En France, le gouvernement devrait présenter son projet de loi sur la fin de vie dans le courant du mois de décembre. De l'autre côté des Pyrénées, en Catalogne et en Espagne, l'euthanasie est autorisée depuis plus de deux ans déjà.
Alors que le gouvernement français annonçait une "avancée importante" avant la fin septembre 2023, celui-ci s'est accordé un délai supplémentaire sur la question de la fin de vie. Il faut dire que le sujet de l'euthanasie et du suicide assisté est sensible. Il fait en tout cas débat dans les rangs politiques, mais aussi parmi les professionnels de la santé.
"Les médecins ont pour vocation de soigner et de soulager les souffrances de leurs patients mais pas de les tuer", confie André Bordaneil, médecin généraliste à la retraite et médecin dans un EPAHD des Pyrénées-Orientales. "Avant, il y avait un dialogue entre le médecin de famille et ses patients voire aussi avec les familles. Il y avait une confiance réciproque. Si les choses ont changé la question de la fin de vie et de comment accompagner au mieux le patient se pose toujours."
Problème de société, de religion aussi selon le médecin qui salue tout de même l'entrée en vigueur dans l'hexagone de la loi Claeys-Leonetti, votée à l'unanimité en 2005 puis ajustée en 2016. Cette réforme instaure le droit à une sédation "profonde et continue" jusqu’au décès pour les malades en phase terminale.
La loi Claeys-Leonetti (votée en 2005 et modifiée en 2016 ndlr) représente une avancée considérable car elle permet au médecin d'accompagner avec dignité le malade jusqu'à sa mort.
André Bordaneil, médecin généraliste retraité
Pour ou contre ? À l’instar de l'avortement dans les années 1970, l'euthanasie questionne, divise, se réclame, inquiète. En ligne de front, les soignants, très attentifs aux évolutions dans les pays voisins de la France.
Décider du moment de sa mort, autorisé en Espagne
En Catalogne, la loi sur l'euthanasie a été adoptée le 18 mars 2021 par 202 votes en faveur et 141 contre, très largement dénoncée par les partis de droite et d'extrême droite. Le recours déposé n'y a rien changé. La loi est désormais en vigueur en Catalogne et dans toute l'Espagne qui devient ainsi le sixième pays du monde à légaliser l'euthanasie.
Sergi Bernabeu réside à Barcelone. Très croyant, il a cependant accepté d'accompagner, ces derniers mois, son oncle dans une démarche de fin de vie assistée.
A Noël, mon oncle nous a annoncé qu’il souffrait d’un cancer des poumons en phase terminale. Il nous a dit qu’il voulait mourir rapidement, dès qu’il ne pourrait plus vivre dignement.
Sergi Bernabeu
Décider du moment de sa mort, éviter d'infliger à ses proches une longue agonie, c'est un choix que peuvent faire les résidents espagnols depuis deux ans maintenant. Une aide à mourir qui, pour l'oncle de Sergi, aura surtout été une aide à aborder le temps qui reste avec sérénité. "Dès qu’il a reçu l’autorisation, tout a changé. Entre mai et septembre, on a profité", témoigne son neveu Sergi qui considère cette loi comme un acte de compassion.
Oui, les évêques espagnols y sont totalement opposés. Mais moi je pense que souvent, c’est eux qui ne représentent pas le message de Jésus.
Sergi Bernabeu
Il faut dire qu'en Catalogne, cela fait déjà trente ans que l'association DMD, pour le droit de mourir dans la dignité fait évoluer les mentalités, et la législation. Son message est simple : comme tous les droits, il s'agit avant tout d'un choix personnel.
Si vous n’êtes pas favorables, vous ne le faites pas... mais laissez les personnes plus laïques , peut-être plus libres, décider.
Isabel Alonso Dàvila, présidente de DMD Catalogne de 2016 à 2020
Des demandes sous haute surveillance
Évidemment très encadrée, la loi espagnole permet une sollicitation par un patient majeur, de nationalité espagnole ou résident depuis plus de douze mois dans la péninsule, et souffrant d'une maladie grave et incurable, assortie de souffrances intolérables. Les personnes, qui entrent dans le cadre d'une demande d'euthanasie, doivent s’acquitter de nombreuses formalités. Chaque demande doit être formulée en deux temps et présentée devant une commission pluridisciplinaire indépendante.
C’est une loi très rigoureuse, assortie de garanties pour que tout soit fait dans les règles. Ça permet qu’il n’y ait pas de doute, ni pour la société, ni pour les professionnels.
Docteur Josep Maria Busquets, secrétaire de la Commission de garantie et d'évaluation de Catalogne
Loi euthanasie en Catalogne, les chiffres
En 2022, soit un an après l'entrée en vigueur de la loi, 175 personnes ont effectué une demande d'aide à mourir en Catalogne ; 91 d'entre elles ont pu bénéficier de ce geste médical. Selon les données transmises par le Département Santé, sur les 175 demandeurs, 55 seraient décédés avant la fin de la procédure qui dure entre 40 et 50 jours. "La loi a apporté une réponse à une nécessité sociale largement plébiscitée" avait confié, à nos confrères d'El Punt Avui, Albert Tuca alors président de la Commission de Garantie et d'évaluation de Catalogne.
Sur les 175 demandeurs, 41% étaient des femmes d'une moyenne d'âge de 74 ans, et 59% des hommes de 73 ans environ. Les personnes qui ont entamé un processus pour bénéficier d'une euthanasie souffraient en grande majorité de pathologies neurologiques (36%), suivies de cancers (34,85%) ou se trouvaient en situation de comorbidité et de fragilité avancée ou encore avaient des maladies respiratoires. Autre chiffre significatif, toujours au terme de la première année de la loi, 167 professionnels (médecins, infirmières, pharmaciens, psychologues cliniciens) se sont déclarés objecteurs de conscience soit 0,15% du corpus santé.