Témoignage. Une mère en deuil alerte sur la prise en charge défaillante des jeunes atteints de troubles psychiatriques

Publié le Mis à jour le Écrit par Christine Ravier

Amandine, la fille d'Isabelle Machado, était atteinte de troubles schizophréniques diagnostiqués tardivement. Elle s'est suicidée à 27 ans après des années d'errance thérapeutique. Sa mère dénonce une rupture de soins avant son passage à l'acte et une non-assistance à personne en danger.

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Amandine a vécu aux côtés de son petit frère une enfance joyeuse. Rien qui puisse alerter ses parents. Mais à l'âge de 13 ans, elle fait des crises d'une violence extrême et sombre dans la paranoïa sans avoir conscience d'être malade. Isabelle Machado, sa mère, raconte dans "Parfois l'amour ne suffit pas...", le combat qu'il a fallu mener des années durant pour obtenir un diagnostic et une prise en charge psychiatrique. En vain pour cette dernière. 

Amandine n'a pas présenté les symptômes classiques de la schizophrénie. "Elle n'avait ni hallucinations, ni délires au tout début, relate Isabelle. Elle m'insultait, faisait des crises violentes, on n'arrivait pas à la maîtriser. La prise en charge s'est faite en dents de scie. Avant sa première hospitalisation, les médecins étaient focalisés sur la crise d'adolescence qu'ils qualifiaient d'exacerbée. Le fait qu'elle soit une enfant adoptée a servi d'alibi. Ils me disaient que c'était une crise identitaire, qu'elle faisait de la provocation".

Une situation kafkaïenne

Elle n'a pas été diagnostiquée avant l'âge de 22 ans, date à laquelle elle a fait une crise de bouffées délirantes. Neuf ans après les premières crises qui ont empoisonné sa vie et la vie de sa famille, la jeune femme est enfin identifiée comme psychotique. 

"À la fin, les médecins étaient d'accord pour dire qu'elle présentait un trouble schizo-affectif. Mais il a fallu des années pour avoir un diagnostic. On a erré pour faire reconnaître ses troubles. Et on s'est confronté au problème du consentement... Tant qu'elle était mineure, j'ai pu la "traîner" chez les psychiatres et psychologues. Même si ça n'a pas été efficace, je pouvais agir. À partir de sa majorité, non".  

Isabelle ne comprend pas le positionnement des médecins : le déni fait partie des symptômes de la maladie. Or, on lui répond systématiquement que sa fille n'étant pas consentante, elle ne peut être prise en charge. Une situation kafkaïenne à laquelle il a fallu faire face.

Absence de suivi

"Le premier travail du médecin, c'est de travailler la relation, la confiance avec la personne pour la placer en soin". Amandine est ballottée de spécialiste en spécialiste. Hospitalisée à de nombreuses reprises, elle est relâchée dans la nature sans suivi. 

"À la sortie des hospitalisations, si la personne ne veut pas de soins, il ne se passe rien. Bien sûr, il manque des lits mais il existe des solutions pour que ces patients ne retournent pas à l'hôpital. Chaque fois qu'elle a fait une tentative de suicide, elle est ressortie sans aucun suivi de l'hôpital... Ils cochaient la case "absence de risque de suicide". Tout repose sur les familles. On se retrouve seul, on est là pour éponger les crises sans savoir quoi faire... à part rappeler les secours".

Une psychologue qui a suivi Amandine quelques temps et qui avait réussi à établir une relation de confiance avec elle, avait prévenu qu'il y avait un risque de suicide réel, qu'il ne s'agissait pas seulement d'appels au secours. Mais elle n'a pas été entendue par les autres professionnels.

Psychiatres et psychologues ne se parlent pas. Pire : entre psychiatres hospitaliers et psychiatres de ville, il n'y a pas non plus de dialogue.

Isabelle Machado

Dans ces conditions, comment un patient peut-il être correctement suivi et accompagné ? C'est la question que pose Isabelle au travers du récit qu'elle fait de ces années de douleur et d'immense solitude. Elle estime qu'ils ont été abandonnés, Amandine, sa fille au premier chef, mais aussi l'ensemble de la famille.

