C'est un phénomène rarissime, un des rares exemples en Europe. Llívia, petite commune des Pyrénées, est une enclave espagnole en territoire français. Pour savoir comment cela est possible, il faut se pencher sur l'histoire de la ville en remontant jusqu'au XVIIème siècle.
Lorsqu'on se penche sur la carte des Pyrénées-Orientales, on pourrait croire à une erreur mais il n'en est rien.
Avec sa forme en L, entourée par Bourg-Madame, Angoustrine, Targasonne, Estavar ou encore Err, Llívia (entendez Llíbia, en catalan le v se prononce b) n'appartient pas à la République française mais bel et bien à l'Etat espagnol, même si elle est avant tout Catalane.
Pour comprendre comment ces 13 Km² se sont retrouvés enclavés dans l'hexagone, il faut remonter en 1659, date du Traité des Pyrénées.
Erreur de dénomination
Le 7 novembre 1659, Mazarin et Luis Méndez de Haro signent le Traité des Pyrénées sur l'île des Faisans, sur la Bidassoa. Un acte de paix pour le compte de Louis XIV, roi de France et de Philippe IV d'Espagne qui mit fin à 24 ans de guerre. À partir de cet instant, les Pyrénées feront désormais office de frontière naturelle entre les deux royaumes, à un détail près. Llívia.
Quand le Traité des Pyrénées a voulu prendre un morceau de la Cerdagne, les français ont exigé 33 villages. Pourquoi 33, on ne sait pas vraiment, certains disent que c'est pour l'âge du Christ quand il est mort. En tout cas quand on en arrive à Llívia, les espagnols n'ont pas accepté en disant : vous avez demandé 33 villages, or il y a un document de Charles Quint qui dit que Llívia est une ville.
Jean-louis Blanchon, historien.
Le statut de ville et non de village est ce qui fait que Llívia demeure alors sous autorité espagnole. Tour à tour, paradis des contrebandiers, lieu de passage pour les républicains fuyant le régime de Franco ... avec ses 14 km de frontières et juchée à 1.200m d'altitude, Llívia est une des rares enclaves en Europe et son histoire est aussi riche qu'insolite.
C'est un des endroits les plus chargés d'histoire de Cerdagne. Par exemple, pendant la seconde guerre mondiale, beaucoup de gens qui fuyaient la France, soit les juifs ou ceux qui voulaient partir aux forces françaises libres... Llívia était une bonne solution pour atteindre l'espagne, Barcelone et au besoin Alger.
Jean-Louis Blanchon, historien.
Un atout touristique
Dans cette ville de 1.500 habitants, flotte le drapeau catalan puisque Llívia dépend de la région autonome de Catalogne, mais c'est encore le Traité des Pyrénées qui interdit à l'armée espagnole de pouvoir pénétrer dans Llívia. De quoi aiguiser la curiosité d'une famille d'Aixois.
On est en vacances sur Font-Romeu et ma fille ainée nous a dit : tiens c'est rigolo, il y a une enclave espagnole qui est juste à côté. Et du coup, par curiosité, on est venu un peu visiter le village.
Alexandre Conge, vacancier d'Aix-en-provence
La pharmacie Esteva
Et comme une particularité en appelle parfois d'autres, Llívia est également connue pour abriter une des plus anciennes pharmacies d'Europe, datée du XVIème siècle.
La pharmacie Esteva est unique de par son mobilier et les instruments conservés. Il s'agit d'une pharmacie baroque dont on trouve peu d'exemplaires, surtout en tant qu'ancien commerce puisque la plupart du temps les commerces se renouvellent et ne gardent pas le mobilier ancien. Ici tout a été entièrement conservé.
Gerard Cunill, Directeur du Musée de Llívia.
Chaque année, plus de 16 000 visiteurs viennent admirer les trésors de la pharmacie Esteva de Llívia. Son mobilier, ses manuscrits, ses fioles, son intrigante armoire à poisons, ses incroyables bocaux bleu cobalt ou encore ses boîtes polychromes de la Renaissance, ici chaque objet transporte le visiteur chez les apothicaires des XVIIe, XVIIIe, XIXe et début du XXe siècle permettant ainsi de retracer l'évolution de ces pharmacies jusqu'à ce que la production de médicaments in situ laisse place à la production industrielle.
Bizarre mais pas barbare
Loin de se positionner comme un village d'irréductibles au milieu de l'hexagone, Llívia entretien des relations étroites avec les villes et villages avoisinant et vice-versa. C'est le cas par exemple avec la commune d'Estavar.
Il n'y a aucune différence entre Llívia et Estavar. Pour nous la frontière n'existe pas. Llívia est une commune avec beaucoup de commerces et donc les habitants d'Estavar vont faire leurs courses à Llívia, vont boire un coup à Llívia... Nous avons toujours entretenu des liens très étroits. L'église d'Estavar a même été construite avec des pierres qui viennent de Llívia.
Laurent Leygue, Maire d'Estavar.
Car il faut bien l'avouer, en Cerdagne la notion de frontière est plus administrative que mentale même si quatre siècles après le Traité des Pyrénées, elle reste physiquement marquée.
L'enclave de Llívia est marquée par la présence de 46 bornes. Chacune d'entre elles est vérifiée chaque année vers la fin juin, début juillet par le maire de Llívia, les maires du côté français, la guardia civil, les mossos d'esquadra, la policia nacional ainsi que les douanes et la gendarmerie.
Laurent Leygue, Maire d'Estavar
Liées sur le plan historique, culturel et linguistique, les deux communes ont à maintes reprises mené des chantiers communs. Fêtes, festival de cinéma, gestion des chemins de randonnées... elles partagent également des inquiétudes et des problématiques communes comme la sécheresse et espèrent à l'avenir, malgré les contraintes administratives, pouvoir concrétiser des projets transfrontaliers comme une politique commune de la gestion de l'eau ou l'implantation d'une station d'épuration.