Universités et grandes écoles planchent depuis plusieurs mois à la création de l'université de Toulouse. Un site unique afin de gagner en "visibilité" dans les classements internationaux. A l'université Toulouse 1 Capitole, de profonds désaccords fragilisent sa participation à ce projet.
Toges universitaires de rigueur. Musique de chambre jouée par l'orchestre symphonique étudiant de Toulouse. Jeudi 7 octobre 2021, la faculté de droit de l'Université Toulouse 1 Capitole faisait sa rentrée solennelle dans une ambiance feutrée, mais joyeuse, se voulant emprunte de "tradition" et de "modernité". Mais derrière ce cérémonial, à la façade bien lisse, se joue un débat à fleuret moucheté.
Rentrée solennelle de la Faculté de Droit de l’@UT1Capitole ✨? pic.twitter.com/YL8S9iCe3V
— Léo Garcia (@LGarcia__09) October 7, 2021
À la recherche de plus de visibilité pour l'enseignement supérieur
Depuis plusieurs mois, UT1 participe avec les autres universités et écoles toulousaines à la construction d'une structure commune - soit 107 000 étudiants dont 4 500 doctorant·es, environ 17 000 personnels, 145 laboratoires de recherche. Une université de Toulouse. La mission nommée "UT2022" a été confiée à Patrick Lévy, ancien président de l’université de Grenoble-Alpes, accompagné par le président de l'université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, Philippe Raimbault. Cette évolution, fortement voulue par les élus de la région Occitanie et Toulouse Métropole, vise à donner plus de visibilité à l'enseignement supérieur toulousain dans les classements internationaux, comme celui de Shangaï. Elle a aussi pour objectif de faire oublier le retentissant échec du label d'excellence Idex et ses 25 millions d'euros supplémentaires par an à la clé.
La nouvelle Université de Toulouse est lancée!
— Nadia Pellefigue (@NadiaPellefigue) September 17, 2021
Enfin ?
Nous faisons le pari que demain l’Université de #Toulouse sera la signature de l’excellence d’un territoire uni autour des valeurs de l’inclusion et de l’innovation. #EnseignementSuperieur #Recherche @Occitanie pic.twitter.com/MgGppssbLT
"À un moment, il faut savoir dire non"
Mais un vent de fronde traverse le campus de l'université de sciences sociales et c'est le doyen de la Faculté de droit, Philippe Nélidoff, qui souffle actuellement le chaud et le froid : "Nous ne savons pas trop où nous allons. On ne peut pas nous dire que les statuts de la grande université de Toulouse comprendront des transferts de compétences progressifs et, en même temps, maintenir notre personnalité morale et notre diplomation en tant que faculté. Nous ne souhaitons pas aller au-delà du système fédératif, qui est le système actuel.(...)"
Lorsque vous regardez le projet de statut, on nous dit tout et son contraire en permanence. C’est une fusion qui ne dit pas son nom. On ne veut pas mettre le doigt dans l'engrenage. Après, nous ne pourrons pas revenir en arrière. À un moment, il faut dire non.
Le professeur, spécialiste de l'Histoire du droit et des institutions, assure être "ouvert au dialogue" mais attend des éclaircissements du président de l'université Toulouse 1 Capitole.
Ce dernier évacue toute idée de "friction" à ce sujet avec le doyen de la Faculté de droit. "Tout au plus une divergence sur un sujet ou deux". Pour Hugues Kenfack, élu en novembre dernier à la tête d'UT1 :
Il n’y a pas de débat sur la fusion. Elle n’est pas à l’ordre du jour. Il n'y aura pas de fusion, pas sous mon mandat en tout cas.
"Il ne peut pas y avoir d’opposition entre le président de l’université et le doyen de la faculté sur un débat qui n’existe pas. La question ne se pose même plus. Pour moi, il n’y a plus de difficultés."
Pas de débat autour de la fusion
Le juriste met en avant les textes du projet pour appuyer son propos. Selon Hugues Kenfack, il n'y a pas dans les statuts de la future université de Toulouse "de perte de la personnalité morale et juridique" des actuelles universités et de leurs composantes."Les transferts de personnel" ne seraient d'ailleurs "pas possibles".
Un point de vue partagé par Philippe Raimbault. Très attentif à la situation, le président de l'université fédérale reprend les mêmes arguments que ceux du président d'UT1 : "Je suis surpris que le doyen y voit une fusion, réagit-il. C’est un juriste et il sait qu'une fusion repose sur la perte des responsabilités morales des institutions. Et dans ce que l’on propose dans le projet, ce n’est pas du tout le cas. Il ne s’agit en rien d’une fusion.(..) Que cette crainte s’exprime est totalement légitime. Elle s’est d’ailleurs exprimée ailleurs. Il faut un temps de discussion où nous ayons la capacité de répondre à cela. Mais j’avoue, j’aimerais savoir quels sont les autres points de réticences. Car pour ceux-là, nous avons des réponses. Cela veut dire que le fond du désaccord n’est pas là-dessus. Il est donc idéologique."
Idéologique ? Peut-être, mais pas seulement. Dans un courrier en date du 7 octobre adressé au directeur de l'École des docteurs de Toulouse, Philippe Nélidoff mais également Stéphane Gregoir, doyen de la Toulouse School Economy (TSE) créée par le nobélisé Jean Tirole, et Hervé Penan, directeur de Toulouse School of Management (TSM) indiquent ne plus vouloir participer aux discussions sur les "évolutions possibles des études doctorales sur le site toulousain." Tous sont déterminés à défendre leur "autonomie" et leur "gouvernance" que pourrait mettre à mal le projet de "site toulousain" (la faculté de droit, TSE et TSM appartiennent à l'université Toulouse 1 Capitole).
Ecole Doctorale Position Des Doyens 06 Octobre 2021 by France 3 Tarn on Scribd
L'université de Toulouse, un enjeu majeur d'avenir
Plusieurs interlocuteurs déplorent également l'absence d'un "projet scientifique et pédagogique"solide et d'une véritable concertation. La situation semble arriver à un point de blocage.
"Tout ça n’est pas facile, reconnaît Philippe Raimbault. Il y a des enjeux majeurs aujourd’hui en termes de positionnement du site toulousain et je pense que nous avons tout cela bien en tête. Nous sommes en train d’engager l’avenir du site pour les prochaines années et il faut que nous soyons tous responsables."
"Nous avons des universités, comme celle de Toulouse Capitole, au plus haut niveau, argumente de son côté Hugues Kenfack.
On pourrait dire que nous sommes en Top 14. Mais nous avons un site qui est lui en pro D2. Est-ce que l’on peut rester dans cette situation ? Moi, je dis non. On construit le site. Y apporter les forces pour le construire est un élément absolument fondamental.
Un site toulousain, sans UT1 ?
De nombreux interlocuteurs ne cachent pas leur scepticisme sur la participation future de l'université Toulouse 1 Capitole à l'université de Toulouse. "Un projet de site sans UT1 ? Ce n’est pas à l’ordre du jour à ce stade. Ce serait quelque chose qui serait vraiment dommageable", répond à demi-mot le président de l'université fédérale. "L’université a une grande responsabilité. Avons-nous choisi de voir le site toulousain dans 10 ans être en division fédérale ?" s'interroge Hugues Kenfack en restant sur la référence rugbystique. "Je ne le pense pas. Cette hypothèse-là n’est pas à l’ordre du jour. Nous sommes une force de proposition. Nous ne nous contentons pas seulement de dire non."
UT1 se positionnera "de façon ferme et définitive" lors du vote des statuts de l'université de Toulouse. Programmé en décembre, il a finalement été reporté en février prochain.