Législatives 2024 : quel avenir pour la culture avec un gouvernement RN ? L'analyse d'un politologue, chercheur au CNRS de Montpellier

À quelques jours des élections législatives, un politologue de l'université de Montpellier s'est penché sur la place de la culture dans le programme du Rassemblement national. Emmanuel Négrier a voulu savoir comment elle pouvait devenir un outil politique "dans le redressement moral du pays", dans les collectivités gérées par le RN, comme Perpignan ou Beaucaire.

Tous les sondages des derniers jours, donnent le RN en tête, aux législatives des 30 juin et 7 juillet.

Dans les débats, on parle pouvoir d'achat, sécurité, immigration, retraite, agriculture, défense et politique plus généralement. Mais certains domaines, comme la culture, sont passés sous silence. Pourtant, même s'ils tiennent une place modeste dans le programme du RN, la culture et le patrimoine peuvent devenir un levier idéologique au profit de la tradition, du patrimoine ou du folklore en rejetant notamment la diversité ou des cultures plus novatrices.

Emmanuel Négrier, chercheur en science politique au CNRS et à l'université de Montpellier, s'appuie dans sa réflexion sur les programmes du RN aux présidentielles de 2017 et 2022 et sur les politiques culturelles mises en place dans des collectivités locales comme Perpignan et Beaucaire. L'intégralité de son analyse est à lire sur le site The Conversation.com.

La place de la culture

"Que ferait le Rassemblement national au pouvoir, si au soir du 7 juillet prochain, il disposait d’une majorité pour gouverner ?", c'est la première question posée par Emmanuel Négrier.

Il ne faut pas aujourd’hui donner plus de cohérence et de profondeur à ce que serait un programme de gouvernement de la culture du RN. Pourquoi ? D’une part, il tient une place relativement modeste – même si elle est réévaluée – dans le projet politique. D’autre part, ce programme est plus conçu selon une logique d’apprivoisement que de guerre culturelle.

Emmanuel Négrier, politologue, directeur de recherche au CNRS à Montpellier.

Et il ajoute : "S’il est aussi respectueux – en apparence – des acquis (patrimoine, intermittence, pass culture, aides à la création, etc.), c’est aussi pour ne pas provoquer la levée de boucliers d’un milieu culturel à la réputation «grande gueule», plutôt valorisé par les citoyens, et imperméable à la posture du RN en général".

Les collectivités RN ou la culture "repolitisée"

Il est intéressant de voir au niveau municipal comment les élus RN traitent la culture. Exemple avec Julien Sanchez, maire RN de Beaucaire dans le Gard depuis 2014.

"Les leaders locaux du RN ne cherchent nullement à faire du bruit avec la culture. Julien Sanchez, à Beaucaire, a certes vu partir les cadres de son service culture, en a recruté de nouveaux en faisant de la bibliothèque municipale un placard commode pour les agents opposés à lui. Mais il a prolongé la saison théâtrale mise en place par l’équipe antérieure, y prononce un discours avant chaque représentation proposée par le même prestataire de spectacle présent dans la ville depuis plus de 20 ans. Il a donné plus de relief aux cultures camarguaises et folklores locaux, en faisant un discours avant chaque concert du soir des fêtes de la Madeleine. Il inaugure la crèche par sa présence, ceint de l’écharpe tricolore, assumant le risque répété d’amendes dont il n’a cure".

"Dans le cas de Beaucaire, comme ailleurs, on assiste à une repolitisation de la culture, au sens de la présence des élus au cœur de décisions habituellement confiés aux professionnels de la culture. La fragilisation de ces derniers reste relativement discrète, et difficile à contrer politiquement" analyse Emmanuel Négrier.

Autre exemple, Louis Aliot, maire RN de Perpignan depuis 2020.

À Perpignan, Louis Aliot et son adjoint à la culture ont repris la main sur une politique qui se déclinait avec des institutions aux antipodes de ses valeurs, ce qui a pu produire des conflits avec la Casa Musicale, acteur majeur des musiques actuelles dans leur diversité sociale, voire le rejet de tout soutien à certaines esthétiques, comme le rap. Mais il a conservé son soutien à la manifestation phare de la ville : le festival de photojournalisme Visa pour l’image.

