Le Conseil des prud’hommes de Montpellier a condamné Le Refuge pour discrimination sexuelle dans le cadre du licenciement de Krystal Gil, une ancienne employée transgenre. L’association LGBT a fait appel. En parallèle, pour défendre des salariés licenciés par le nouveau conseil d'administration, l’ancien président Nicolas Noguier monte une association, malgré sa mise en examen et son contrôle judiciaire.
Le Refuge n'en a pas fini avec la justice. En 2021, Nicolas Noguier et Frédéric Gal, les fondateurs et anciens dirigeants de cette association LGBT démissionnent, après des révélations accablantes de Médiapart. Un an plus tard, le couple est mis en examen. Nicolas Noguier pour viol et agression sexuelle, Frédéric Gal pour harcèlement sexuel et moral, les deux pour travail dissimulé.
Plus récemment, le 13 octobre 2023, la nouvelle direction est jugée aux prud'hommes de Montpellier dans le cadre du licenciement de Krystal Gil, une femme transgenre et salariée de l'association entre 2020 et 2021. L'instance a considéré le licenciement nul, tout en condamnant la fondation LGBT pour discrimination sexuelle.
Affectée par son licenciement, Krystal Gil estime avoir été "le fusible à faire sauter" après la démission de Gal et Noguier. De son côté, Le Refuge fait appel de la décision et nie toute accusation de transphobie.
La Fondation en profite pour interpeller au sujet de "L'association des victimes du Refuge" : destinée à défendre des anciens employés licenciés, cette association a été créée par Nicolas Noguier quand plusieurs sources affirment que son contrôle judiciaire le lui interdit. Retour sur les faits.
Licenciement pour faute grave
Rescapée d'une jeunesse marquée par "l'abandon, la drogue et la prostitution", Krystal Gil est arrivée au Refuge à l'âge de 22 ans, en 2010. Fondée à Montpellier, l'association héberge des jeunes LGBT en situation de rupture familiale dans 18 villes de l'Hexagone.
"C'est Le Refuge qui m'a élevée et qui m'a fait grandir", raconte celle qui devient bénévole, service civique, puis assistante de vie de la structure en CDI. Mais après le scandale qui renverse la direction, avec qui "ça se passait très bien" pour Krystal Gil, la trentenaire estime que "tout a chaviré" en 2021.
Deux mois après la démission de Nicolas Noguier, elle est licenciée pour faute grave par la nouvelle directrice de l'association, qui a depuis quitté ses fonctions. Dans sa lettre de licenciement, Le Refuge reproche à son employée "des propos publics dénigrants, menaçants et injurieux". Visiblement en conflit avec la direction, Krystal Gil aurait par exemple souhaité "que le CA [Conseil d'administration] brûle en enfer" dans une publication Facebook.
Le Conseil des prud'hommes n'a pas retenu ces éléments. Dans un jugement adressé le 16 octobre aux parties concernées, l'instance annule le licenciement et condamne Le Refuge à verser la somme de 15 000 € à Krystal Gil "en réparation de sa perte d'emploi, du préjudice moral et de la discrimination sexuelle subis".
Le Refuge nie toute accusation de transphobie
"Ils n'aimaient pas ma gueule, ni mon physique", réagit aujourd'hui Krystal Gil. Selon son avocate, Maître Garbison de Mortillet, "la direction voulait limoger quelqu'un qui ne correspondait plus à l'image de l'association".
Parmi les anciens collègues de l'assistante, une vingtaine témoigne auprès du juge des prud'hommes. D'après Maître Garbison de Mortillet, "Tous indiquent que Krystal Gil travaillait bien, qu'elle était un exemple pour les jeunes accueillis" tandis que trois témoignages mentionnent "des propos expressément discriminants" de la part des membres du conseil d'administration à l'encontre de Krystal Gil, "au regard de son passé et de son orientation sexuelle".
Selon Maître Leroy, l'avocat de la Fondation, "Le Conseil des prud'hommes a retenu le critère de discrimination sexuelle sans se baser sur des faits concrets". Il regrette que "les propos de Krystal Gil sur les réseaux sociaux, soit la raison principale son licenciement, n'aient pas été considérés par les conseillers". Il précise que la Fondation fait appel de la décision.
"Le Refuge réfute bien entendu toute accusation de transphobie, alors même que son objet et mission est d’héberger et accompagner les jeunes LGBT+", se défend de son côté le service de communication du Refuge, pour qui : "Il est d'autant plus insensé d’accuser la Fondation de transphobie, dès lors que la nouvelle Directrice Générale (...) est elle-même, une femme transgenre."
Noguier, président d'une nouvelle association ?
Le Refuge se dit en outre "interpellé" par le fait que Nicolas Noguier entame encore des actions à son encontre. Auprès des médias et sur ses réseaux sociaux, l’ancien président de l’association défend effectivement les droits des salariés licenciés après son départ - dont deux ont par ailleurs gagné un procès aux prud'hommes avant celui de Krsytal Gil.
Contacté par France 3, Nicolas Noguier soutient Krystal Gil :"Je trouve hallucinant qu’une structure LGBT soit condamnée pour transphobie". Une prise de position que Le Refuge estime "déplacée" "de la part d'un individu mis en examen pour viol et harcèlement sexuel".
Pour défendre Krystal Gil et d'autres employés licenciés, Nicolas Noguier a même créé "l'Association des Victimes de la Fondation Le Refuge". Selon sa biographie Facebook, il en serait lui-même le président.
"Quand on a appris l'existence et le nom de cette association, on a sauté au plafond", réagit maître Ben Kemoun. L'avocate représente, elle, les membres d'une autre association, celle des "ancien.ne.s du Refuge", dont certains accusent Nicolas Noguier et Frédéric Gal de violences sexuelles et sont constitués parties civiles dans le cadre de l'instruction en cours.
"Un affront" pour ses victimes présumées
"En appelant son association ainsi, M. Noguier tente de créer une confusion aux yeux du grand public. Ses victimes [présumées] le vivent comme un affront", poursuit maître Ben Kemoun.
Plusieurs sources nous confirment également que le contrôle judiciaire de Nicolas Noguier l'empêche de diriger, de droit ou de fait, une association. Interrogé sur la question, l’ancien président de l’association nie l'existence d'une telle interdiction.
Les deux affaires sont encore dans les mains de la justice. D'après la loi, Nicolas Noguier est présumé innocent, tandis que la décision aux prud'hommes sera remise en jeu à la Cour d'appel.
Quoi qu'il advienne de ces dossiers, cette condamnation aux prud’hommes n'aide pas Le Refuge à se remettre de la tempête qui a secoué ses fondations. Voilà plusieurs années que l'association se voit reprocher des faits pour le moins contraires aux valeurs qu'elle prétend transmettre.