En ce jour de lutte contre les violences faites aux travailleurs et travailleuses du sexe, associations, professionnels et alliés se sont donné rendez-vous place de la Comédie à Montpellier pour faire valoir leurs droits et dénoncer la violence qui enfle dans leur profession.
"Quand on est travailleur du sexe, on sait quand on sort de chez nous, mais on ne sait pas si on rentrera." En cette journée de lutte contre les violences faites aux travailleurs et travailleuses du sexe (TDS), les professionnels du secteur ont exprimé leur manque d'accès au droit du travail et à une réelle protection juridique proposée par l'État.
À Montpellier, un rassemblement était organisé à 15 heures place de la Comédie pour rendre visible la lutte des 30 000 à 44 000 travailleur·euses du sexe présents en France, qui aspirent à plus de reconnaissance.
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Un métier encore stigmatisé
Car le métier de TDS est une profession particulièrement méconnue, toujours en proie à de nombreux stéréotypes. "Le travail du sexe ce n'est pas que la prostitution de rue", précise d'emblée Sarah*, militante de la CCVG (Coordination contre les violences de genre) pour éviter tout amalgame. "C'est un terme parapluie qui englobe beaucoup de métiers, comme le strip-tease, l'escort ou la pornographie..."
Certain·nes travailleur·euses qui bossent dans la rue doivent se rendre dans des espaces moins fréquentés et se mettent donc plus en danger.
Sarah, membre de la CCVG
En lien avec la stigmatisation qui circule toujours dans l'opinion commune, le métier de travailleur·euse du sexe est encadré par des textes qui, au lieu de protéger, poussent à une pratique plus dangereuse du métier. En particulier la loi contre la prostitution, texte voté en 2016 qui abroge le délit de racolage mais pénalise les clients, largement pointé du doigt par les TDS et les associations.
"Avec ce texte, les clients ont plus peur de prendre contact qu'avant", affirme Sarah. "C'est ce qui pousse certain·nes travailleur·euses qui bossent dans la rue à se rendre dans des espaces moins fréquentés et se mettent donc plus en danger... Elles et ils risquent plus de se faire braquer par exemple". Plus généralement, les TDS doivent baisser leurs tarifs pour continuer à attirer des clients, ce qui entretien leur précarité, ou accepter des demandes avec lesquels elles et ils ne sont pas totalement en accord, et donc à repousser certaines limites.
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Proxénétisme : un terme à préciser
"La loi de 2016 cherche à contraindre la traite d’être humain, alors que des textes existent déjà sur le sujet... Finalement c’est juste une loi de plus qui nous est hostile", s'offusque Cléo, infirmière et escort girl. L'hostilité dont Cléo fait état renvoie à la notion de proxénétisme présente dans la loi de 2016 qui n'est cependant "pas assez précisée", provoquant un énorme flou juridique sur ce terme.
En fait c'est simple, toute personne qui sait que l’on pratique ce métier peut être accusée de proxénétisme.
Cléo, travailleuse du sexe
En conséquence, certaines accusations peuvent s'avérer abusives. "En fait c'est simple, toute personne qui sait que l’on pratique ce métier peut être accusée de proxénétisme", souligne Cléo. "Même une collègue qui dépanne un préservatif, un proche qui nous emmène sur un lieu de rendez-vous ou notre conjoint à qui l'on offre un cadeau payé avec l'argent gagné en tant que TDS. Littéralement tous nos proches." En lien avec ce manque de précision, les travailleur·euses du sexe peinent souvent à trouver un logement, car les propriétaires informés de leur profession pourraient également se voir accusés de proxénétisme.
Être acteur et actrice de sa propre sécurité
Sous couvert de protection, la loi impose donc le silence et le repli sur soi aux travailleur·euses du sexe, voire les expose même à plus de dangers : "lors d'une prestation, pour que mes proches ne risquent pas d'être poursuivis, je ne peux pas leur donner l'adresse ni le pseudo de la personne que je rejoins... Il n’y a même pas de source de soutien officielle entre collègues puisqu’iels risqueraient aussi d’en être accusé·es", rapporte Cléo.
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Alors des techniques sont mises en place par les professionnel·les pour contourner ces règles, tout en s'octroyant une forme de sécurité. Certain·es optent pour un tableau blanc sur lequel elles et ils inscrivent leur lieu de rendez-vous, espérant qu'en cas de disparition, un proche découvre l'adresse. D'autres filtrent les appels avec l'application Jasmine, qui indique les numéros associés à des clients à éviter.
Il n’y a même pas de source de soutien officielle entre collègues puisqu’iels risqueraient aussi d’être accusé·es de proxénétisme.
Cléo
Pour Mirah Médusa, qui accompagne sexuellement les personnes en situation de handicap, la solution a été de créer un groupe d'autodéfense par et pour les TDS appelé S.W.A.G. "qui se rend dans chaque grande ville de France pour former les TDS". Les travailleur·euses peuvent y découvrir comment cacher leur argent ou apprendre à se défendre en cas de pénétration forcée ou de strangulation.
"J'ai la chance d’avoir un site internet et de pouvoir échanger par mail avec mes clients", livre Mirah. "Mais parfois, par exemple à la fin du mois quand je dois payer les factures, je n'ai pas le temps et je dois accepter quelqu’un qui ne correspond pas à mes attentes. C'est là que l'autodéfense est importante, surtout depuis que l'on ne peut plus trop s'aider entre nous."
Des discriminations insidieuses
En plus d'être exposées à des situations de plus en plus dangereuses, les TDS doivent également faire face à des discriminations et à des violences médicales et/ou administratives, liées à des stigmas encore très présents en France. Problèmes d'accès au droit du travail, difficultés à ouvrir un compte en banque, atténuation de la douleur... "La plupart du temps, les médecins et les psys mettent tous nos problèmes physiques et psychologiques sur le dos de notre travail, alors que souvent ce n'est pas le problème", explique Amélie, escort girl de 22 ans.
La plupart du temps, les médecins et les psys mettent tous nos problèmes physiques et psychologiques sur le dos de notre travail, alors que souvent ce n'est pas le problème.
Amélie, travailleuse du sexe
Pour la jeune femme, la reconnaissance d'une pathologie ou d'un acte de violences sexistes et sexuelles est encore plus difficile en tant que travailleuse du sexe. "Dans l’imaginaire des gens c'est impossible qu’une travailleuse du sexe puisse aussi être violée. Souvent on est perçues comme des privilégiées accros au sexe qui joignent l’utile à l’agréable en se faisant payer." C'est pourquoi la plupart des TDS refusent de se "outer", de révéler leur profession à leurs proches, à la police ou à des médecins.
Il m'est arrivé plusieurs fois que les soignants que je consultais abusent de mon statut de TDS pour me demander des relations sexuelles.
Amélie
Pourtant, les violences sexistes et sexuelles sont bien réelles, notamment dans le milieu médical. "Il m'est arrivé plusieurs fois que les soignants que je consultais abusent de mon statut de TDS pour me demander des relations sexuelles." Amélie explique notamment avoir reçu des avances très insistantes et explicites de son médecin traitant, qu'elle voyait depuis plusieurs années et qui connaissait son statut de TDS, qui lui avait "presque imposé une prestation". "Depuis je l'évite le plus possible, mais ça m'arrive de devoir le consulter de nouveau et je suis vraiment très mal à l'aise."
*Le prénom a été modifié