Le maillot du Toulouse Football Club floqué du nom de Mohamed Merah a provoqué une importante polémique mais a aussi révélé la trace laissée par le terroriste dans certains pans de la société française. Une marque dont on ne connaît toujours pas la portée, faute d'études sur la question.
Provocation ? Véritable adhésion ? L'affaire du maillot de Toulouse Football Club floqué du nom de Mohamed Merah et du nombre de ses victimes, 7 personnes au total dont trois enfants à l’école juive Ozar-Hatorah de Toulouse en 2012, a provoqué une profonde réaction de rejet, mais a aussi révélé un phénomène à bas bruit. Celui d'une mythologie du terroriste toulousain.
La propagande par le fait
"Dès le lendemain des attentats, on a vu dans certains quartiers des gens dire qu’il avait bien agit, avance Franck Touboul, président du Crif Midi-Pyrénées. Si vous pensez que 10 ans après je suis surpris, pas du tout. Quand on voit comment évolue notre société, je me dis plutôt que dans les années qui viennent : on aura de nouveau réécrit l’histoire. On entendra des choses ignobles. Nous serons là et les Toulousains meurtris par ces attentats pour défendre la vérité. Et décider clairement que ce type était un salaud."
Par l'atrocité de ses actes, aux motivations notamment antisémites, Mohamed Merah, de façon consciente ou non, a cherché à laisser une trace. "C'est une idée très présente dans le milieu anarchiste souligne Jérôme Ferret, Maître de conférences en sociologie à l'Université Toulouse 1 Capitole. On cherche la postérité avant tout par l'acte." Une stratégie élaborée à la fin du XIXe siècle développée par les milieux anarchistes et nommée "propagande par le fait" dans l'espoir de "provoquer une prise de conscience populaire."
Comme le rapporte le procureur de Paris, François Molins, en mars 2012, Mohamed Merah aurait ainsi prononcé cette phrase "Tu tues mes frères, je te tue" avant de commettre son premier meurtre d'un militaire. Mais en abattant notamment trois enfants à l'école juive Ozar-Hatorah, le petit délinquant toulousain a, qu'on le veuille ou non, passé un cap et marqué un tournant : "Au-delà de l'acte abject, les tueries de Mohamed Merah en 2012 sont un véritable marqueur historique. Un marqueur qui vient heurter l'inconscient collectif" ajoute Jérôme Ferret.
Un monstre pour les uns, mais aussi parfois un modèle
Aux yeux de certains Mohamed Merah est un symbole des atrocités du jihadisme, mais pour d'autres, il est un modèle. En 2016, Jean-Paul Azam, professeur d'économie émérite à l'école d'économie de Toulouse (Université de Toulouse 1), utilise le mythe grec d'Erostrate pour expliquer, dans un article, en partie le terrorisme jihadiste. Erostrate détruisit volontairement le temple d’Artémis, en 356 avant J.C, considéré comme l’une des sept merveilles du monde. Il n'avoura comme seule motivation pour expliquer son geste criminel, son souhait de devenir célèbre et de passer à la postérité.
Le chercheur évoque le cas de Mehdi Nemmouche, terroriste se mettant en compétition avec le tueur toulousain : "Mehdi Nemmouche (qui) déclare : « Je vais faire cinq fois Merah au 14 juillet ». Ce Français d'origine algérienne, soupçonné d'avoir une expérience jihadiste en Syrie, a tué quatre personnes au Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014. De manière significative, Nemmouche a cherché à rivaliser avec Merah sur le front de la tuerie des Juifs."
Face à ce constat, Jean-Paul Azam ira jusqu'à proposer des méthodes pour permettre de réduire la publicité de ces attaques terroristes "qu'elles reçoivent dans les médias".
Une multiplication des incidents dans le cadre scolaire
Malgré tout, les pouvoirs publics peinent à endiguer le phénomène, dans une période où l'antisémitisme ne cesse de se développer. "Maintenant, vous avez de l’apologie du terrorisme tous les mois, souligne par ailleurs Christophe Miette représentant du syndicat des cadres de la sécurité intérieure. Dernièrement, à la gare Montparnasse, deux individus criaient qu'ils voulaient tout faire sauter. L’apologie du terrorisme existe en permanence et est alimentée par des jeunes qui n’ont pas forcément conscience de ce que cela peut représenter et peiner des gens en souffrance."
Depuis plusieurs années, de nombreux incidents au sein des établissements scolaires ont été recensés, comme ces élèves musulmans en 2016 refusant une excursion à Oradour-sur-Glane puis le témoignage d’un déporté ; en 2022, des élèves d'un collège de Toulouse quittent leur cours pendant la diffusion par leur professeur de musique d'une chanson des Beatles en raison du Ramadan ou à Montauban où les atteintes à la laïcité n'ont cessé d'augmenter dans un lycée.
Quelle proportion et quelle nature du phénomène ?
Dans ce contexte, que peut représenter Mohamed Merah pour des collégiens et des lycéens ? En se rendant à la sortie d'un établissement secondaire, situé dans un quartier populaire de Toulouse, le premier constat est que ce nom n'évoque le plus souvent rien à la majorité de ces adolescents ou jeunes adultes, âgés de 16 à 18 ans.
Les rares réponses à l'évocation du terroriste toulousain portent le plus souvent sur les conséquences de ses meurtres sur l'image de la religion musulmane. "C’est un terroriste, c'est le meurtre. La violence. Tout ça, ce sont des idées qui ne devraient pas exister et que l’on assimile trop à l’islam" explique un jeune lycéen. Une de ses camarades, elle aussi musulmane, assure "avoir les nerfs" à son évocation. "On nous assimile tout le temps à cela" déplore-t-elle. Dans le même temps, elle évoque la perception que peut avoir son entourage : "Mohamed Merah a attaqué les Israéliens, on va dire, car il y a un conflit entre Israël et la Palestine. Il a peut-être voulu défendre cette idée et faire réagir les gens en faisant ça. Oui, j’ai entendu ça. Moi, je comprends cet argument, mais je reste partagée."
Reste à savoir quelle est la proportion de ce type d'interprétation des attentats de mars 2012 à Toulouse et Montauban ? Quelle est la nature du phénomène ? De l'adhésion ? De la fascination ? De la révolte ? Des questions sans réponses. Aucun travail collectif n'a été réalisé à ce jour sur ce traumatisme de l'histoire toulousaine.