Hausse des prix des cigarettes : "l'Etat encourage le trafic" selon la fédération des débitants de tabac de Perpignan

En 20 ans, le prix moyen du paquet de cigarettes en France est passé de 3,20€ à 10€, soit une hausse de 215%. Dans le même temps, les ventes ont chuté de 60%. Pour réduire encore plus la consommation, l'Etat vient d'annoncer de nouvelles augmentations en 2023 et 2024. Les buralistes sont vent debout.

Après deux ans de stabilité, le prix des cigarettes va désormais suivre l'inflation et atteindre 11 euros le paquet dans deux ans. Cette décision du gouvernement plaide en faveur de la lutte contre le tabagisme, au grand dam des cigarettiers et des débitants de tabac qui prédisent un bond des ventes illégales et du trafic de contrebande.
Surtout dans les zones frontalières, où il est facile de s'approvisionner en cigarettes à bon marché, comme en Espagne. Le prix moyen d'un paquet y est inférieur de 40 à 50% à celui affiché dans les Pyrénées-Orientales.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) présenté lundi en conseil des ministres prévoit que le prix moyen du paquet, "aujourd'hui de 10,15 euros", va augmenter de "50 centimes en 2023 et de 35 centimes en 2024", ce qui le "fera passer à 11 euros", a précisé Bercy.

Le gouvernement annonce aussi de "nouveaux barèmes fiscaux adaptés" pour les produits aujourd'hui moins taxés comme le tabac à rouler et le tabac à chauffer.

Tabagisme et santé : "c'est un mensonge d'Etat"

Depuis cette annonce gouvernementale, les débitants de tabac ne décolèrent pas. Pour les professionnels frontaliers, les chiffres sur le tabagisme (une consommation en baisse de 22%, en volume, entre 2017 et 2021) et la santé sont faux. Ils parlent "d'un mensonge d'Etat".

A chaque hausse des prix, le gouvernement justifie cela par une baisse de la consommation en France. C'est faux. Ce sont en fait les chiffres de la Seita, (ndlr : la société qui gère en France une grande partie de la distribution et des ventes de tabac), ce n'est pas la consommation qui baisse mais les ventes de cigarettes dans les débits légaux. La consommation, elle, est toujours alimentée par le marché noir, la revente illégale et la contrebande en provenance de l'étranger.

Bruno Fournès, secrétaire général de la fédération des débitants de tabac des Pyrénées-Orientales.
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Ce professionnel est installé à Perpignan. D'année en année, il a vu le différentiel entre le prix en France et le prix en Espagne se creuser. Et donc, les clients aller se ravitailler en Catalogne, outre Pyrénées, ou sur les marchés parallèles. Selon lui, les cigarettes de contrebande représentent bien plus que les chiffres officiels de 13% à 17% de la consommation. "Les cigarettes de contrebande, depuis 10 ans, on en trouve dans toute la France, il y a longtemps que ce n'est plus un phénomène frontalier. A moins de 200km du Perthus, c'est plus 30% de tabac de contrebande que 17% que l'on trouve. La fraude fiscale se chiffre en milliards".

En 2020, la douane a saisi 284 tonnes de tabac de contrebande sur tout le territoire national. C'était plus de 400 tonnes en 2021, soit une hausse supérieure à 40% en un an.

Plus le prix du tabac augmente en France, plus le trafic avec l'Espagne prend de l'importance. Et c'est normal, car il est de plus en plus rentable. L'Etat encourage le trafic. L'Espagne va également augmenter ses taxes en 2023 mais à 5 euros le paquet de cigarettes en moyenne, on est loin des 10,50€ en France.

Bruno Fournès, débitant de tabac à Perpignan.

Pire ajoute le débitant de tabac : "Les cigarettes, c'est ce qui motive les Catalans à aller en Espagne mais une fois là-bas, ils font toutes leurs courses alimentaires voire plus. Le manque à gagner est énorme pour l'économie du département".

Et Bruno de conclure : "j'espère surtout que la commission des buralistes sur les ventes de tabac va aussi être réévaluée du montant de l'inflation en 2023".

Le lobby du tabac contre la hausse de la fiscalité

Sans surprise, les fabricants de cigarettes se sont insurgés contre une "hausse fiscale considérable" selon Jeanne Pollès, présidente de Philip Morris France qui produit la marque la plus vendue dans le monde, Marlboro. Cela va pénaliser "les Français les plus pauvres" et "aggraver la montée des trafics de fausses cigarettes à bas prix", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Même son de cloche chez British American Tobacco (BAT) qui évoque un "cadeau fait au crime organisé", selon un porte-parole, prédisant l'apparition de "nouvelles manufactures de contrefaçon de tabac en France", deux ont été démantelées à ce jour.

Le lobby anti-tabac pour une hausse plus importante

Le CNCT, Comité national contre le tabagisme, a affirmé que "les hausses de taxes" à venir doivent s'appliquer à "tous les produits" dont le tabac à rouler et le tabac chauffé. Elles devraient atteindre au moins 70 centimes par paquet de cigarettes, pour "éviter les transferts de consommation" et afin de faire baisser significativement la consommation.

"Les hausses de taxes sont l'outil le plus efficace et le plus rentable pour faire diminuer la consommation de tabac", écrit le CNCT dans un communiqué, en particulier "auprès des jeunes générations et des catégories les plus précaires, plus sensibles à l'argument du prix".

En-deçà de 70 centimes par paquet, les hausses de prix, vu le "caractère particulièrement addictif du tabac" ne "feront que pénaliser le pouvoir d'achat des fumeurs sans faire baisser la consommation", estime l'association anti-tabac.

Le coût social du tabac

Première cause de décès évitable, le tabac fait quelque 73.000 morts en France, avec un coût direct de 20 à 26 milliards d'euros par an pour l'Assurance maladie et un "coût social" global (morts, maladies, pertes de production, mais aussi dépenses de prévention, répression et soins, pour l'Etat) estimé à 120 milliards par l'Observatoire français des drogues et toxicomanies.

La fiscalité sur le tabac, elle, rapporte 13 à 14 milliards d'euros par an à l'Etat, selon Bercy. Il y a un an, un rapport parlementaire a chiffré à 3 milliards d'euros le manque à gagner fiscal, lié au tabac de provenance illégale consommé en France chiffré entre 14% et 17% de la consommation.

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