L'Observatoire des pratiques policières a rendu public ce mercredi 17 avril un rapport dénonçant "un dispositif de maintien de l'ordre disproportionné et dangereux pour les libertés publiques" à Toulouse. Il est basé sur des observations récoltées lors de manifestations de mai 2017 à fin mars 2019.
On les reconnaît en manifestation grâce à leurs casques jaunes et bleus et gilets fluorescents. Les observateurs de l'Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP) sont souvent au coeur de l'action, près des rangs des forces de l'ordre, mais ne sont ni policiers ni manifestants.
Leur but est d'observer et de récolter le plus d'informations possible concernant les pratiques du maintien de l'ordre pendant les manifestations récentes. Ces informations viennent d'être rassemblées et analysées dans un rapport de 137 pages rendu public ce mercredi 17 avril.
L'Observatoire est composé de membres de la Ligue des droits de l'homme (LDH), de la fondation Copernic et du Syndicat des avocats de France (SAF) : tous tirent la sonnette d'alarme face à ce qu'ils dénoncent comme des "rapports de force disproportionnés" entre manifestants et forces de l'ordre à Toulouse, et une "mise en danger des libertés publiques," notamment le droit de la liberté d'expression, mis en lumière dans ce rapport cinglant.
Un rapport de force disproportionné
L'OPP a commencé à observer des manifestations en mai 2017, mais fait la distinction dans son rapport entre les manifestations "traditionnelles" déclarées et celles qui ont lieu tous les samedis depuis le début du mouvement des gilets jaunes en novembre 2018.
Il pointe des dispositifs d'armement "disproportionnés" entre forces de l'ordre et manifestants, qui se traduit par une "escalade dans les armements" du côté des policiers : des "flash-ball" et lanceurs de balles de défense utilisées à Toulouse depuis le 1er décembre 2018 à l'utilisation "massive et continue" depuis janvier des PGL-65, qui permettent de tirer plusieurs bombes lacrymogènes à la fois pour générer "d'importants et compacts nuages de gaz".
"Il y a une assymétrie entre les armes de certains manifestants et celles des forces de l'ordre," affirme Pascal Gassiot de la fondation Copernic, s'adressant à des journalistes toulousains ce mercredi lors d'une conférence de presse. Il oppose des jets de cannettes, de peinture, de bouteilles en verre et l'usage (très) occasionnel de cocktails molotov de la part des manifestants à l'arsenal quasi-militaire dont disposent les policiers.
Des violences policières
Au-delà de la disproportion des armements forces de l'ordre/manifestants, le rapport pointe aussi des violences policières à répétition. Notamment, "l'usage immodéré des LBD", "un large usage des grenades explosives", et une "utilisation massive et sans précédent à Toulouse des gaz lacrymogènes qui provoquent de nombreux troubles importants."
"Il y a une volonté de criminaliser, de blesser, d'insulter et de faire peur aux manifestants," dénonce Marie Toustou de la LDH de Toulouse. "La violence des forces de l'ordre est totalement disproportionnée par rapport à ce que font les manifestants."
Des chiffres communiqués à l'OPP par deux groupes de secouristes volontaires lui ont permis de "recenser avec certitude" 151 personnes blessées physiquement lors de 5 manifestations ayant eu lieu à Toulouse entre les actes XII et XVI des gilets jaunes. C'est environ deux fois plus que les chiffres diffusés par la préfecture pour l'ensemble des manifestations des gilets jaunes (elle en dénombre 60 au total).
Des libertés publiques en danger
Selon l'OPP, ces violences font partie d'une "stratégie de la peur" mise en place par les autorités. Une stratégie qui relève de "l'empêchement de la liberté de manifester", d'après Marie Toustou.Du côté de la justice, le rapport dénonce une "judiciarisation" du mouvement des gilets jaunes. Me Benjamin Franco, du SAF, tire la sonnette d'alarme : "Il y a un recours quasi-systématique à la comparution immédiate, et le maintien en détention provisoire dans des cas qui impliquent des manifestants... Une justice d'exception est en train de se mettre en place autour des gilets jaunes," avertit-il.
L'Observatoire réclame une étude de la "désescalade" et un audit indépendant
En conclusion du rapport, l'OPP demande la mise en place de quatre mesures :- L'interdiction définitive dans la dotation des policiers des grenades GMD et GLI-F4 ainsi que des LBD simples ou multi-coups ; ces armes de "défense" ne doivent pas devenir en fait, des armes offensives
- Le retrait des Brigades anti-criminalité (BAC), des dispositifs destinés à encadrer les manifestations
- La mise en oeuvre d'un audit indépendant sur la formation et le déploiement des Compagnies de Sécurisation/Compagnies départementales d'intervention
- Une remise à plat profonde de la doctrine du maintien de l'ordre en France, respectueuse des droits de manifester afin de favoriser, comme dans la plupart des pays européens, la "désescalade"