Le procès de Rémi Chesne et Audrey Louvet, co-accusés d'avoir séquestré et assassiné Patrick Isoird en juin 2014 dans la "grotte sanglante" de Sète, s'est ouvert ce 18 janvier devant la Cour d'Assises de l'Hérault à Montpellier. La vengeance froide d'un mari trompé serait-elle la clé de ce crime ?
Six ans et demi après l'assassinat de Patrick Isoird en juin 2014 dans la "grotte sanglante" de Sète, le procès des deux co-accusés Rémi Chesne et Audrey Louvet s'est ouvert ce lundi dans le strict respect des mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 et en présence de nombreux médias locaux et nationaux.
Après une première partie de matinée consacrée au choix des jurés et à la lecture de l'acte d'accusation, Rémi Chesne a pris la parole pour une brève affirmation : "Je suis innocent et c'est tout !". A l'inverse, Audrey Louvet s'est dite prête à coopérer : "Je sais ce que j'ai fait, je suis là pour dire toute la vérité".
Une affaire très médiatique
Compte tenu de la réduction de moitié de la capacité d'accueil de la salle d'audience, seuls 13 journalistes peuvent y être présents en même temps. Le public est limité à une vingtaine de personnes. La distanciation est de mise, du gel hydroalcoolique et des charlottes pour les micros ont été mis à disposition. C'est Anne Haye qui préside ce procès dont le verdict est attendu le 27 janvier. L'avocat général est Georges Gutierrez.
Audrey Louvet comparaît libre
Dans le box des accusés, Rémi Chesne semble bien seul. Audrey Louvet comparaît libre et répond aux questions à la barre. Libérée en juin 2020 car le délai pour sa détention provisoire était dépassé, elle avait fini par avouer en 2017 avoir servi d'appât pour attirer la victime dans une cavité des flancs du Mont Saint-Clair où un guet-apens lui aurait été tendu par Rémi Chesne, ce que ce dernier a toujours nié.
Pas de complicité mais une co-action
Mais ce n'est pas la complicité qu'ont retenue les juges au terme de l'instruction : c'est la co-action d'Audrey Louvet. Durant 10 jours, les deux co-accusés devront donc répondre des mêmes chefs d'enlèvement, séquestration et assassinat sur la personne de Patrick Isoird, abattu de 2 balles de fusil de chasse et dont le corps a été retrouvé ligoté et en partie calciné dans la fameuse "grotte sanglante".
Des faits qui auraient pour mobile la vengeance, des années après une relation sentimentale qu'aurait entretenu la femme de Rémi Chesne, Nadège, avec Patrick Isoird. Une épouse elle-même retrouvée pendue dans le garage familial en 2009. L'enquête avait alors conclu à un probable suicide. Mais l'assassinat de Patrick Isoird a depuis relancé les doutes sur ce scénario.
Rémi Chesne, coiffeur tranquille ?
Rémi Chesne s'est donc attaché à brosser de lui-même le portrait d'un homme rangé et heureux avant ce drame :
C'est dur de parler de soi. Excusez-moi, je suis mal à l'aise dans de telles conditions... Je suis une personne calme, non rancunière et respectueuse. J'ai vécu avec ma femme Nadège et ma fille Laurine en union heureuse. Tout se passait bien, nous partions en vacances, nous étions bien. Lorsque ma femme est "partie" nous avons réussi grâce à mon frère et mes parents à surmonter ce drame. Puis j'ai rencontré Céline et on s'est installés ensemble... On s'est fiancés, nos familles s'entendaient bien. Je reconstruisais une vie. Cette affaire a cassé nos projets, nous a fragilisés.
Un accusé qui se pose en victime
Dyslexique, il redouble 3 fois son CE1 et finit par décrocher son CAP, son BEP puis son diplôme de Maître Artisan coiffeur. Il s'installe à Sète comme professionnel à domicile et travaille pendant près de 20 ans notamment auprès de campings et des pensionnaires de l'Ehpad Les Pergolines.
Depuis 2016, il est en invalidité, atteint d'une incapacité à 100%. Après sa mise en cause dans l'affaire de l'assassinat de Patrick Isoird, il affirme : "Il y a des personnes qui m'ont appelé en pleurant, les policiers ont fait le tour de ma clientèle en disant que j'étais un criminel". La présidente Anne Haye le reprend, souligne qu'avant ce drame son casier judiciaire était vierge : "ça, ce sont vos mots, les policiers ne calomnient personne !"
