Jean-Jacques Camarra a passé sa vie à observer les plantigrades. Au départ, partout dans le monde, puis dans les Pyrénées pour le compte de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage. Fort de cette expérience et d’une vie « au grand dehors », il livre aujourd’hui sa vision de l’évolution de nos montagnes, de la nature mais aussi de notre société.
La collection « Marcher avec » des éditions Salamandre promène ses lecteurs dans la nature, mais aussi dans les voyages intérieurs où les auteurs veulent bien les emmener. Jean-Jacques Camarra nous conduit dans sa maison des Pyrénées, tour à tour refuge intime et lieu de travail pour ses observations des ours.
On l’y trouve au moment du confinement, prisonnier volontaire. Dans cet instant hors du temps et pouvant s’apparenter à de la science-fiction, il mêle à la description des gestes du quotidien (marches, observation de la faune et de la flore, mise en place du feu, rafistolage de la bâtisse…) sa réflexion sur ce qu’est en train de devenir notre monde et donc notre planète.
Souvent les scénarios commencent par un chaos plongeant les hommes dans des relations sociales virtuelles et appauvries. Rendus à ce stade, les hommes se réinventent toujours de bonnes intentions qui ravivent amour, compassion et respect de la vie. Mais cette résurrection n’est rien d’autre qu’une préparation du monde pour un autre tour de piste…
Jean-Jacques CamarraAu Pays de l'Ours
Il effectue aussi des comparatifs en se replongeant dans son « carnet papillon », celui écrit quelques années en arrière. On y découvre, à travers ses observations de la nature, la surveillance des ours, avant réintroduction mais aussi des théories comme celle, très peu populaire, de l’amélioration des conditions alimentaires du plantigrade : autrement dit le dépôt de nourriture dans certaines zones (viande boucanée, maïs).
Ours contre 4x4 et tronçonneuses
Autour de sa « cabanotte des anges », Jean-Jacques Camarra a, de son côté, planté plusieurs variétés de pommiers dont les plantigrades voisins se délectent, des crottes garnies de pépin l’attestant. Mais celui qui reconnaît que la réimplantation du plantigrade dans le Béarn a évité de ne laisser la forêt qu’aux 4x4 et aux tronçonneuses, regrette d’être catalogué uniquement dans les « passionnés de l’ours » et refuse les étiquettes.
Parce que le problème est peut-être aussi là, dans les Pyrénées, comme dans le débat sur l’écologie : ne lister que des « pour » et des « contre ». L’auteur peste aussi contre notre « société du spectacle » toujours poussée vers plus d’individualisme. Il nous invite à « écouter plutôt ce que disent les civilisations anciennes face à la vieillesse et à la mort, alors qu’elles n’étaient encore que des groupes soudés, dénués de toute conscience de l’individu et du libre-arbitre ».
Quant aux leçons à tirer de la pandémie, il n’en attend pas grand-chose :
Nous sommes rendus à la croisée des chemins d’un monde en plein questionnement, mais comme toujours, le Grand Soir né des années d’adolescence ne sera pas. Je ne perçois malheureusement d’autres voies que celle d’une fuite en avant, comme l’après crise de 2008.
Jean-Jacques CamarraAu pays de l'ours
En avril 2020, interrogé par un journaliste sur la découverte d’un ourson mort, l’ancien technicien de l’équipe de suivi de l’ONCFS dit « redécouvrir sa chère liberté de propos, celle d’avant son existence de petit soldat de la fonction publique ». Ne pas laisser ses experts en parler comme ils le voudraient, voilà qui tronque aussi le débat sur l’ours.
Aujourd’hui celui qui a donné sa vie à l’étude de la nature dénonce la société civile et son déni face à la destruction de notre planète. « Elle relègue ce phénomène dérangeant au catalogue des risques accessoires, bien en deçà de ceux, plus concrets, du tabagisme et de l’alcool, comme si la crainte n’était pas proportionnelle à la gravité de la menace ».
Réconcilier l’homme et la nature
Jean-Jacques Camarra dit appartenir « à ce grand dehors » que constituent ces paysages magnifiques qu’il contemple de sa fenêtre régulièrement tout au long de son livre. Un ouvrage qui s’achève par la construction d’un mur de jardin en pierres, symbole des pratiques ancestrales, d’une nature généreuse mais aussi peut-être de son rocher de Sisyphe.
Il finit par retrouver son « quatre pièces cuisine » dans la plaine urbaine où la pandémie sévit toujours. Le naturaliste nous apprend qu’en chinois ancien, le mot « crise » signifie tout aussi bien « désastre » qu’« opportunité ». Il ne désespère pas de l’avènement « d’une société moderne réconciliant enfin l’homme et la nature ».
« Au pays de l’ours » de Jean-Jacques Camarra, Salamandre.
Jean-Jacques Camarra sera l’invité du 18.30 le vendredi 13 mai.