A Banyuls-sur-Mer dans les Pyrénées-Orientales, la mobilisation s'organise autour d'un couple de vignerons japonais menacé d'expulsion car le préfet considère que ses ressources sont insuffisantes, alors qu'il fait un vin d'exception. Carole Delga lui apporte son soutien et une pétition est lancée.
Ils disent se sentir humiliés et inquiets. Hirofumi et Rié Shoji, 2 Japonais installés à Banyuls-sur-Mer, croyaient pourtant avoir réalisé leur rêve lorsque la première récolte de leur petit domaine de Pedres Blanques, sur les hauteurs de Banuyls-sur-Mer, a rencontré en 2017 le succès critique et commercial. Mais aujourd'hui, ce couple de viticulteurs nippons vit dans l'angoisse d'une reconduite à la frontière.
Obligation de quitter le territoire "faute de ressources suffisantes"
Le tribunal administratif de Montpellier examinera leur recours le 6 septembre prochain. Car le préfet des Pyrénées-Orientales considère que leurs ressources sont insuffisantes pour l'obtention d'un titre de séjour et leur a notifié une obligation de quitter le territoire. Selon leur avocat, Maître Jean Codognès, l'administration estime que :
"le couple ne gagne pas 2.000 euros par mois et leur activité n'est donc pas viable".
Une première cuvée déjà sur de grandes tables
La préfecture considère qu'une seule cuvée, celle de 2017, a été commercialisée. Effectivement, Hirofumi et sa femme Rié ne sont installés que depuis un peu plus d'un an sur les hauteurs de Banyuls-sur-Mer, où ils cultivent 3 hectares et demi de grenache noir. Leur première vendange a eu lieu à l'automne dernier. Leur vin, en conversion bio, ne contient pas de sulfite et peut être qualifié de "vin nature". Tout est fait à la main. Le succès commercial et critique a immédiatement été au rendez-vous.
Vendanges compromises alors 75% de la cuvé est pré-vendue
75% de la cuvée 2018 est déjà réservée et 80% de leur production 2017 a été vendue à l'export, notamment dans le meilleur restaurant du monde 2016, le Catalan Can Roca, à Gérone. Le reste est destiné au marché français, qui se l'est arraché. "Pedres Blanques", le nom de leur domaine, est servi, entre autres, au Verre Volé, à Paris, et vendu au caveau des 9 Caves, à Banyuls, où le gérant, Jan Paul Delliaas, déclare au Parisien :
"Ce vin, on pourrait en vendre des milliers de bouteilles".
L'hommage appuyé d'Alain Castex
Le caveau organise d'ailleurs la mobilisation. Une pétition est lancée, soutenue par Jean L'Héritier, organisateur du salon des vins nature à Perpignan, qui trouverait "dommage de les voir partir". Dans notre émission "9h50 le matin", le 17 mai dernier, dont Rié et Hirofumi Shoji étaient les invités d'honneur, Alain Castex, grande figure de la viticulture catalane, avait vanté la qualité du travail des 2 vignerons, et se réjouissait de travailler aux côtés de tels professionnels :
"ce sont des gens passionné, à l'éthique très élevée, qui produisent un vin extraordinaire. Leur réussite est magnifique".
Achat du domaine aux deux tiers sur fonds propres
Rie (prononcez Lié) Shoji (42 ans, née à Osaka) et Hirofumi Shoji (38 ans, né à Yamagata), sont arrivés en France en 2011. Ils se sont rencontrés lors de leurs études viticoles à Beaune (Bourgogne). A la fin de leur formation, à l'université de Dijon et dans des domaines viticoles en Bourgogne et dans le Bordelais, ils ont acheté le vignoble "Pedres Blanques" (pierres blanches, en Catalan), à Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, pour 150.000 €, grâce à 100.000 € de fonds propres complétés par un prêt bancaire de 50.000 €. Ils ont un diplôme de technicienne en oenologie et de responsable d'exploitation agricole.
Rie Shoji : son parcours d'Osaka à Banyuls
Rie Shoji, interviewée par Mickaël Potot, le 17 mai dernier, sur le plateau de "9h50 le matin", a raconté son enfance, la naissance de sa passion pour le vin français et ses premières années dans notre pays :
Hirofumi Shoji : des débuts chez Alain Ducasse
Dans la même émission de France 3 Occitanie, le mari de Rie, Hirofumi Shoji, a raconté comment ses débuts chez Alain Ducasse, à Tokyo (Japon), lui ont fait découvrir le vin français, qu'il trouve "magnifique" :
Une exploitation peut-elle être rentable la première année ?
A nos confrères de Terre de Vins, leur avocat, Jean Codognès, déclare :
"Il est illusoire d’examiner la rentabilité d’une exploitation dès le premier jour, toute création d’entreprise étant bâtie sur un passif complet, dont le business plan n’est qu’une projection sur l’avenir".
A l'Agence France Presse, il précise qu'en raison de sa nationalité, le couple ne "bénéficie d'aucune aide. Ils ne gagnent pas 2.000 euros. Mais le revenu moyen dans ce secteur, y compris les aides, est inférieur à 1.000 euros".
Recours au tribunal le 6 septembre 2018
Le couple a déposé une demande de titre de séjour en France le 23 février 2017. Mais "les éléments transmis par les intéressés, à l'appui de leur demande, ne permettent pas de justifier du revenu minimal fixé par la loi", indique la préfecture des Pyrénées-Orientales. Une obligation de quitter le territoire français datée du 3 avril 2018 leur a donc été notifiée le 12 avril suivant. Ils ont déposé une recours, qui sera étudié le 6 septembre par le tribunal administratif de Montpellier.
Le soutien de Carole Delga
La présidente de la région Occitanie, Carole Delga, leur a apporté son soutien sur Twitter :
La situation de ces jeunes vignerons japonais est ubuesque.
— Carole Delga (@CaroleDelga) 2 juillet 2018
Notre pays doit donner sa chance à tous ceux qui innovent et qui prennent des risques, y compris en viticulture, surtout s’ils subliment le fruit de nos terroirs d’@Occitanie !@TerredeVins https://t.co/kJxlPyYXNi