A Montpellier, les résidents du centre social autogéré, situé rue Bonnard, vivent dans la colère et la peur suite à une descente de policiers et gendarmes (dont le GIGN) contre un réseau de cambrioleurs. L'opération aurait duré plus de 3 heures, dans la panique.
Nous arrivons rue Bonnard. Sur notre gauche, une porte taguée, pour la plupart des dessins d'enfants.
Jonathan, l'un des résidents, vient nous accueillir. Nous entrons dans le bâtiment. Un grand miroir est recouvert de notes ; les règles à respecter, les dernières expulsions de résidents suite à leur mauvais comportement. Car ici, environ 160 personnes cohabitent dans un ancien foyer, reconverti en "centre social autogéré", selon les résidents et les membres de plusieurs collectifs.
Des femmes, des hommes, et près de 40 enfants. Plusieurs nationalités cohabitent dans près de 100 logements : des Français, des Italiens, des Soudanais, des Allemands, des Guinéens, des Pakistanais et des Albanais.
Le cauchemar du 19 juin
Plusieurs résidents du centre social Bonnard ont souhaité témoigner, choqués par les faits qui se sont déroulés le 19 juin. Alketa B. est albanaise et vit en France depuis 2016 avec son mari et ses trois enfants. Elle nous raconte l’intervention des forces de l’ordre du 19 juin, contre un réseau de cambrioleurs.Jonathan, un autre résident, poursuit :Je me suis réveillée à cinq heures du matin. J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu une trentaine de policiers.
Toujours selon les résidents, trois interpellations ont eu lieu au centre social Bonnard. Un homme a été arrêté dans le centre, suspecté de participation à des délits. "Nous ne l’avons pas revu depuis" affirme Jonathan. Deux autres hommes ont été arrêtés après avoir fui le centre social Bonnard. "Ils avaient peur d’être arrêtés car ils n’ont pas de papiers", confie Alketa B. Ils seraient revenus au centre social après plusieurs heures de garde-à-vue.Les forces de l’ordre nous ont demandé d’ouvrir la porte. Ils nous ont informés qu’en cas de refus, ils "casseraient tout". Nous avons entendu un compte à rebours, alors nous avons ouvert la porte. Ils ont perquisitionné une première chambre au rez-de-chaussée puis un autre logement à un étage supérieur. L’opération a duré plusieurs heures, c’était la panique totale.
Un "traumatisme"
Dans leur appartement, Alketa B. et son mari sont toujours sous le choc de cette intervention.Depuis, mes enfants ont peur. Ils angoissent dès qu’ils entendent une sirène, certains se cachent sous les lits. Nous vivons dans la peur. Nous avons des difficultés à dormir dans la crainte d’une nouvelle intervention. Nous ne sommes pas des criminels ! Je comprends que les forces de l'ordre combattent les trafics. Mais ne nous mettez pas tous dans le même panier !
"Tous les albanais ne sont pas des criminels"
"Nous avons peur de la police, mais nous ne sommes pas des criminels !" s’exclame Alketa B. "Nous, les albanais, on nous voit comme des voleurs. C’est l’image qui nous colle à la peau", continue Eddy, son mari.Cette famille d’albanais est arrivée en France afin de fuir la corruption et la mafia de son pays. Ils sont aujourd’hui demandeurs d’asile et les trois enfants du couple sont scolarisés à Montpellier. Au centre social Bonnard, ils ont rénové l’intégralité de leur logement. "Nous nous y sentons bien", confie Alketa B.
Albanais : "les nouveaux Roms"
"Aujourd’hui, les albanais sont les nouveaux pestiférés de ce gouvernement", affirme Thierry Lerch, le co-président de la CIMADE (aide et soutien politique aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière).Dans l’état d’esprit du gouvernement, tous les albanais sont tous des mafieux, des délinquants. Le préfet pourrait voir ici, comment les choses se passent et sont organisées. Evidemment, la mafia est présente en Albanie, mais cela ne veut pas dire que tout le monde fait partie de la mafia. Au contraire, certains fuient cela et viennent ici pour respirer un peu.
Un dispositif jugé "disproportionné"
Pour tous les résidents rencontrés, le dispositif mis en place le 19 juin par les forces de l’ordre était "disproportionné". C’est également l’avis de certaines voisines et membres de collectifs. Joëlle Puig habite à quelques pas du centre social. Elle soutient la création et la vie de cette structure, et est la marraine d’un résident soudanais. Elle aussi, a vu "des dizaines de camions de police" en bas de chez elle.Le constat est le même pour Thierry Lerch, le co-président de la CIMADE (aide et soutien politique aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière).C’est incroyable le nombre de policiers qu’il y avait dans la rue ! Je connais ce lieu, ça m’a semblé être trop violent. Ici, c’est un lieu fragile qui nécessite un accompagnement et non de la violence !
Nous avons vu ce déferlement de police qui bloquait tout le quartier. Nous étions inquiets car ici, il y a des dizaines et des dizaines d’enfants, qui vont à l’école. Ce que nous ne comprenons pas, c’est que la police est venue pour arrêter une personne, soit disant pour recel, et qu’ils n’ont pas pris en compte la protection des enfants présents. Cette intervention était disproportionnée et justifie le fait que nous puissions rencontrer les membres de la préfecture pour leur demander une explication et pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Le préfet doit se rendre compte que ce centre est un lieu organisé et pas un bazar où il y aurait des trafics.
Face à ces propos, nous avons sollicité les services de gendarmerie ainsi que le procureur de la République de Montpellier. Aucun n'a souhaité réagir.
Voici l'interview intégrale de Thierry Lerch, le co-président de la CIMADE.
Une occupation légale
Ce centre social autogéré existe depuis le mois de février, selon les membres des différents collectifs et les résidents. L’occupation de ce bâtiment serait donc légale, jusqu’au 3 octobre, en accord avec le juge.Le bâtiment appartiendrait à une société immobilière, propriétaire de 3.200 logements en Occitanie, qui aimerait réhabiliter cet ancien foyer en 59 logements pour jeunes travailleurs.