"On nous étrangle !" : la colère de ce président de Département, pourtant exonéré d'effort financier pour réduire le déficit de l'État

L'Hérault, comme l'ensemble du Languedoc-Roussillon, est dispensé de contribuer à l'effort national pour combler le déficit de l'État, au nom de leur "fragilité" sociale et financière. Une exonération loin de satisfaire Kléber Mesquida. Le président (PS) du Conseil départemental dénonce l'abandon de l'État qui, selon lui, a conduit à cette situation critique. Entretien.

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Aude, Gard, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales : tous les départements de l'ex-Languedoc-Roussillon, sont en situation de "fragilité" selon le gouvernement. Tout comme deux autres départements d'Occitanie : l'Ariège et l'Aveyron. Tous sont placés sur la liste des 20 départements de métropole et des Outre-mer qui n'auront pas à contribuer à l'effort financier de réduction du déficit. Du moins pour ce qui concerne les trois milliards de "contribution exceptionnelle" demandés aux collectivités sous forme d'un prélèvement sur leurs recettes. 

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Une fragilité que confirme le dernier baromètre de l'Agence France Locale, c'est-à-dire la banque des collectivités. Il souligne que, si jusqu'en 2022, "on constatait une amélioration sur cinq ans dans l'ensemble des régions (...) 84 départements ont connu une dégradation de leur situation financière en 2023". Une situation qui "se dégrade rapidement", selon l'Assemblée des départements de France.

La faute au désengagement de l'État, selon le président (PS) du conseil départemental de l'Hérault Kléber Mesquida. Selon lui, cette exonération ne changera rien à la situation budgétaire critique des départements. Il nous a accordé un long entretien.

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Avez-vous été surpris de vous retrouver dans cette liste des 20 départements exonérés d'efforts financiers ?

J'ai été surpris et très en colère, parce que la réalité des chiffres montre que, déjà, l'Hérault, comme bon nombre de départements, a été saigné financièrement par la constante diminution des dotations de l'État qui nous étrangle. Et ce, alors qu'en parallèle, nos recettes, nos dépenses obligatoires, croissent d'une manière vertigineuse.

Dans ce contexte, cette exonération est-elle tout de même un soulagement pour vous ?

Aujourd'hui, il y a 29 départements qui sont en situation financière délicate, c'est-à-dire qui vont être en situation de déficit budgétaire par des mesures qui nous ont été imposées, par des recettes de l'État qui ne rentrent pas et qui nous ont été déjà coupées. Aujourd'hui, nous sommes en perdition. Au fond, ils ont exonéré 20 départements qui sont déjà dans le rouge, qui ont déjà de grosses difficultés et qui ne termineront pas l'exercice budgétaire sans être en déficit. C'est donc un effet d'annonce.

Vous dites-vous être "en perdition", mais sur quels postes budgétaires ?

Les dotations de l'État sont en principe là pour pallier l'ancienne fiscalité : l'ancienne taxe professionnelle, l’ex-taxe d’habitation, sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette année, nous avons reçu 4 millions de moins et l'année dernière, 13 millions de moins. La dotation globale de fonctionnement, versée chaque année à toutes les collectivités, n’a, elle aussi, cessé de baisser depuis 10 ans (moins 56 millions d'euros cette année). En fin d’année, nous n’aurons pas d’autofinancement. D’où ma colère.

Quels vont être vos arbitrages ?

La réduction des effectifs, pour nous, est impensable. Allons-nous réduire l'assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées, aux services dans les collèges, l'entretien des routes ? Tout ça, c'est inacceptable. Lorsque vous avez un dossier de demande d’aide personnalisée à l'autonomie, la personne âgée, elle ne peut pas attendre six mois l'instruction de son dossier. Elle a besoin d'une réponse pour aller en établissement ou pour avoir des aides à domicile. On a fait tout ce que l'on pouvait, et depuis quelques années.

Qu’est-ce qui explique selon vous votre placement sur cette liste des 20 départements exonérés d’effort financier ?

On a maîtrisé nos dépenses. Mais elles augmentent mécaniquement sous l’effet de la hausse démographique. Il y a 15 000 nouveaux habitants par an dans l’Hérault. Et ça dure depuis une quinzaine d’années. Ce qui implique à terme des dossiers d'aide personnalisée pour les personnes âgées, de prestations compensation handicap, d'insertion pour ceux qui ont perdu leur emploi.

Ce sont des compétences que l’Etat a peu à peu transférées aux départements, avec toujours le même niveau de compensation financière calculé sur l’année "n" alors qu’aujourd’hui on est à n+10 ou 12. Ce différentiel, qu’on appelle le reste à charge, se monte aujourd’hui dans l’Hérault à 227 millions d’euros par an. Et tous les départements sont dans des situations similaires proportionnellement à leur population. On est dans un étau, étranglés, étouffés.

Autres exemples :

  • Lorsque l'État nous confie 2800 enfants placés par ordonnance du juge, nous sommes obligés d'héberger les enfants dans des maisons d'accueil spécialisées, dans des familles d'accueil. Bien sûr, nous sommes un service public, mais on n'a aucune compensation.
  • Parlons des commissariats et gendarmerie : on nous a demandé de mettre des assistantes sociales à disposition. Pourquoi pas ? Sauf qu'aujourd'hui, on en est à peu près à 300 000 euros non remboursés par l'État sur les salaires de ces personnes-là.
  • Quand on évalue les mineurs migrants non accompagnés avant de les mettre à l'abri : c’est du ressort de l'État, mais il nous transfère ce travail. Le coût pour nous est d’un million d'euros.

Malgré votre situation qui vous vaut cette exonération, redoutez-vous de devoir contribuer sous une autre forme à l’effort budgétaire ?

Quand on regarde bien le texte, ça me fait sourire, mais ce n'est pas agréable. Car on devrait quand même subir une moindre compensation de la TVA acquittée par les collectivités (quand vous investissez, deux ans après, on vous rembourse la TVA : ça, c’est 800 millions d’euros pour les collectivités). On va aussi vers un gel de la revalorisation annuelle des recettes de la TVA, qui normalement compense elle aussi en partie la suppression des impôts locaux que j’ai cités plus haut. Ça, c’est un milliard de moins. Donc ça fait déjà près de 2 milliards qui n’iront pas aux collectivités, au moins 18 millions pour nous dans l’Hérault.

Comment envisagez-vous les quatre années qui vous séparent de la fin de votre mandat ?

Si  on continue à ce rythme-là, fin 2025, nous serons 85 départements sous tutelle. C'est-à-dire que c'est le préfet qui va ordonner, c’est-à-dire assumer en priorité les dépenses de fonctionnement incontournables. Ensuite, plus d'investissements, plus d'aides, plus de travaux sur les routes, dans les collèges. Tout va être gelé. Et fin 2025, je vous garantis qu'il y aura un grand nombre de départements dans cette situation, peut-être le nôtre, parce que sans levier fiscal, pas de recettes.

Le budget global du département de l’Hérault est d'environ 1,8 milliard réparti entre investissement et fonctionnement. Et sur ce montant, il y a 900 millions d'euros rien que pour les aides à la personne, la protection maternelle et infantile et l’insertion. On n'a pas de marge de manœuvre.

Donc voilà, je ne sais pas sincèrement comment nous allons faire. Et je peux vous dire que depuis que je suis président, depuis 2015, on a été très attentif aux questions budgétaires, je prêche toujours la rationalisation, les économies, ça nous arrive aussi de différer certains de nos projets. Mais aujourd'hui, on est étranglés, étranglés.

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