Une élève du collège Gaston Fébus de Lannemezan a été victime de harcèlement scolaire. Elle a tenté de se suicider. Quelques-uns de ses harceleurs ont écopé d'une exclusion de 2 jours. Les parents et l'association Stop harcèlement 65 mettent en cause la prise en charge de l'adolescente. Témoignage.
Nous l'appellerons Anna*. Elle a 12 ans et elle est scolarisée en 5e au collège Gaston Fébus de Lannemezan. Début février, elle a fait une tentative de suicide en prenant des médicaments. Hospitalisée, elle s'en est sortie mais sa famille et l'association Stop harcèlement 65 demandent des comptes à l'Éducation nationale.
Tout a commencé en 6e. Anna participe avec ses amies à un jeu à la récréation. Elle perd et écope d'un gage : elle doit demander à un garçon "comment tu t'appelles ?". Celui à qui elle s'adresse a une petite copine que connaît Anna.
Des insultes aux coups
La petite copine prend le prétexte de ce jeu naïf pour insulter Anna. Des "t'es une salope ! T'es une pute !"* fusent dans la cour de récréation. S'ensuivent des bousculades devant les casiers, dans les escaliers, des menaces de mort explicites.
Ils sont un petit groupe de 5 à 6 élèves de 5e à s'en prendre à elle pendant la pause déjeuner, y compris à la cantine. On lui assène : "dégage de cette table", on la harcèle jusqu'à la frapper à la tête. C'est ce que raconte, émue Erika, la mère d'Anna.
Quand elle découvre le calvaire que vit sa fille, elle va voir le principal du collège. Il la rassure. Les parents des harceleurs sont convoqués, mais rien de plus. L'emploi du temps d'Anna est aménagé. Elle ne déjeune plus à la cantine.
Nous, on a eu le sentiment que c'était Anna qui était punie
Erika, la mère d'Anna
"Ma fille a commencé à avoir des idées noires. Elle avait en permanence dans la tête les insultes que lui lançaient ses harceleurs. Elle a commencé à se scarifier, d'abord sur la main, puis les jambes. Son état s'est dégradé. Elle a même tenté de se jeter par la fenêtre".
Les parents de la jeune fille portent plainte, mais n'ont pas de nouvelles. Elle est suivie par une pédopsychiatre. Au collège, le climat semble plus apaisé jusqu'à la fin de cette année de 6e. Mais le répit est de courte durée.
Une tentative de suicide
Cette année, peu avant les vacances de février la jeune fille tente de se suicider. Ses parents découvrent qu'elle est de nouveau harcelée. Cinq garçons dont quatre de sa classe la traitent de "salope", "sale pute", "chinoise" (en référence à sa couleur de peau, explique sa mère, Anna est d'origine réunionnaise).
C'est sa mère qui découvre tout cela, alors qu'elle lui a demandé de consigner par écrit ce qu'on lui jette au visage quotidiennement : "dégage", "va crever", "va te suicider", on la traite du nom d'une actrice de films porno. Ces jeunes lui disent : "Tu suces les SDF", "je vais te violer", "suce-moi la bite".
Deux jours d'exclusion pour les harceleurs
Les parents d'Anna portent à nouveau plainte. Contre l'établissement cette fois, les jeunes et leurs parents. Mais là non plus pas de nouvelles, expliquent-ils. Ils apprennent que les jeunes ont été exclus deux jours en tout et pour tout. Leur fille, elle, vit dans la peur et doit composer, quotidiennement d'après sa mère, avec le traumatisme.
Quand l'association Stop harcèlement 65 décide d'organiser une manifestation avec le soutien d'un groupe de motards pour escorter Anna à son retour à l'école (une forme de protestation qui s'est déjà vue dans d'autres départements), les parents disent avoir été contactés par la gendarmerie. Ils auraient été sommés de retirer leur soutien à la mobilisation. Au final, la manifestation qui devait se dérouler ce lundi 28 mars a été annulée. Anna est revenue à l'école la peur au ventre, explique sa mère.
Des rencontres avec la famille
Nous avons contacté Thierry Aumage, l'inspecteur d'académie des Hautes-Pyrénées, qui n'a pas souhaité répondre directement à nos questions. Dans un communiqué, il explique que plusieurs rencontres ont eu lieu avec la famille, que la situation est suivie par l'assistante sociale de la direction académique et le médecin de santé scolaire.
"Suite aux difficultés rencontrées par Anna, le proviseur a pris des sanctions avec exclusion pour plusieurs jours des élèves fautifs, mentionne-t-il. Ils ont été changés de classe pour ne plus être en contact avec Anna. Anna est revenue hier au collège. La famille a été reçue à nouveau hier soir par le proviseur et les parents ont exprimé leur satisfaction".
Isoler la victime
L'inspecteur explique aussi qu'un échange hebdomadaire aura lieu avec les parents aussi longtemps que nécessaire avant de conclure : "au plan général, le collège a impulsé un travail de sensibilisation sur le harcèlement. Des équipes de la gendarmerie sont notamment intervenues sur le cyberharcèlement dans les classes en complément des interventions internes à l’établissement".
Ces dispositions sont loin de satisfaire la présidente de l'association Stop harcèlement 65, Elisabeth Aguirre, qui ne décolère pas. "Il y a eu une réunion la semaine dernière et la seule solution qu'ils ont proposé est de garder Anna en classe pendant les récréations, explique-t-elle. C'est inadmissible !"
"On est très inquiet"
"C'est toujours comme ça avec l'académie et les établissements. C'est ou on les change de collège ou d'école, comme ça on en entend plus parler ou on trouve des solutions comme celle-là. C'est double peine pour les victimes".
Une vision à laquelle adhèrent les parents d'Anna qui ne se sentent pas soutenus et estiment leur enfant en danger. "J'ai peur pour ma fille. J'ai envie de dire "stop" parce que beaucoup d'enfants meurent et ils n'ont pas mérité ça. Nous, on lui dit : on ne t'a pas mise au monde pour que tu subisses ça ! On la soutient mais on est très inquiet. Et c'est vrai pour toute la famille. Mon fils me raconte ses cauchemars. Il se dit terrorisé : je vois Anna en train de partir et je n'arrive pas à l'aider".
*Le prénom de la victime a été changé.
*Les insultes sont reproduites in extenso afin d'établir clairement les faits dénoncés par les parents.