Il y a 10 ans, en se regroupant en coopérative de consommateurs, des habitants de Pied-de-Borne, petit village aux confins de la Lozère, le Gard et l'Ardèche, ont sauvé leur épicerie de proximité. Un anniversaire un peu assombri par des tensions entre ruraux et néo-ruraux.
Pied-de-Borne en Lozère, 23 hameaux, 176 habitants, 3 rivières, un barrage EDF et la première coopérative de consommateurs installée en zone rurale.
Sur la petite place du village, le mercredi, c'est jour de livraison. Pour l'arrivée de la principale commande de la semaine, les coopérateurs sont sur le pont, sous la houlette bienveillante de Marie, coopératrice et l'une des 5 salariés de l'épicerie coopérative.
Il faut ouvrir les cartons, mettre en rayons ou en réserve, pointer les inventaires. Le principe, c'est de donner 3 heures de son temps chaque mois. Je vais aussi à la déchetterie à Villefort.
Une coopérative sans but lucratif
Au milieu des étagères, Sylvie Lhotel, venue s'installer à 4 kilomètres de Pied-de-Borne pour passer sa retraite, range les bocaux. Et elle ne tarit pas d'éloges sur le projet : "On rencontre des gens, il y a une équipe dynamique et on trouve de bons produits. On est vraiment très contents". Sylviane Massol, qui profite de l'occasion pour faire aussi ses courses, ne dit pas autre chose. Avec son mari, après 40 ans passés en région parisienne, ils ont décidé de venir vivre dans la maison familiale. "La coop rassemble tout ce qu'on aime et tout ce qu'on a toujours soutenu : les bons produits, l'agriculture bio, les producteurs locaux, l'emploi sur place."
Si on veut que le village vive, il faut soutenir la coop, il n'y a pas à hésiter.
Créée en 2011 par Cyrille Souche et David Naulin, "Ma coop la vie au vert" est installée dans les locaux d'une ancienne épicerie, financée à l'époque par la mairie de Pied-de-Borne. D'abord associatif, l'établissement a transformé l'essai et est devenu une coopérative de consommateurs à but non lucratif dont le chiffre d'affaires grossit chaque année.
Personne ne croyait à la viabilité de la coop au début. Dix après, nous avons 5 salariés et pleins de projets.
Produits bio et producteurs locaux
En échange de 3 heures de travail chaque mois au sein de l'épicerie, les coopérateurs bénéficient d'une remise de 5 à 20% selon les produits. Le commerce est ouvert à tous, à prix classique. A la caisse ce jour-là, Franck, employé par l'usine hydrolique d'EDF, vient acheter son casse-croûte, ravi de trouver sur place de quoi se restaurer.
L'épicerie bénéficie aussi aux beaux jours d'une clientèle touristique, attirée par la beauté du lieu. Mais son objectif reste le maintien d'une vie rurale toute l'année. Elle travaille donc aussi avec les producteurs locaux : miel, châtaigne, fromage de chèvre, viande, fruits, légumes.
Et même des cosmétiques. Ceux fabriqués avec le lait de ses chèvres du massif central par Valérie Corrège. L'éleveuse et son conjoint, tous deux enseignants dans une autre vie, ont choisi de créer leur activité à Pied-de-Borne, après de nombreux séjours sur place. Leurs savons et shampooings sont distribués partout en France en magasins bio. Mais l'épicerie coopérative est bien plus qu'un point de vente pour eux : un partenaire qui partage leur souci du respect de l'environnement et de la préservation de la vie rurale.
Nous avons commencé ensemble et c'est formidable d'être à leurs côtés dix ans après. La coop a réussi son pari, elle fait vivre un commerce dans une zone rurale, alors que les précédentes épiceries ont toutes fermées leurs portes.
Des projets et des tensions
L'épicerie coopérative fourmille de projets. Elle vient d'aménager par exemple un jardin partagé, entretenu par les écoliers du village. Elle a aussi noué un partenariat avec le foyer rural. Et les coopérateurs souhaitent installer un atelier de transformation des produits périssables, comme les fruits et légumes, pour éviter le gâchis alimentaire et valoriser les productions locales.
De son côté, le boulanger, artisan indépendant qui travaille dans le sous-sol voudrait installer un grand four à bois, à côté du futur atelier de transformation, pour cuire les 100 kilogrammes de pains qu'il pétrit tous les jours (200 en été). "Le four électrique est petit. Le fournil aussi. Après 5 ans, je voudrais travailler dans de meilleures conditions", explique Jean-Marie Perrier. Il vend ses pains à la coop et sur les marchés mais ses murs, comme ceux de la coop, appartiennent à la mairie. Et depuis deux ans, des tensions se sont faites jour, entre les habitants et la municipalité, au sujet de la coop.
Le maire de Pied-de-Borne ne veut pas trop s'exprimer,."Ce que je dirai pourrait être mal interprété, je ne veux pas attiser les polémiques", explique Christian Masjean. Mais, à mots couverts, en discutant avec d'autres habitants, le choix de produits essentiellement bio, donc plus chers, est critiqué, considéré comme une logique de néo-ruraux, peu adaptée aux petits budgets locaux.
"Ces critiques je les connais mais notre marge est de 30% sur tous les produits", soupire Cyrille Souche. "Certains sont plus chers que dans les villes mais d'autres non. Nous ne faisons pas de bénéfices. La marge nous sert seulement à payer les charges, salaires, électricité, gaz. Le choix du bio, c'est aussi un acte militant, pour la planète et la santé".
Depuis le début, ceux qui nous suivent partagent nos valeurs, la préservation de l'environnement, la santé, l'emploi local.
Un acte militant que revendiquent effectivement les coopérateurs, un gros tiers des 176 villageois. Mais qui est un peu perçu comme une lubie d'urbains néo-ruraux, peu conscients de la réalité lozérienne pour les autres.
Vous pouvez retrouver ici le reportage tourné à Pied-de-Borne.
Depuis deux ans, ces divergences entre les habitants freinent le développement de la coopérative. Ralentis mais toujours optimistes, les coopérateurs vont ouvrir cet été une auberge en bord de rivière. Coopérative évidemment.