A Toulouse aussi il y a eu fichage des "gilets jaunes" blessés dans les hôpitaux

Malgré la ferme opposition des équipes médicales et paramédicales du CHU de Toulouse, un fichage des " gilets jaunes" blessés lors des manifestations a bien eu lieu. 

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C'est un tweet du 13 avril du Dr Gérard Kierzek, urgentiste à l'Hôtel Dieu à Paris, qui a relancé l'inquiétante affaire du fichage des gilets jaunes dans les hôpitaux :

Une alerte notamment relayée par le site d'information konbini :
 Mais les hôpitaux parisiens ne sont pas les seuls à avoir noté avec zèle le nom des "gilets jaunes" blessés lors des manifestations, comme l'ont révélé Médiapart, dès janvier, puis le Le Canard Enchaîné dans ses éditions des 17 et 24 avril.

Nous avons pu établir qu'à Toulouse aussi, l'Agence Régionale de Santé (ARS) a, plusieurs samedi de suite, enjoint les hôpitaux de Toulouse et le Samu d'activer pour les blessés des manifestations de « gilets jaunes » le fichier SIVIC (Système d'identification des victimes), mis en place après les attentats de 2015 pour faciliter le décompte, l'identification et le suivi des victimes d'attentat.

Ce fichier, encadré par le décret du 9 mars 2019, est théoriquement consultable par les ministères de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères. Le listing est supposé être renseigné en temps réel par les hôpitaux et comprend notamment le lieu, l'heure de prise en charge de la victime, la nature de ses blessures, son identité ainsi que celle(s) de la ou des personnes l'ayant éventuellement accompagnée. Idéal pour un service de police qui souhaiterait venir cueillir un manifestant...
La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) avait, à l'époque de sa mise en place, émis des réserves sur ce système, demandant que les patients soient informés et donnent leur accord pour être ainsi fichés.

Dans ce fichier, seul l'anonymat des membres des forces de l'ordre blessés est préconisé, comme le montre ce courriel envoyé par l'ARS aux hôpitaux de Toulouse :



Un fichage contesté et globalement refusé par le corps médical

Des médecins urgentistes et des membres du personnel paramédical du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Toulouse nous ont rapporté avoir reçu cette note émanant de l'Agence Régionale de la Santé les enjoignant de signaler les patients "gilets jaunes" dans un listing contenant ces  informations.

Les équipes s'y sont, selon eux, fermement opposées. Au CHU, certains médecins ont tout simplement déchiré le formulaire. Ils affirment n'avoir ensuite plus été sollicités pour en remplir d'autres.
 

Le simple fait de mentionner que quelqu'un est passé par les urgences serait trahir ce secret


"Ce n'est même pas la peine d'essayer de nous le demander, nous explique l'un d'eux. Le secret médical est au coeur de notre pratique. Nous avons prêté un serment. Le simple fait de mentionner que quelqu'un est passé par les urgences serait trahir ce secret".
"Le déclenchement du dispositif SIVIC, s'indigne un autre, devait être réservé à des situations exceptionnelles. A ma connaissance, les manifestations de "gilets jaunes" qui ont lieu tous les samedi ne sont pas exceptionnelles. L'extension de SIVIC à des manifestations de contestation sociale représente un grave danger pour les libertés individuelles".


Si le déclenchement du dispositif SIVIC pour les "gilets jaunes" s'est généralement heurté au ferme refus des corps médical et paramédical, il n'en a pas toujours été de même pour les agents administratifs, souvent des contractuels, qui procèdent aux admissions et établissent les fameuses étiquettes à l'entrée d'un patient.

Ces agents, souvent en situation précaire, "ont obéi aux injonctions de leur hiérarchie", admettent les syndicats CGT et SUD.
 

Une affaire dénoncée par les syndicats dès décembre au Comité Technique d'Etablissement 

C'est le syndicat SUD Santé qui a levé le lièvre à la fin de l'année 2018. Soutenu par la CGT, SUD a interpellé la direction du CHU sur cette question lors du Comité Technique d'Etablissement de fin décembre.
"La direction n'a pas répondu, relate un syndicaliste, mais on a pu constater que le fichage via SIVIC s'était arrêté tout seul après le 12 janvier".


Sollicités, les professeurs Bounes et Charpentier, respectivemment patron du SAMU et patronne des urgences, qui n'ont pas pu ne pas être au courant de la mise en place du dispositif SIVIC pour les gilets jaunes, et de la ferme opposition du corps médical dans leurs services, ne nous ont pas répondu.
 

Des consignes aussi dans le privé

Du côté des hôpitaux privés, les urgences de la clinique Occitanie nous ont assuré ne pas avoir été sollicitées pour un tel fichage de "gilets jaunes". A la clinique Croix-du-Sud, la demande a bien été faite à l'administration, mais les urgences n'ont pas reçu de consigne particulière. Celles des Cèdres indique "n'avoir jamais reçu de telles consignes", auxquelles "si cela avait été le cas, nous nous serions opposés »
Quant à la clinique Ambroise Paré, elle a bien reçu les consignes, mais ses urgences indiquent ne pas les avoir suivies.
 

La réponse des autorités

Contrairement à la direction des hôpitaux publics de Paris, qui pour sa part, a reconnu que le fichier "SI-VIC" avait parfois inclus "de manière inapropriée" des précisions de nature médicale, la direction du CHU botte en touche. Au grand jamais elle n'est à l'initiative de ce pataquès, et renvoie vers l'Agence régionale de Santé. "SIVIC, c'est un outil national. C'est l'Etat et l'ARS qui en répondent, voyez avec eux !", nous a-t-elle indiqué.

Contactée, l'ARS Occitanie admet que le dispositif SIVIC a bien été déclenché pour les manifestations de "gilets jaunes" à Toulouse les 7 et 13 décembre. "Comme chaque fois que se déroule un événement lors duquel on peut craindre de nombreux blessés", indique-t-elle. "Ce dispositif a notamment été déclenché dans la région lors de l'attentat de Trèbes ou pour les inondations de l'Aude", précise-t-elle. Mais selon elle, "le fichier ne doit pas comporter de rubriques comportant des données médicales. Ces éléments n'ont pas à y figurer". Quant à l'accès à ce fichier SIVIC par le ministère de l'Intérieur, l'ARS affirme qu'il ne serait possible qu'en cas d'attentat.
 

La CNIL saisie par l'ordre des médecins

Au niveau national, l"Association des Médecins Urgentistes de France (AMUF) s'est pourtant inquiétée d'une "mise en danger des libertés individuelles" et dénonce la "tentative de transformer le personnel de santé en auxilliaire de police". "Nous sommes dans une dérive inacceptable", s'indigne son porte-parole, le docteur Christophe Prud'homme. "Ce sont les mêmes méthodes qu'en 1968 où les policiers venaient relever les noms des blessés de la nuit sur les registres. Aujourd'hui l'informatique facilite le fichage", déplore-t-il sur son compte facebook.

Le syndicat Union Française pour une Médecine Libre (UFML) dénonce des faits "potentiellement gravissimes".
Le Conseil National des l'Ordre des Médecins a pour sa part saisi la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) ainsi que le ministère de la Santé.

Voir le reportage de Julie Valin et de Thierry Villéger :


 
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