fait de ne pas comprendre réellement pourquoi on va à l’école, pourquoi on y ressent de l’ennui, on y vit de la passivité. C'est vraiment des enjeux dans cette période de développement de l'adolescent au collège et au lycée.

Le refus scolaire anxieux est pluri-factoriel : on peut avoir des enfants qui ont eu des troubles des apprentissages donc ça accentue la phobie scolaire, on peut avoir des enfants qui ont des difficultés à la maison ou une personnalité plus anxiogène, ou une maladie, ou qui ont un vécu de harcèlement.

France 3 : comment peut-on le repérer ?

Claire Maiore : C’est rarement du jour au lendemain qu’on n'est plus dans la capacité d’aller à l’école. Il y a des phases : on a un décrochage partiel le plus souvent dans un premier temps. L'enfant ou l'adolescent lutte pour essayer de dépasser ses angoisses et puis arrive un moment où on va de moins en moins en cours. Puis encore moins et on finit par décrocher complètement.

Ce n'est pas une volonté, c’est vraiment une incapacité, une incapacité psycho-affective qui bloque l'enfant. Et ce qui rend souvent les choses compliquées, c'est que, même nous les professionnels de santé, quand on veut faire du lien, qu’on met en place un PAI (plan d'apprentissage individualisé) validé par le médecin psychiatre ou le médecin scolaire pour des aménagements, on a beaucoup de mal à le faire respecter par l’ensemble des enseignants.

Au collège ou au lycée, on n'a pas comme en primaire un seul interlocuteur et même si on parle avec le professeur principal, une infirmière ou un CPE, c’est le libre arbitre des enseignants qui prime. Par exemple, l'un des aménagements les plus courants, c’est de ne pas interroger l'enfant en classe parce que le regard des autres peut être problématique. Or ce n'est quasiment jamais respecté. On préconise aussi que l'enfant puisse sortir de cours. Mais il y a des adultes qui font systématiquement des réflexions, des remarques...

France 3 : Vous voulez dire que le corps enseignant n'est pas à l'écoute des élèves dans ce genre de cas ?

Claire Maiore : Les adultes dans le système scolaire français, ce n'est pas qu'ils sont dans le déni mais ils sont limités. Ils sont là pour transmettre des connaissances dans une matière précise. Mais ils estiment ne pas être là pour gérer les difficultés psycho-affectives de leurs élèves.

Je pense qu'en France, le système éducatif a beaucoup de carences. Mais ce défaut de prise en charge de la part des enseignants, ça montre qu’il y a qui a une souffrance. Ils manquent de moyens, d’information aussi sur : qu’est-ce que c’est qu’apprendre ? Qu’est-ce qui fait apprendre ? Quelles sont les processus qu’il faut mettre en place ou la dynamique qu’il faut pour qu’un enfant soit à l'aise dans sa situation d’apprentissage ?

En psychologie, on étudie beaucoup le rapport au savoir, le sens de l’expérience scolaire parce qu’il y a vraiment dans la construction de la connaissance un rapport intellectuel mais surtout un rapport identitaire. Et ça, c’est difficile quand on a des groupes de 30 élèves qui ont tous des difficultés à leur niveau (familial, social ou d'apprentissage...). Et viennent se jouer dans les apprentissages des fragilités dont on aimerait qu’elle n’aient pas leur place mais il ne s’agit pas de fermer la porte de la classe pour que l’élève devienne élève.

France 3 : Qu'est-ce qui manque ?

Claire Maiore : Il faut construire ce statut d'élève dès le plus jeune âge, ce que le système français n'a pas réussi à faire. L’enfant doit comprendre ce qu'il fait là. On le voit avec les profs qui ont un programme à tenir : il y a ceux qui suivent et ceux qui ne suivent pas, qui font comme ils peuvent....

Dans ce contexte, l'école ne fait qu'accentuer les fragilités et c’est bien ça le souci. C'est ça qu'a révélé le Covid. Ce sont les enfants en situation les plus fragiles à la base qui ont été impactés. Je ne dis pas que le refus scolaire anxieux ou la phobie scolaire ne touchent que les situations familiales ou les élèves fragiles parce qu’on a beaucoup d’élèves qui sont dans des milieux aisés.

Mais ces enfants-là ont la chance que les parents payent des cours particuliers. Ils ont un milieu social et des modèles de réussite qui peuvent les rassurer. Ce sont eux qu'on voit, nous, car les prises en charge coûtent cher et ne sont pas remboursées par la sécurité sociale.

Ce sont les personnes qui sont capables de payer le soin et d’accompagner l’enfant de manière correcte que l'on voit. Et c'est un peu hypocrite de vouloir la gratuité car en fait les enfants dont les parents ont les moyens arrivent à pallier les carences du système. Pas les autres.

France 3 : C'est une particularité française ?

Claire Maiore : Chaque système est perfectible. Mais on voit que dans d'autres pays, des modèles plus efficaces sont mis en œuvre. En Suède ou dans les pays anglo-saxons, il y a vraiment ce respect du rythme de l'enfant et de l'adolescent. On ne laisse pas un élève assis 8h par jour à écouter dans la passivité des adultes avec la connaissance censée entrer dans son cerveau.