"Aller voir un psychologue, c'est pisser dans un violon", "Si ça servait à quelque chose, ça se saurait"... Ces jugements à l'emporte-pièce, Isabelle les a entendus de la bouche d'une psychiatre alors qu'elle-même ne mettait en place aucune prise en charge durable.

"Ils l'ont abandonnée"

Amandine s'est suicidée à l'âge de 27 ans. "La dernière prise en charge, celle de ses 6 derniers mois de vie, c'était la pire... Un véritable cauchemar ! Le médecin qui l'avait suivie avant le Covid était parti. Elle lui faisait confiance et suivait le traitement qu'il avait prescrit. Son successeur lui a proposé un nouveau traitement. Amandine a pensé qu'on la prenait pour un cobaye, elle était en colère. Le médecin lui a dit de revenir quand elle serait calmée. L'infirmier, de son côté, a signalé qu'il ne voulait pas aller la voir car elle était trop agitée".

Amandine vivait alors dans un appartement indépendant. Personne n'a pris de ses nouvelles, ne s'est assuré qu'elle suivait la prescription. "On m'a reproché le fait qu'elle n'ait fait que changer de médecin. En fait, elle ne l'a pas fait volontairement. Quand il partent, il faut bien aller ailleurs, on n'a pas le choix, explique Isabelle Machado. Quand le médecin m'a appelée pour me présenter ses condoléances, je lui ai répondu que c'est Amandine qu'il aurait dû appeler. Ils l'ont abandonnée. Elle nous disait : personne ne veut s'occuper de moi. Tout le monde a fermé la porte, elle a été rejetée complet ! Ça a été le coup fatal".

Non-assistance à personne en danger

Isabelle s'est adressée à l'ARS (Agence régionale de santé) après la mort de sa fille. Elle estime qu'il y a eu rupture de soins et non-assistance à personne en danger. Pendant la réunion avec la dernière équipe de soin, on lui a dit que l'issue aurait sans doute été la même quoi que les médecins aient pu faire. "Ils se sont abrités derrière le manque de moyens en psychiatrie, ça les dédouane. Je ne remets pas en cause ce problème de moyens. Mais il y a le lien avec la personne. Ce qui était faisable n'a pas été fait pour Amandine. Ils m'ont posé la question : est-ce qu'il y aura des poursuites ?...".

"J'ai entendu : "Des Amandine, il y en a plein la rue".

Isabelle Machado

"Voilà ce qu'on reçoit en tant que parents alors qu'il y a des solutions. Le médecin qui suivait Amandine avant le Covid (et qui n'a pas poursuivi car il avait d'autres projets, il a quitté la France) était formé à la communication avec les schizophrènes. C'est lui qui nous a parlé du programme Profamille* que tous les parents devraient pouvoir suivre. Cette formation a été un point d'ancrage salvateur pour moi pour communiquer avec Amandine et comprendre les implications de sa maladie. Il nous a également parlé de la réhabilitation psycho-sociale qui permet un retour à un fonctionnement autonome et s'appuie sur les points forts de la personne".

Quelle formation des soignants ?

Isabelle Machado se demande si les autres médecins étaient au courant de l'existence de ces programmes. "Il y a un problème de formation et un problème de lien, il faut s'investir, conclut-elle. Il faut donner des moyens larges à la psychiatrie, mais pas que des lits. Il faut de l'accompagnement pour que le patient puisse comprendre la nécessité de suivre un traitement, accepter les effets secondaires extrêmement lourds. Ça suppose une relation de confiance, tout un suivi qui prend du temps. Attendre que la personne veuille se soigner, c'est voué à l'échec".

La formation Profamille est diffusée par Solidarité Réhabilitation antenne Occitanie à Toulouse. L'UNAFAM  (Union nationale d'amis ou de familles de personnes handicapées psychiques) est une autre association qui a beaucoup soutenu Isabelle par le biais notamment de ses groupes de parole.

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