Témoignage. Pour le père d'une victime d'agression sexuelle, "l’Eglise ne peut plus faire l’impasse sur ces sales affaires"

Publié le Écrit par Sylvain Duchampt avec Melissande Queinnec

A Toulouse (Haute-Garonne), le 30 et 31 mai 2022, les victimes de frères dominicains sont entendues par la Commission Reconnaissance et Réparation. Olivier Debay se bat depuis 20 ans pour alerter sur l'un d'eux ayant tenté d'embrasser sa fille. Pour le père de famille, "l’Eglise ne peut plus faire l’impasse sur ces sales affaires."

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" Je suis une victime collatérale" se présente d'emblée Olivier Debay à France 3 Occitanie. "Mais je refuse de désigner Cerbelaud comme un père ou un frère, précise-t-il aussitôt. Il ne le mérite pas. "

Pourtant, le père Dominique  Cerbelaud  a accompagné durant de nombreuses années la famille de ce chef d'entreprise. La première rencontre se fait au milieu des années 80 par l’intermédiaire d’une proche. "Ma belle-sœur était une jeune veuve suite à un accident dramatique avec son mari. Elle avait besoin d’un soutien spirituel. " Elle s’est donc tournée vers ce prêtre.  Suite à un nouveau drame, Olivier Debay et sa famille quittent Paris et s’installent à Carcassonne. Le frère Cerbelaud est alors très présent :  lors de réunions mensuelles dans un groupe spirituel de couple, lors de retraites à l' Abbaye de  Sylvanes  dans l'Aveyron ou comme aumônier de camps de jeunes dans l'Aude. "Nous avons vécu des choses très fortes ensemble, spirituellement" reconnaît Olivier Debay.

Une tentative d'agression sexuelle

C’est lors d’une troisième tragédie que tout bascule. "Après la mort accidentelle de ma petite-nièce et filleule, ma fille, alors étudiante, a eu besoin d’un soutien spirituel pour vivre ce deuil. Elle s’est réfugiée auprès de lui. Il se voyait souvent jusqu’au jour où elle nous a appelés dans tous ses états. Il avait essayé de l’embrasser."

Une tentative d'agression sexuelle vécue comme un véritable traumatisme. Olivier  Debay et ses proches sont choqués et désemparés face "à l’autre visage de ce séducteur pervers, rempli de mauvaises pensées" :

C’est une trahison même si elle a eu de la chance puisque d’autres victimes ont subi des gestes beaucoup plus graves. Dieu merci, cela n’est pas allé plus loin pour elle. Mais cela a beaucoup perturbé son sentiment amoureux, mais aussi sa confiance dans le prêtre. Le prêtre, c’est encore plus grave que quelqu’un de la famille puisque c’est l’image du père, c’est l’image de Dieu qui est détruite. Et ces prêtres pédophiles ont pour responsabilité énorme de faire perdre la foi à beaucoup de victimes.

Olivier Debay, père d'une victime

Interview France 3 Occitanie

Durant 10 ans, Olivier  Debay part au combat pour faire connaître les agissements de ce prêtre. Sans succès. Une enquête est menée par l'archevêché de Toulouse et de nouvelles victimes découvertes. L'ordre des Dominicains auquel appartient le père Dominique Cerbelaud est alerté. Le prêtre est mis à l’écart. Il est envoyé en Italie, en Israël, pour "calmer le jeu, constate Olivier  Debay. Ce qui se faisait dans beaucoup de cas similaires. Les Dominicains ont été lâches et complices."

Invité à la télévision pour parler du diable...

Jusqu’au jour où le père Cerbelaud revient dans la ville de Boscodon près de Gap.  Il y a mené un vie normale. Il est même élu conseiller municipal. "Il intervenait sur les plateaux de télévision, comble de l’ironie perverse, afin d’y parler du diable" enrage le père de famille.

Mais au début des années 2010, la parole commence à se libérer. "Nous sommes repartis dans nos démarches fortement conseillés et soutenus, je tiens à le dire, par Monseigneur Barbarin et par l'évêque de Carcassonne qui nous a aidé à reconstituer un dossier."

La seule solution trouvée pour faire avancer l’affaire est d’en parler dans la presse. D’abord dans un quotidien local, puis dans La Croix. "Cela a permis à d’autres victimes de se révéler et obtenir de nouvelles sanctions" grâce à l'arrivée notamment de l’actuel provincial des Dominicains et au travail de la Ciase.

"Mes fils vomissent l'Eglise"

Pour Olivier Debay, "l’Eglise ne pouvait plus faire l’impasse sur ces sales affaires". Pour lui, l'appel à victime lancé par les frères Dominicains est un pas important, mais il reste encore un long chemin à parcourir.

Dominique Cerbelaud est toujours Dominicain. Il est toujours prêtre. Il n’a jamais été condamné pénalement, ni civilement. L’Église de France a pris des décisions très importantes sur toutes ces affaires de pédophilie. Elle a mis en place ces commissions de réparation, mais en droit français lorsqu’il y a un crime, on est condamné au pénal. L’Église s’est contentée d’aller au civil pour verser des indemnités et essayer de réparer, mais au pénal, elle n’a pas condamné ces prêtres. La seule réparation que nous demandons, c’est la réduction à l’état laïc et l’exclusion pour les religieux de l’ordre auquel ils appartenaient. Nous ne pouvons pas envisager la moindre démarche de pardon tant qu’il n’y aura pas cette justice. Je demande à ce que tous ces prêtres soient réduits à l’état laïc.

Olivier Debay, père d'une victime

Interview France 3 Occitanie

Reste également la question de la prescription. Pour Olivier Debay, il faut qu'elle soit supprimée pour les crimes pédophiles. "On  sait très bien que les victimes ne se révèlent que 20, 30, 40 ans après les faits."

Sa fille va bien.  Elle a fait sa vie et est devenue maman. Elle continue à croire en Dieu. En revanche, ses fils "aujourd’hui  vomissent l’Église". "Ils se sont totalement détournés de la religion catholique, déplore-t-il. On ne peut que prier et attendre qu’ils comprennent que ce sont des hommes qui ont failli, pas l’Église."

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