Emmanuel Négrier.

"Si les icônes locales de la culture sont généralement protégées (notamment par les pouvoirs d’autres niveaux : intercommunalité, département, région, État), les acteurs associatifs les plus engagés dans l’éducation populaire ou la culture dans les quartiers sont discrètement privés de soutien directement (coupes dans les subventions) ou indirectement, par l’exigence du paiement d’un loyer au tarif sciemment exorbitant, comme on l’a vu à Hénin-Beaumont, avec la Ligue des Droits de l’Homme.
Une large place est, au contraire, faite aux cultures traditionnelles et folkloriques de chacun de ces territoires. La politisation, la folklorisation et le rejet de la diversité culturelle sont donc à la fois présents et discrets dans la gestion RN des villes. Rien d’étonnant à cela : ces municipalités ont une fonction assumée de laboratoire prétendant démontrer la capacité du RN à gouverner, en assumant la posture la plus sobre possible en termes idéologiques" écrit Emmanuel Négrier dans son article.

Des mesures fiscales et des aides pour le patrimoine

Les mesures des programmes sont à la fois précises et très orientées explique le politologue.

La refonte de la fiscalité – déjà très avantageuse pour les propriétaires, notamment en matière de succession – entend favoriser les détenteurs de châteaux et bastides. Elle s’accompagnerait d’une suppression des taxes sur le Loto du patrimoine, lequel, malgré sa modestie (l’équivalent d’une conservation régionale des monuments historiques), permet de financer des projets en partie différents de ceux suivis par le ministère de la Culture.

Pour asseoir encore cette politique, il est prévu d’augmenter considérablement le budget de réhabilitation du patrimoine, et l’accompagner par la mise en œuvre d’un service national du patrimoine concernant les 18-24 ans, d’une durée de six mois, renouvelable une fois. À ces chantiers de jeunesse, qui existent déjà, tout comme dans l’autre version des chantiers d’insertion, on se promet sans doute d’affecter la tâche du "redressement moral".

"Le goût des gens" comme boussole

En lieu et place d’une politique publique, la décision culturelle légitime serait essentiellement rabattue sur les choix individuels déjà établis par les gens, et dont on peut se demander d’où ils proviennent : d’une tradition familiale ? D’un cursus scolaire ? De médias soumis à la mesure des audiences ?

Cette orientation néolibérale française prend une seconde signification au travers de la critique ordinaire exprimée par les élus RN (au Parlement comme dans les rares discours qui portent sur la culture) à l’égard de la création contemporaine, contraire aux «goûts des gens». Leur promotion au rang de critère d’évaluation d’une politique culturelle se heurte à toute ambition en la matière qui, selon le mot de Jean Vilar, consiste à proposer aux gens des choses qu’ils pourraient aimer (et non ce qu’ils aiment déjà).

Emmanuel Négrier.

Il s’agit d’une entreprise néolibérale au sens où l’on constate la double méfiance à l’égard des institutions culturelles et de la liberté de création.

La privatisation d'une partie de l’audiovisuel public éclaire aussi la dimension néolibérale et populiste du projet.

Selon le chercheur, le programme culture du RN se caractérise par trois traits :

  • Une vision nationale et homogène du patrimoine.
  • Une orientation néolibérale de l’audiovisuel et de la création, laquelle n’est pas contradictoire avec un contrôle renforcé sur les contenus.
  • Une focalisation réactionnaire sur le lien entre culture et société.

Enfin, "le gouvernement RN de la Culture ne peut être envisagé qu’en gardant à l’esprit que celui-ci peut bien limiter son programme à quelques décisions formelles, tant il est vrai que l’enjeu est, pour lui, d’être à la tête d’instruments existants et d’en subvertir, sans les modifier, tout l’état d’esprit" conclut Emmanuel Négrier.

*Extraits de l'article écrit par Emmanuel Négrier, directeur de recherche CNRS en science politique au CEPEL, Université de Montpellier et paru le 19 juin 2024, sur le site The Conversation France.

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