Sète à huîtres, la BD qui fait rire jaune certains ostréiculteurs sur fond de mortalité de naissains

Le 27ème album de bande dessinée du détective privé marseillais Léo Loden plonge sur la piste du tueur d’un ostréiculteur, opposé à l’implantation d’une écloserie de naissains triploïdes. Sur fond d’un débat autour de la notion d'OVM (Organisme Vivant Modifié).

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Cette histoire d’huîtres triploïdes, le scénariste Loïc Nicoloff l’a découverte en rencontrant des ostréiculteurs du côté de Marennes Oléron à l’occasion d’une émission pour la télévision : « Je ne savais pas qu’il y avait des OVM, Organismes vivants modifiés, dans la production ostréicole, pour obtenir des huîtres quatre saison en quelque sorte, sans laitance au moment de la reproduction. »

Le dessinateur toulousain Serge Carrère avait lui déjà commis voici quelques années un album sur Sète. Est donc née chez les deux confrères l’idée d’aller « plonger » leur personnage principal dans ce secteur de l’ostréiculture et notamment du principal site de production du littoral méditerranéen, l’Etang de Thau. D’autant qu’un album sur trois, ils emmènent leur héros Léo Loden hors de Marseille.

Huîtres naturelles contre huîtres triploïdes

Loïc Nicoloff vient donc passer quatre jours sur l’Etang de Thau pour discuter avec les ostréiculteurs :

Au marché de Sète, j’ai demandé à l’un d’eux si ses huîtres étaient triploïdes. Avec un sourire il m’a dit gentiment « Monsieur, ce n’est pas des questions à poser ! » J’ai compris qu’on tenait un bon sujet. 

Loïc Nicoloff, scénariste de "Sète à huîtres"

A quelques encablures de là, à Marseillan,  il rencontre Annie Castaldo. Celle-ci fait partie des 6 conchyliculteurs de l’Etang de Thau (sur près de 500 sur la Méditerranée) à refuser ces huîtres issues de naissains triploïdes au sein notamment de l’association Ostréiculteur traditionnel – Huîtres nées en mer. Obligation : ne pas avoir de facture d’écloserie ni d’huîtres triploïdes. Son mas et son discours servent de base dans la bande dessinée aux opposants au projet d’implantation d’une écloserie : 

Mes huîtres sont issues du milieu naturel, comme le faisaient mes parents et mes grands-parents d’une certaine manière. Eux allaient à l’Océan acheter du naissain naturel pour ensuite le faire grossir dans l’étang. Moi aujourd’hui, j’arrive à capter du naissain (de la larve d’huître) dans une coupelle sur mes propres tables.

Annie Castaldo, productrice d'huîtres naturelles traditionnelles

Le rejet des OVM (Organismes Vivants Modifiés)

Pour elle, il faudrait rester dans cette démarche : « L’huître est un animal préhistorique qui a près de 16 millions d’années. Certains veulent les stériliser et accoupler en laboratoire, sous prétexte d’éviter ainsi la laitance à l’intérieur lors de la saison naturelle de reproduction. Du coup, en laboratoire, ils accouplent des huîtres tétraploïdes (4 paires de chromosomes) avec des triploïdes (3 paires). Ce n’est pas naturel…et ça pousse à l’achat de naissain ! Mais surtout ça stérilise le milieu naturel et le surcharge de matières organiques. Et ça, ce n’est pas bon pour l’environnement ! »

Du côté d’Ifremer, on précise que « les élevages de naissain, que l’on appelle « écloseries », produisent à la fois du naissain « diploïde » (identique au naissain naturel) à partir de géniteurs issus du milieu naturel et du naissain « triploïde », stérile donc qui ne se reproduit pas."

Ce ne sont pas des OGM, aucun gène « étranger » n’est introduit dans le matériel génétique de l’huître. C'est simplement un jeu de chromosomes en plus.

Philippe Goulletquer, directeur scientifique d'Ifremer

 "De la même manière que les bananes ou les agrumes sont « triploïdes » sinon inconsommables à l’état naturel et sauvage"  précise Patrice Lafont, président du Comité Régional Conchylicole de Méditerranée, et qui est producteur à Mèze (Hérault).

Quant à l'accusation de stériliser ainsi le milieu naturel, Philippe Goulletquer, directeur scientifique d'Ifremer, se veut rassurant : "L'huître creuse japonaise introduite en 1970 en France se reproduit de manière naturelle sur le Bassin d'Arcachon et les côtes européennes, sans réduction de sa population. Preuve qu'il n'y a pas stérilisation du milieu. Les "animaux" tétraploïdes ne sont à aucun moment "relargués" dans l'environnement. Et il y autant d'huîtres issues d'écloserie que de captages sauvages naturels !"
 

