Face à la désobéissance civile des agriculteurs en colère, le gouvernement maintient sa stratégie d'apaisement. Certains dénoncent un "deux poids deux mesures", en comparaison à la répression des mouvements sociaux passés. France 3 pose la question aux Jeunes agriculteurs de l'Aude et à Extinction rébellion Montpellier.
Blocages routiers, déversement de fumier et panneaux retournés... Afin de se faire entendre, les agriculteurs en colère optent pour la désobéissance civile. De tels moyens d'action ne sont pas sans rappeler ceux d'autres mouvements sociaux français - Gilets jaunes, réforme des retraites, Mégabassines.
Pourtant, les agriculteurs ne sont pas délogés des blocages routiers par les forces de l'ordre comme les militants écologistes. "Le discours politico-médiatique est plutôt celui de l'apaisement, voire de la compréhension", note la politiste Emmanuelle Reungoat. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs envoyé ses préfets assurer le soutien de l'Etat aux exploitants.
Ne pas mélanger actions de la #FNSEA qui aux yeux du gvt relèvent du droit d'expression
— Martine Billard φ🔻🐢 (@MartineBillard) January 16, 2024
Et actions contre #megabassines #glyphosate #A69 etc. qui pour #Darmanin relèvent de l'écoterrorisme https://t.co/OX6A9zPENb
Sur les réseaux sociaux, certains dénoncent un "deux poids deux mesures". "Est-ce que @GDarmanin va inventer le terme vitico-terrorisme ou agro-terrorisme ?" se risque à demander le journaliste politique Thomas Legrand sur son compte X, rappelant que le Comité d'action viticole a fait exploser la DREAL à Carcassone, dans la nuit du 18 au 19 janvier 2024.
La mobilisation des agriculteurs est-elle mieux perçue ? Davantage tolérée ?
"Les forces de l'ordre sont derrière nous"
"Nous ne cautionnons pas les actions violentes", commence par préciser Fabien Mariscal. "Cette image de l'agriculteur qui brûle tout comme dans les années 60 n'existe plus et elle dessert la cause", considère le président des Jeunes agriculteurs de l'Aude, pour qui l'attentat de Carcassone est "un acte isolé".
Bloquer les autoroutes, c'est en revanche "un moyen efficace pour embêter le gouvernement et les sociétés comme Vinci", justifie le viticulteur, qui l'assure :
Sur les péages, tout se passe bien avec les forces de l'ordre. Elles sont derrière nous et nous ne venons pas les provoquer.
Fabien Mariscal, président des Jeunes agriculteurs de l'Aude
"Un tournant dans la répression"
Janara* n'a pas vécu les mêmes mobilisations. La Montpelliéraine milite au sein d'Extinction rébellion (XR), un mouvement écologiste international qui revendique l'usage de la désobéissance civile non violente.
"À partir des Gilets jaunes et surtout après le Covid", elle décrit de son point de vue "un tournant dans la répression des mouvements écologistes et une radicalisation sur la droite du gouvernement", qui ont conduit à ce qu'elle et ses camarades se retrouvent "systématiquement en garde à vue après un blocage routier".
"On a quand même assisté à une tentative de dissolution d'un mouvement écologiste par le gouvernement, commente la doctorante de philosophie. C'est du jamais vu !"
Un enjeu électoral
Voilà une première particularité de la colère des agriculteurs : "À la différence des Gilets jaunes ou des Soulèvements de la terre, la mobilisation s'appuie sur des bases syndicales solides, installées et avec une tradition de négociation. Aux yeux du gouvernement, c'est l'assurance - et donc la crainte - que le mouvement peut durer", analyse Emmanuelle Reungoat.
Maîtresse de conférences en sciences politiques à l'université de Montpellier, elle ajoute que si tolérance du gouvernement il y a, cela s'explique aussi par un enjeu électoral.
Les agriculteurs ne sont pas si nombreux mais ils représentent un électorat symbolique. Ils sont traditionnellement proches de la droite républicaine et représentent donc un enjeu pour Renaissance comme pour le Rassemblement national.
Emmanuelle Reungoat, chercheuse en sciences politiques
"Il faut aussi tenir compte du calendrier", poursuit la spécialiste des mouvements sociaux. "Les élections européennes approchent et contrairement au reste de la population, les agriculteurs sont très politisés lors de ce scrutin car directement concernés par la politique de Bruxelles".
Ceux qui nous nourrissent
Il y a, enfin, la place qu'occupent les agriculteurs dans la conscience collective française. "C'est un héritage du siècle passé", commente Emmanuelle Reungoat, "la profession inspire globalement du respect, de la reconnaissance ou encore de la sympathie".
Même constat, du côté de Janara : "Les soignants sont ceux qui nous soignent, les agriculteurs ceux qui nous nourrissent. C'est de l'ordre de l'indispensable et donc de l'inattaquable dans l'imaginaire collectif".
Fabien Mariscal abonde : "Les gens savent qu'on travaille 70 heures par semaine. Pour l'instant, on a le soutien du grand public et on compte le garder".
*Les prénoms suivis d'une astérix ont été modifiés.