Après #Meetoo ou #Balancetonporc, un nouveau phénomène prend de l'ampleur sur TikTok.. Des jeunes dénoncent leur agresseur sexuel avec le hashtag cœur violet et en publiant leur photo. Une pratique très risquée au regard de la loi. Les explications d'une avocate spécialiste des usages numériques.
C'est le nouveau phénomène destiné à dénoncer les agressions sexuelles sur les réseaux sociaux. La publication d'une photo de l'agresseur présumé sous le hashtag cœur violet. Est-ce légal ? On décrypte avec une avocate spécialisée.
Une musique, identique pour toutes les publications, "Glided Lily" des Cults en accéléré et un hashtag cœur violet. Sous ces identifiants, ils sont de plus en plus nombreux à dénoncer une agression sexuelle ou un viol sur le réseau TikTok. Une façon de se faire justice soi-même.
Pour France Charruyer, avocate toulousaine et spécialiste des usages numériques, ce nouveau phénomène pose de nombreuses questions.
Claire Sardain, France 3 Occitanie : France Charruyer, en quoi ce genre de publication pose problème ?
France Charruyer : "Le problème, c'est qu'à travers ces posts, les victimes ont choisi de se faire justice, elles-mêmes, sans aucun recul. Si on ajoute à cela le sentiment d'invisibilité via les algorithmes et le buzz que cela peut produire, c'est la loi du talion numérique ! On déplace le débat sur le Net, alors qu'il existe un lieu pour traiter ce type de problématique, et c'est d'une violence inouïe. En plus, ces internautes doivent savoir que la parole de la victime peut être remise en cause. Des enquêteurs spécialisés peuvent mettre les victimes devant leurs invraisemblances, ou détecter des troubles psychologiques. Il y a chaque année des milliers de non-lieux ou d'acquittement. Et l'on ne parle pas des risques juridiques."
C.S : Alors justement qu'encourent les auteurs de ces publications ?
F.C : "Ils risquent bien évidemment des poursuites : une plainte au pénal pour dénonciation calomnieuse et même au civil avec des demandes de dédommagements. Ce n'est pas parce que vous dénoncez, que vous avez le droit d'ignorer le principe de la présomption d'innocence. La vérité judiciaire, ce n'est pas que condamner. Il y a des procédures à suivre : il faut porter plainte et laisser la justice se faire. Sans compter que ce type de pratiques servent même parfois la cause des agresseurs, qui ont le temps d’effacer leurs traces.
Ce qui me sidère, c'est qu'aujourd'hui, on veut appliquer une peine sociale avant même la tenue d'un procès. Excommunier quelqu'un sur les réseaux sociaux, bannir ou isoler un présumé innocent, c'est un recul inquiétant. Ça signifie que la vérité judiciaire n'existe plus et c'est même dangereux pour la démocratie. Parce que si aujourd'hui, on fait ça dans les affaires d'agressions sexuelles, demain, ce sera quoi ? Juste parce qu'on n’est pas d'accord ? Ça nous rappelle des moments très noirs de notre histoire en matière de délation.
À l'aune de la désinformation, ces personnes qui postent doivent savoir qu'elles devront assumer les conséquences de leurs actes et en répondre au regard de la loi."
C.S : Comment faire aujourd'hui pour que ces victimes puissent se faire entendre ?
F.C : "C'est une question de confiance. Nous devons retrouver la confiance en notre justice et ne pas nous laisser instrumentaliser par les réseaux sociaux. La vengeance n'est pas la meilleure voie vers la résilience. Il faut absolument résister à ce culte de l'instantanéité. Il faut avoir le courage de la nuance et accepter la complexité des situations. Tout n'est pas noir ou blanc, certaines choses doivent se gérer avec recul.
Internet c'est tout sauf le réel. Le problème, c'est que ça va très vite. L'espace numérique a envahi le réel et les frontières sont floues. Côté judiciaire, les délais d'attentes sont de plus en plus longs. Alors la réponse judiciaire doit changer : aller plus vite, avoir plus de moyens. Au nom de la sécurité et de la présomption d'innocence. Car c'est une vraie crise démocratique que nous vivons et on n'est quand même plus au Moyen Âge.
Il faut vraiment retrouver la parole autre part que sur le Net, n'utiliser les réseaux sociaux que pour ce qu'ils ont de bon et dénoncer ce qu'ils ont de pire. C'est d'ailleurs le sens de la future réglementation européenne : une régulation nécessaire et un encadrement des plateformes."