Rémi Chesne insiste : "J'ai été menacé, je voulais quitter Sète à cause de la famille de la victime qui est très influente" (...) J'espère que là ce sera une vraie justice. Parce qu'un juge d'instruction qui vous interroge pendant huit heures sans pause... C'était du harcèlement !".
L'accusé balaie d'un revers de main les éléments qui le relient à l'affaire de la grotte sanglante. Audrey Louvet ? "Une relation purement sexuelle, d'ailleurs elle était plus intéressée par son ordinateur que par l'humain". Son permis de chasse ? "C'était plutôt pour nous promener avec mon frère quand on était plus jeunes dans le Gard, on ne tirait que du petit gibier".
La mort de Nadège Chesne : une affaire dans l'affaire ?
La présidente Haye revient alors sur la soirée festive au cours de laquelle s'est nouée la relation sentimentale entre Nadège Chesne et Patrick Isoird, sur le suicide de la jeune épouse et sur la lettre qui a été retrouvée près de son corps : "ça ne paraît pas être une lettre d'adieu, plutôt d'aveux et d'excuses ?" Mais Rémi Chesne n'en démord pas : "Je ne comprends pas pourquoi le suicide de ma femme a été versé au dossier !".
Sans doute parce que, justement, la thèse du suicide est sujette à caution depuis que le rapport du légiste a précisé qu'on "ne pouvait pas exclure l'intervention d'un tiers". La présidente insiste sur les témoignages de voisins qui évoquent des éclats de voix chez les Chesne. L'accusé campe sur sa version d'une union sans conflit : "Elle parlait fort, criait, c'est vrai, mais c'était pas des disputes. Elle faisait son petit coq, mais tout allait bien sauf les conflits sur tout et sur rien avec sa famille et cette soirée qui a tout fait déraper, après elle savait plus où elle en était".
Il justifie le fait de ne pas avoir prévenu sa belle-famille de la mort de sa femme ni de sa rapide incinération : "Elle refaisait son testament tous les ans, elle ne voulait rien avoir à faire avec sa famille, son père foutait la merde, il fout encore la merde aujourd'hui entre moi et ma fille. Et je n'avais pas leurs coordonnées".
Une version mise à mal par la relecture devant la Cour de la déposition de Patrick Isoird, entendu par les policiers au lendemain du décès de Nadège Chesne. Il y décrit une femme décidée à rompre avec son mari avec lequel elle ne dormait plus.
Nadège Chesne, clé du crime de la grotte sanglante ?
- Jean-Marc Darrigade, avocat du frère de Patrick, Marc Isoird, s'engouffre dans cette brèche : "Vous avez dit que votre femme était traitée pour somnambulisme. Lors de ses crises, était-elle violente envers vous ?"
- Rémi Chesne : "C'est arrivé. Une fois elle s'est jetée sur moi avec un couteau"
- L'avocat de la partie civile : "Nadège vous avait parlé de Patrick Isoird ?"
- Rémi Chesne : "Oui, elle m'avait dit où il habitait, que c'était un ivrogne. Comme il y avait de l'alcoolisme dans sa propre famille, elle était gentille avec lui. Pourquoi elle m'aurait demandé de divorcer alors qu'elle voulait faire des travaux dans la maison ? C'est n'importe quoi".
- L'avocat : "C'est étrange, à l'arrivée de l'enquêteur sur les lieux de la mort de votre femme, vous lui répétez exactement les termes contenus dans la lettre d'adieu que vous nous dites ne pas encore avoir lue à ce moment-là ! Vous dites qu'elle ne voulait pas vous quitter mais Patrick Isoird dit l'inverse."
- Rémi Chesne : "Vous essayez de salir ma femme ! Je ne vous laisserai pas faire ! Elle s'est suicidée, c'est tout !"
Mais au détour d'une phrase, il marmonne deux injures. La présidente Haye sursaute : "J'ai bien entendu traînée ? Ordure ?". Rémi Chesne esquive : "Non, je dis qu'il y avait des rumeurs à l'hôpital où elle travaillait, on disait qu'elle couchait avec tout le monde". La présidente : "Ah oui, donc j'ai bien entendu !".
Nadège Chesne est retrouvée pendue en 2009. Cinq ans après, Patrick Isoird décèdera à son tour. Il n'en faut pas plus au ténor lillois Franck Berton, qui défend Rémi Chesne aux côtés de l'avocat montpelliérain Luc Abratkiewicz, pour crier au procès médiatique : "C'est comme si vous étiez déjà coupable. Mais faites confiance à la justice".