Une nouvelle proposition de loi sur les violences conjugales est proposée ce jeudi à l'assemblée nationale. L'APIAF, une association toulousaine spécialisée dans la protection des femmes victimes de violences, décrypte les apports et les faiblesses de ce nouveau texte.
L'APIAF, association pour l'initiative autonome des femmes, est une structure toulousaine qui accueille et héberge des femmes vitimes de violences et met en oeuvre formation et prévention pour l'égalité hommes-femmes. L'une de ses responsables, Marick Geurts, répond à nos questions sur la proposition de loi du député LR du Lot, Aurélien Pradié. Cette proposition de loi sur les violences conjugales est examinée à l'assemblée à partir de ce jeudi.
Quelle est votre réaction par rapport à cette nouvelle proposition de loi ?
Ce que propose Aurélien Pradié va dans le bon sens. Il s'agit d'un renforcement du dispositif existant, dans la mesure où les lois qui existent ne sont pas appliquées. Il met en exergue ce fait-là. Il propose par exemple que la mise en oeuvre de l'ordonnance de protection qui date de 2010 et permet pour 6 mois d'éloigner le conjoint violent, soit accélérée.
Actuellement cette mesure d'urgence s'applique au bout de 42 jours en moyenne. Ce qui est très long. Par ailleurs, le dépôt de plainte ne serait plus exigible comme c'est très souvent le cas.
Pourquoi la loi n'est-elle pas appliquée par les juges ?
Pour les femmes, la loi est restrictive dans son interprétation. Leur parole est systématiquement mise en doute. Or ce sera toujours difficile de démontrer le contexte des violences et les juges sont très très exigeants. Il faut une prise de conscience. En fait, il aurait été plus intéressant pour nous de savoir pourquoi la loi est si mal appliquée.
Les formations des magistrats sur ces sujets sont très récentes. Or ce sont des faits auxquels ils vont tous être confrontés. Jusque-là, ils étaient plutôt dans la gestion des conflits, la pacification des divorces avec les médiations, l'injonction de se parler. Or on ne peut pas se parler suite à des violences. Dans une situation de domination, les paroles ne comptent pas, ce sont les faits qui comptent. Il faut dans un premier temps bien clarifier les choses. Mais il y a une question centrale qui est celle des moyens.
Vous parlez des moyens de la justice ?
Oui. Nous sommes dans un des pays les moins dotés au niveau européen. Concrètement, les délais sont catastrophiques. Si on n'est pas en procédure de flagrant délit, ce qui est exceptionnel, l'auteur des violences va être convoqué 1 à 2 ans après le dépôt de plainte. Or, justement, la justice ne devrait rien laisser passer. C'est ça qui est important pour l'auteur : que la sanction intervienne très rapidement.
Et pour les victimes aussi car pendant tout ce délai, les femmes sont insécurisées. Elles subissent des pressions pour retirer leur plainte. Tout ça ne fonctionne pas correctement. Si on est plus réactifs par rapport aux faits de violence, on permet aux femmes de s'en sortir plus vite.
Parfois on attend que monsieur soit condamné pour que madame puisse bénéficier de droits. Cela donne l'impression aux femmes que leur parole ne compte pas. Et ça les expose au danger.
On met l'accent sur les féminicides et c'est une bonne chose que les médias s'en empare de cette façon et pas sous la forme de "faits divers" comme avant. Mais il ne faut pas oublier qu'il existe des milliers de situations où des femmes se retrouvent dans l'insécurité. Cela fait des dégâts sur leur vies et sur la vie de leurs enfants.
Les féminicides ne sont pas un "fléau", comme on nommerait une catastrophe naturelle
Aurélien Pradié propose de promouvoir l'usage du bracelet électronique pour les conjoints violents. Est-ce une solution selon vous ?
C'est un outil intéressant, moins lourd que le dispositif "téléphone grave danger" déjà appliqué mais qui reste un outil à usage exceptionnel... Il faut un contexte de condamnations et en pratique, il est peu mis en oeuvre.
D'après ce projet de loi, le bracelet électronique constituerait un outil supplémentaire plus souple. Il pourrait être utilisé y compris dans le cadre de l'ordonnance de protection. Porté par le conjoint violent, il permettrait à la victime de savoir s'il s'approche du domicile. Mais il faut une cohérence. Si l'auteur garde l'autorité parentale, il peut aller à l'école. Il peut donc rencontrer son ancienne compagne. D'où l'intérêt d'une cohérence dans la chaine des intervenants. Ce que nous réclamons. C'est très important. On le voit par rapport à certains féminicides. Il y a eu des mesures contradictoires.
Sur quoi faut-il avancer en urgence selon vous ?
La question des moyens reste entière. Comment ça va être mis en place ? La justice va-t-elle avoir les moyens d'être opérationnelle en terme de délais ? Pour le moment, on n'entend pas parler de moyens qui permettent par exemple d'augmenter le nombre de magistrats.
Notre préoccupation majeure va aux femmes qui ont des enfants, pour sécuriser leur séparation. Il faut absolument des mesures très strictes pour l'agresseur dans un premier temps. Ce qui est proposé n'est pas encore à la hauteur des problèmes.
Il faut que l'autorité parentale soit limitée dès le début de l'enquête. En cas de féminicide, le père peut dire même de sa prison : "je ne veux pas que mon enfant voit un psychologue". De sa prison, monsieur dicte encore sa loi. L'autorité paternelle du chef de famille est préservée. On est encore dans de vieux schémas patriarcaux.
C'est symptomatique et c'est là-dessus qu'il faut avancer. Les féminicides ne sont pas un "fléau", comme on nommerait une catastrophe naturelle. Ce qui se passe est le fait des relations inégalitaires entre les hommes et les femmes. Les mesures proposées doivent intégrer ce changement-là.