Manque de personnel et de moyens, la psychiatrie publique est exsangue et son personnel ne cesse de dénoncer cette situation. À Toulouse (Haute-Garonne), 3 d'entre eux, ont choisi de prendre la plume pour faire entendre leur colère et pour raconter leur quotidien auprès des patients : une psychiatrie à visage humain.
"Prendre la psychiatrie à bras-le-corps", c'est ce que demandent aux autorités publiques 3 soignants toulousains dans un écrit en forme de témoignage et sous le nom des "les Aboyeurs de voix" . Ils racontent la réalité de leur quotidien auprès des malades.
Un constat alarmant
Ils exercent depuis presque 20 ans dans un service de psychiatrie publique et ils assistent "à la déliquescence des conditions d'accès aux soins en santé mentale". Car depuis les années 2000, la psychiatrie est devenue le parent pauvre de l'hôpital public et le manque de moyens se fait cruellement sentir "dans une société qui se précarise, avec des pathologies plus complexes en miroir du contexte social".
Les soignants dénoncent "le matériel concentrationnaire et les protocoles déshumanisants" : "Chaque jour nous crions nos alertes aux oreilles d’un management qui ne sait qu'appliquer mépris et violences institutionnelles. Chaque jour, la gangrène de ce système de soins gagne du terrain et la psychiatrie publique se retrouve amputée un peu plus."
Chaque semaine le taux d’occupation des urgences psychiatriques atteint plusieurs fois 200 % voire 250 %. 2 patientes violées e 1 suicide #Toulouse https://t.co/89HdWehuvR
— Lee Ways (@lee_wayshfx) March 3, 2024
Après la colère, voire l'abattement, ces 3 soignants ont choisi de montrer le vrai visage de la psychiatrie publique. Un travail avant tout humain : "La psychiatrie est une mission d'intérêt public, elle peut toucher, chacun d'entre nous", affirment les personnels soignants. "Nous plaignons les personnes qui ne connaissent pas l'essence même de notre métier".
La psychiatrie à taille humaine
En 20 ans de carrière, ces soignants ont vécu au plus près des malades : "Notre métier c'est d'être aux côtés de cette femme qui souffre d'une psychose infantile et qui meurt de peur à l'idée de ses soins. Et lui chanter "le tourbillon de la vie" car c'est la seule chanson qui l’apaise. C'est voir son visage se détendre et la voir sourire. C'est oublier les protocoles de soins et mettre un clip de Snoop Dog à ce patient schizophrène pour qu'il accepte sa prise de sang hebdomadaire."
Soutenir au sein de l'institution mais aussi en dehors : "Notre métier c'est d'amener au restaurant une à deux fois par an, cet homme atteint de schizophrénie manger une vraie entrecôte avec de vraies frites, prendre un vrai café et regarder passer la vie côte à côte. C'est quitter sa blouse blanche et accompagner cette patiente que son délire protège de la violence de la réalité, aux obsèques de son père. C'est sortir du service quelques heures avec ce jeune patient atteint de troubles de l'humeur, pour aller nourrir son chat qui attend qu'il rentre. Le regarder retrouver la joie de s'occuper de la seule personne qui soit encore dans sa vie."
"On ne veut plus entendre parler de protocoles"
À l'hôpital sur le pas d'une chambre, dans le sas d'accueil des urgences ou parfois au tribunal, " les Aboyeurs de voix" partagent un regard, des larmes, des rires aussi, des confidences avec les malades. Un lien tissé au fil des mois mais qui reste fragile : "Il y a des échecs brûlants qui nous tordent le ventre, des peines et des douleurs partagées, de la violence souvent, mais aussi des petites victoires qui font qu'on a envie d'y retourner chaque matin et de recommencer."
Situation aux urgences psychiatriques au CHU de Toulouse-Purpan | Revenant sur des "événements dramatiques et éprouvants pour les familles et les soignants", @MoniqueIborra (RE) demande au Gvt comment il compte revoir "toute la filière psychiatrique"#DirectAN #QAG pic.twitter.com/Up3JuDFU83
— Assemblée nationale (@AssembleeNat) February 27, 2024
Pour ces soignants, il y a urgence : "Nous ne pouvons plus entendre parler de protocoles lorsqu’un homme, une femme meurt de souffrance psychique, se suicide dans une chambre, fugue pour se jeter sous un train ou se fait agresser par un autre patient". Et de rajouter : "Si la psychiatrie publique meurt c'est tout un pan de la société qui mourra avec : vous, nous. l'État, le gouvernement, les différentes institutions." En février 2024, deux agressions sexuelles et le suicide d'un patient au service psychiatrique ont violemment touché le CHU de Purpan à Toulouse.