Pierre Soulages est né un 24 décembre. Il n’aime pas célébrer son anniversaire si l’on en croit Christian Bobin. C’est pourtant ce jour-là que l’écrivain choisit pour traverser la France et lui rendre visite à Sète.
« Je me moque de la peinture ». Ainsi débute le dernier ouvrage de Christian Bobin. Qui pouvait mieux parler de Pierre Soulages que cet écrivain de l’épure, aux phrases ciselées, pour qui chaque mot doit être précis mais qui donne à voir l’humanité à travers une simple description. « Je ne vois jamais en photographie mais en esprit, ce qui est l’exacte façon de voir » assène-t-il d’ailleurs pour nous livrer l’un des secrets de sa capacité à observer puis transcrire. Sans doute le monde des critiques d’art a perdu là un sérieux candidat.
Le noir, le contraire de l’ennui
« Ta peinture ne s’adresse à personne – ou à qui voudra se souvenir qu’une âme nous fut donnée à la naissance » lance l’écrivain au peintre. Plus loin, Bobin évoque aussi les « dinosaures de goudron » du musée Fabre de Montpellier que Soulages peint en public. Il finit son chapitre en expliquant qu’il est « impossible de s’éprouver abandonné devant un tableau de Pierre. On est devant quelqu’un. Et ce quelqu’un c’est nous ».Quant à ceux qui ne verraient rien d’inspirant dans la peinture du maître de l’outrenoir, voici ce que leur rétorque l’écrivain :
Ce qui me touche dans ta peinture (…), c’est sa puissance de renouvellement, une salve de résurrections. Rien de plus maigre que du noir ratissé à gauche, à droite, verticalement, en oblique. On devrait s’ennuyer et c’est le contraire qui advient.
Un Noël à Sète
« Une baguette d’acier avec sa mie de béton. Non, mieux : la paupière plissée d’un crocodile attendant l’heure, filtrant la lumière assourdissante de la Méditerranée ». Christian Bobin décrit ainsi la maison de Soulages à Sète. En ce petit matin de Noël où il repart de la cité héraultaise, l’écrivain constate : « les trottoirs écaillés, gris mouette, étaient signés Soulages ». Toujours sur Sète, il écrira aussi :Les villes pauvres, je connais bien. Elles rendent la vie plus pure, plus nette : il n’y a rien, juste le trésor humain.
Dans son périple, l’écrivain emporte avec lui pour le peintre un exemplaire de « la nuit du cœur ». Son récit débute dans un hôtel qui donne sur les vitraux de l’abbatiale de Conques, autres œuvres de Soulages. Le noir encore, comme celui du portail de la demeure du maître devant lequel l’écrivain divague. Quelqu’un lui répondra-t-il ? Voir Soulages physiquement, est-ce que l’intérêt de ce voyage est vraiment là ?
Une mort qu’on choisit
Bobin parle aussi de la mort, normal quand on évoque un presque centenaire, mais pas n’importe quelle mort, celle qu’on choisit. Et l’écrivain sait de quoi il parle. Il l’a côtoyée de près, de même que l’infini de la perte des êtres chers. Des disparus qui l’accompagnent encore dans ce récit. Le noir est traditionnellement la couleur de la mort mais, chez Soulages, c’est celle de la vie. « Il n’y a qu’un seul pas entre Le Creusot (NDR : ville d l’auteur) et Sète. Il n’y a jamais eu qu’un seul pas entre nous et l’autre monde ».« Pierre, » de Christian Bobin, Gallimard.
Retrouvez Christian Bobin et son livre sur Pierre Soulages dans l'émission "La Grande Librairie" sur France 5