Il y a des cours le matin et ce n’est pas des cours où l’enfant est passif. On voit des choses plus ludiques, il y a de la collaboration, de la coopération. Les classes inversées en sont un exemple : on donne un sujet aux élèves et c’est à eux de construire le cours à travers des recherches. On leur donne les moyens d’être acteurs de leur connaissance. On allège leurs emplois du temps.

En France, ils sont assis de 8h à 17h30. Ils n’ont pas le temps de vivre, de jouer et de faire du sport. Il y a cette injonction de la performance, cette peur de l’avenir. Le système scolaire actuel ne valorise que ce que l’enfant a acquis. On ne voit pas à quel point il a pu travailler dur. J'ai des patients qui bossent 4h et ont un 8/20 au contrôle et d’autres qui ont des très bonnes capacités. Ils bossent 20 minutes et ont 18. Mais on ne voit que la note.

Aujourd’hui je pense que le problème éducatif c’est qu’on ne valorise pas l’effort, on valorise le résultat. On ne peut pas donner du sens. Et l'enfant a raison de refuser ça parce que c'est injuste. Je pense que le problème du refus scolaire pointe du doigt un système défaillant.

France 3 : Qu'est-ce que vous vous proposez en thérapie ?

Claire Maiore : On éduque les enfants. On leur apprend à comprendre le fonctionnement et les mécanismes de l’anxiété. On leur apprend des techniques. Ils sont tous très volontaires pour apprendre à identifier les symptômes qui vont venir prédire la crise. Ce sont des jeunes qui ont envie de s’en sortir, vraiment, donc ils se saisissent des outils.

Le problème, c'est quand on a un adulte qui humilie ou qui ne considère pas l'enfant, qui lui refuse de sortir par exemple du cours quand il sent l'angoisse l'envahir.... L'enfant perd alors confiance dans les gens qui l'encadrent. 

Il y a l'enseignement à distance bien sûr, le CNED mais ce sont des pavés énormes et l’enfant va se retrouver tout seul à digérer des théories de maths, de physique-chimie avec des difficultés d’interaction avec les profs. Heureusement, on a des parents qui sont hyper volontaires, qui acceptent et considèrent la détresse de leurs enfants comme légitime. C'est un point fondamental qui permet que la prise en charge se fasse rapidement.

Mais on a aussi beaucoup de cas de familles qui disent que l’enfant fait exprès. Ils n’acceptent pas en fait les manifestations d’angoisse donc c’est vraiment un travail pluridisciplinaire à faire avec ces familles pour montrer que l’enfant souffre.

L'important c’est de montrer qu’on est là pour lui et qu’apprendre, c’est un enjeu pour sa vie future mais on doit lui dire : ce n'est pas parce que tu vas souffrir que tu vas apprendre et tu n’es pas obligé d’apprendre en souffrant. Nous, on est là pour t’aider à ce que tu puisses t’épanouir dans ta scolarité parce que la scolarité est obligatoire jusqu’à 16 ans et elle est nécessaire pour que tu puisses faire le métier que tu veux mais tu n’es pas obligé de souffrir dès le matin au réveil...

France 3 : Que faut-il changer ?

Claire Maiore : Je pense qu’il y a un défaut d’orientation. On stigmatise l’orientation en voie professionnelle ou en voie technologique parce qu'on se dit : si mon fils a un bac général, il va mieux réussir dans la vie alors qu' il y a beaucoup d’enfants qui ne sont pas faits pour la forme vraiment scolaire des apprentissages. Et ça ne veut pas dire qu’ils vont moins bien réussir, ils vont juste prendre une autre voie et s’épanouir dans un domaine.

On culpabilise beaucoup l’enfant qui ne réussit pas en montrant ce qu’il ne sait pas faire. Quand un enfant souffre, par exemple, d'un trouble déficitaire de l’attention ou un enfant qui a des grosses difficultés, on ne va pas compter le nombre de fois où il s’est retenu d’être impulsif. On va juste retenir la fois de trop ou la énième fois où il a été impulsif. Mais on ne tient aucun compte de toutes les fois où il s’est contenu, ça peut être 10, 15, 20 fois.

L'école joue avec la peur : la peur du regard, la peur de l'avenir : qu’est-ce qui va arriver si je ne fais pas mes devoirs ? Qu’est-ce qui va arriver si mon prof m’interroge et que je ne connais pas la réponse ? Qu’est-ce qui va arriver si je dois faire une récitation devant mes camarades et que j’oublie quelque chose ou que je bégaye ?

Ce sont des jeunes qui sont en construction identitaire. Ils n’ont pas ce qu’on appelle l'assise narcissique c’est-à-dire la confiance, l’estime de soi suffisamment forte pour se confronter. Donc le refus scolaire anxieux, c’est un repli majeur sur soi parce qu’on a juste oublié comment faire un pas devant l’autre et à quel point on pouvait être important pour soi-même.

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