Des huîtres diploïdes aux huîtres triploïdes

Le naissain était jadis sorti du milieu naturel, avec notamment une importante revente par le littoral atlantique aux producteurs méditerranéens. Aujourd’hui, ce sont surtout les écloseries qui vendent du naissain modifié génétiquement, qui donne des triploïdes.
Du côté d’Ifremer, on explique que l’huître triploïde de par sa très faible production de gamètes et de spermatozoïdes n’est pas « laiteuse « et "toute la croissance passe ainsi dans la chair qui se retrouve ainsi plus charnue et gustative que celle d'une huître diploïde". Ce qui séduirait (ou rebuterait moins) certains consommateurs. "Mais la laitance c'est des corps gras, tout simplement. Et il n'y a aucun problème à la consommer. C'est simplement une question de goût suivant les gens", rassure aussi Philippe Goulletquer.

Le captage de naissains sauvages ne suffirait pas

Moi, avec une méthode naturelle et sans aucune modification, je les vends 11 mois sur 12, je les fais pondre naturellement…et je n’ai pas de mortalité de naissain, contrairement aux 70 à 90% de perte que connaissent ceux qui achètent des naissains issus d’huîtres modifiées. 

 Annie Castaldo, ostréicultrice

Sur cette mortalité de naissains qui frappe durement la profession depuis quelques années, Philippe Goulletquer, directeur scientifique d'Ifremer, est plus mesuré :
 

Nous avons fait des études comparatives entre naissains sauvages et ceux d'huîtres triploïdes dans différentes régions. Le taux de mortalité est à peine supérieur de 10% chez les triploïdes, produites depuis plus de vingt ans. Et si le problème était aussi important que cela, les professionnels auraient arrêté les triploïdes.

Philippe Goulletquer, directeur scientifique d'Ifremer

Si reproduire des naissains par captage naturel à partir de diploîdes est plus compliqué techniquement, c'est aussi un peu moins rentable que le recours aux écloseries. D'autres professionnels achètent eux des huîtres directement prégrossies.

Patrice Lafont, président de la section régionale des conchyliculteurs de Méditerranée, a lu cette BD « Sète à huîtres ». Même si cette fiction avec beaucoup de références locales l’a amusé, il trouve que « certains éléments de l’intrigue ont été volontairement exagérés ».  

Face à l’émergence de nouveaux pathogènes qui entraînent la mortalité de 50 à 80% des naissains d’huîtres chaque année en France depuis 2007, les producteurs français ne peuvent compter sur l’unique approvisionnement en naissains sauvages devenus trop rares.

 Patrice Lafont, président du Comité Conchylicole Régionale Méditerranée

Les deux bassins de captage naturel de naissains d’huîtres en Europe, le bassin d’Arcachon et la Charente Maritime, sont insuffisants pour fournir l’ensemble de la filière et ses 3 000 producteurs. 100% de la production méditerranéenne sont issus de l’approvisionnement en naissains naturels ou d’élevage de l’Atlantique.

70% de la production d’huitres en France sont issus de l’approvisionnement en naissains d’écloserie, tout comme la majorité des pays producteurs dans le monde, selon le CRC-Méditerranée. La France serait le leader en la matière.
 Mais Patrice Lafont ne rejette pas pour autant ce retour à l’élevage de naissain issu de la production locale :
« Nous menons depuis plusieurs années sur la lagune de Thau des expérimentations de captage naturel. Malheureusement beaucoup de paramètres naturels (biologiques ou climatiques), ne permettent pas aujourd’hui de maîtriser suffisamment ce phénomène. Les 2 dernières années se sont soldées par un échec total. Il faut cependant insister sur cette voie pour sortir de notre dépendance des approvisionnements en naissain d’Atlantique (sauvage ou d’écloserie) et sécuriser nos productions avec une souche régionale plus adaptée aux conditions climatiques méditerranéennes. »

Avec peut-être pourquoi pas à terme le projet d’une « écloserie » locale propre à l’Etang de Thau, où tous les ostréiculteurs locaux se retrouvaient finalement autour d’une même philosophie.
                                                                                                                             



 
Léo Loden, l'ex-commissaire du Grand Sud
Le héros Léo Loden est un ancien commissaire de police marseillais, qui a démissionné à la suite d'une accusation de bavure injustifiée. Il s’est reconverti comme détective privé en montant son agence avec son oncle, ex-marin bon vivant et limite alcoolique. « Petite amie » de Léo Loden, Marlène Soral, inspectrice de police qui a servi sous ses ordres lorsqu’il était commissaire, lui donne quelques aides précieuses.

En 2000, alors que le scénariste était alors Christophe Arleston, Serge Carrère avait dessiné dans le tome 8 des aventures de Léo Loden dans sa « ville rose » natale Toulouse (« Propergol sur le Capitole »).

Le prochain album du tandem Nicoloff-Carrère, toujours publié par les Editions Soleil, sera peut-être moins polémique puisqu’il emmènera leur héros Léo Loden dans les coulisses de l’Opéra de Marseille.
 
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